Guide 2016. A l’occasion de la parution du GaultMillau 2016 et ses 360 adresses en Suisse romande, «L’Hebdo» vous présente les 60 restaurants romands les mieux notés et dix coups de cœur en Suisse alémanique et au Tessin. L’occasion pour le responsable du guide de répondre aux six questions que tout le monde se pose sur le métier de critique culinaire.
Dossier Knut Schwander
Photos Dominique Derisbourg
Heureux responsable du guide GaultMillau en Suisse romande depuis quinze ans, j’ai la chance de ne jamais être à court de propos de table, même avec de parfaits inconnus. Lorsque je me présente, les questions fusent aussitôt. En tête de liste: «Et vous vous déguisez?», clin d’œil amusé au guide Duchemin et à son directeur-testeur incarné par Louis de Funès dans L’aile ou la cuisse. Ainsi promu pitre, je me console avec la question suivante. Elle m’est généralement posée sur le ton de la confidence, comme on le ferait avec un agent secret: «Mais comment donc faites-vous pour ne pas être reconnu?» C’est plus flatteur. Mais le répit est de courte durée. Car, en général, c’est à ce moment-là que le justicier de la tablée se redresse, sévère. Marqué par Ratatouille et son critique gastronomique aux allures de fossoyeur, il me lance: «C’est quand même cruel de commenter ainsi le travail des autres… vous ne trouvez pas?» En un seul repas, je passe ainsi du rôle de 007 mystérieux à celui d’un hideux vampire doublé d’un traître, mais portant un chapeau à voilette en toutes circonstances… La réalité est heureusement plus sereine. Alors que l’édition 2016 du GaultMillau vient de sortir, voici le best of des questions qui me sont le plus souvent posées et leurs réponses.
Comment êtes-vous devenu responsable du GaultMillau?
A 18 ans, nous sommes partis dans la Loire, avec Carole, qui est plus tard devenue mon épouse. Elle conduisait et moi, je lisais le GaultMillau. Au retour, ruinés par nos agapes, nous nous sommes dit que nous lancerions un jour notre propre guide. Puis, c’est à la rédaction de Bilan que j’ai développé des rubriques culinaires. Tout en suivant les préparatifs de Carole aux examens de l’Ecole hôtelière de Lausanne: une bonne base théorique. Le reste est empirique, avec des cours de dégustation et un semestre de gastronomie moléculaire à l’Université de Neuchâtel, notamment.
Est-ce que les restaurateurs vous reconnaissent?
Après quinze ans à ce poste, difficile de rester incognito! Mais je ne me déguise pas et je réserve toujours sous mon nom. Question d’honnêteté. Car un bon restaurateur est fier de ce qu’il sait faire et ne va pas improviser autre chose, la tricherie se voit. Il m’est arrivé d’être «upgradé»: trois somptueuses langoustines sur mon assiette contre trois misérables crevettes à la table voisine. Comme nous sommes 18 collaborateurs, j’ai organisé une deuxième visite par quelqu’un de non identifiable.
Une visite par an, est-ce assez? Et si on tombe mal?
Le chef sait ce qui sort de sa cuisine. Si, pour une raison particulière (brigade décimée par la grippe, arrivage insatisfaisant…), la prestation ne correspond pas à ses attentes, il est le premier à le savoir et à pouvoir réagir. S’il ne dit rien et qu’il facture sa prestation, le contrat avec ses clients est clair. Avec plus de mille tests réalisés – et payés – chaque année en Suisse, le GaultMillau est aussi un client.
Les notes, subjectives, ne sont-elles pas injustes?
Les notes font partie de l’ADN du GaultMillau. Cela crée un suspense. C’est aussi un repère pour le lecteur. Contrairement à d’autres guides totalement opaques, le GaultMillau justifie ses jugements dans des textes qui relatent nos visites et qui valorisent le travail des chefs. Même s’il y a des remarques qui peuvent faire mal, le but d’un guide sérieux n’est jamais de démolir le travail des artisans. Nous sommes des découvreurs de bonnes tables. De 12 à 19/20, il n’y a que de bonnes adresses dans le GaultMillau. D’ailleurs, un guide de mauvaises tables ne se vendrait pas…
Comment faites-vous pour ne pas grossir?
Professionnellement, je visite une centaine de restaurants par an. Des tables où le chef se donne la peine de créer des menus équilibrés: il n’y a donc pas de raison de tourner en Bibendum (surtout pas !). Mais, comme j’aime cuisiner et manger du chocolat (trop), je vais courir pour compenser.
Cherchez-vous des collaborateurs?
GaultMillau existe en Suisse depuis 1982. Urs Heller en est le rédacteur en chef, à Zurich, depuis 1996. Et je veille sur la version romande depuis 2000. Il nous tient à cœur d’offrir un regard cohérent sur le long terme. Nos équipes sont donc stables. Parfois, une place se libère. Mais les candidats sont nombreux et la sélection ciblée: en plus d’être épicurien, il faut notamment connaître les métiers de bouche, cuisiner soi-même, se montrer curieux, explorateur dans toute la Suisse romande et ne pas être lié au monde de la restauration.
Vous n’en avez pas marre, parfois, du restaurant ?
Jamais ! Si la moindre lassitude devait se profiler, il faudrait urgemment que je change de job. La priorité, c’est de transmettre de l’enthousiasme, de dénicher de belles et bonnes adresses... Ce qui me paraît impossible si l’on est en état de démotivation. Pour moi, chaque nouveau repas est une aventure et je m’en réjouis. La preuve : même quand ce n’est pas pour le travail, nous allons souvent au restaurant.
Les guides traditionnels ont-ils encore un sens au regard de la profusion d’information disponible sur le net ?
Les sites gratuits d’évaluation de restaurants représentent évidemment une forme de menace. Je reste néanmoins confiant. Car je suis persuadé que l’information gratuite n’existe pas. Si on ne veut pas l’acheter, il faut que quelqu’un d’autre la paie. Mais avec quel bénéfice ? Très vite on glisse vers des formes de publicité déguisée qui ne sont pas à l’avantage du consommateur. Et celui-ci finit toujours par s’en rendre compte : pour l’instant, en tous les cas, le GaultMillau Suisse en version papier reste un best-seller. La version ipad/iphone également.
Et les blogs ?
Il y a des blogs très pointus, pertinents, amusants. Beaucoup d’entre eux véhiculent une information valable et désintéressée. En revanche je n’en connais pas qui soient mis à jour régulièrement. Et le nombre d’adresses qu’ils contiennent reste généralement limité. Quand ce n’est plus le cas, c’est parce que le blogueur a trouvé un sponsor. Et ce dernier va fatalement influencer le contenu proposé.