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Croissance européenne: Super mario encore loin du compte

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Jeudi, 12 Novembre, 2015 - 06:00

Dossier. La croissance dans la zone euro sera plus élevée que prévu cette année, selon la Commission européenne. Une embellie qui s’explique par les mesures exceptionnelles prises par la Banque centrale européenne? En partie seulement.

Mathilde Farine et Servan Peca

Mario Draghi peut au moins se féliciter de deux choses. D’abord, on ne parle plus du risque d’éclatement de la zone euro depuis plusieurs mois. Ensuite, c’est la Commission européenne qui l’a dit la semaine dernière, la croissance repart et sera même un peu plus élevée que prévu cette année, à 1,6%.

La zone euro revient de loin. Après avoir subi la crise financière puis celle de la dette, après avoir dû venir à la rescousse de plusieurs pays membres de l’euro, elle n’avait plus connu un tel dynamisme depuis 2008. Même si l’on ne peut pas encore parler d’une économie en bonne santé.

Comme le montre la situation de quatre pays ayant éprouvé de graves difficultés financières, qui les ont conduits pour certains à appeler l’Union européenne à l’aide – l’Irlande, l’Italie, l’Espagne et le Portugal –, les mesures de la Banque centrale européenne (BCE) ont largement aidé au redressement. Et c’est Mario Draghi qui apparaît comme le sauveur de l’euro.

Une nomination critiquée

Lorsqu’il reprend les commandes de la Banque centrale européenne (BCE), en automne 2011, celui qu’on appelait déjà Super Mario se trouve face à une zone en proie à une crise existentielle et à une économie dans un piteux état. Sa nomination suscite d’ailleurs une levée de boucliers. Donner les clés d’une institution supposée garantir la stabilité des prix à un Italien, alors que ces derniers sont connus pour leur laxisme? Le quotidien populaire allemand Der Bild s’étrangle: «A aucun prix cet Italien!» Avant d’enfoncer le clou: «Chez les Italiens, l’inflation est à la vie ce que la sauce tomate est aux pâtes.»

Raillé pour ses origines, jugé suspect pour son passage dans la banque américaine considérée comme la plus sulfureuse, Goldman Sachs, Mario Draghi arrive alors au pire moment. Le Français Jean-Claude Trichet, qui l’a précédé, a ouvert les robinets des liquidités mais a rechigné à faire davantage que racheter de la dette. Plus critique, il a même remonté les taux en 2011, rendant la tâche encore plus difficile à l’Italien, forcé de jouer les pompiers de service.

Là où le Français freine, le Florentin fonce. Il applique plusieurs mesures pour éviter l’asphyxie des banques, mais cela ne suffira pas à relancer la zone euro. A l’été 2012, la monnaie unique est menacée d’éclatement. Mario Draghi prononce alors la phrase, qui marquera un tournant: «La BCE fera tout ce qu’il faudra pour sauver l’euro.»

A cette invective, les marchés se calment. L’Italien promet ensuite de venir en aide aux pays étranglés par leur dette. Si la crise de la dette se tasse, l’économie ne redémarre toujours pas. Début 2015, la BCE lance son QE (quantitative easing), comme l’ont fait les Etats-Unis avant elle. Depuis janvier, elle peut ainsi racheter des dizaines de milliards d’euros de dette souveraine de tous les pays, dont près de 100 milliards de Bund allemands et 63,2 milliards de titres italiens. Et elle pourrait décider de rallonger son programme le mois prochain, selon maints économistes.

Facteurs temporaires

L’embellie est bien là, mais il y a un bémol. Si Mario Draghi pouvait apparaître en mars dernier comme «l’homme le plus puissant d’Europe», selon le quotidien Le Monde, il ne parvient cependant pas à tout contrôler. La croissance est surtout soutenue par des facteurs temporaires, comme la baisse des cours du pétrole, qui agit sur le prix de l’essence, du chauffage, des matières premières, bref sur le portemonnaie des ménages et des entreprises. Il y a aussi la faiblesse de l’euro. Alors que les Etats-Unis s’apprêtent à sortir de l’ère des taux zéro, la monnaie européenne a perdu du terrain face au dollar américain. Un coup de pouce indéniable aux exportations européennes.

Ainsi, le problème central demeure. Pour améliorer l’état des finances publiques, il faut de la croissance. Mais pour que la reprise s’affirme, voire s’accélère, il faut de l’investissement. C’était d’ailleurs le but premier de la Banque centrale européenne: faire en sorte que les instituts financiers soient plus enclins à financer les projets des entreprises. Et que ces dernières, de leur côté, aient envie et besoin de cet argent pour investir dans la production et l’innovation. Or, sur ce point, l’Europe est encore loin du compte.


 


Croissance encore fragile au Portugal

Le Portugal est parfois cité parmi les exemples des bienfaits des cures d’austérité. Sans broncher ou presque, le pays a mis en place les mesures exigées par ses créanciers, pour la plupart des réductions des dépenses publiques et des libéralisations. Puis, sortant la tête de l’eau, Lisbonne a remboursé ses dettes en mai 2014 et retrouvé de la croissance. Miracle? Ce serait oublier le fait que l’économie n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, que le chômage reste à un sommet. Il a certes diminué, depuis son record de 16,4% en 2013, mais il reste à 12,6% cette année, selon les prévisions de la Commission européenne. Il était en dessous de 8% avant la crise.

Si le pays a retrouvé de la croissance, celle-ci demeure proche, voire en dessous de la moyenne de la zone euro, souligne Luis Farias, économiste et fondateur du think tank libéral Contraditório. «En observant les aspects structurels de l’économie portugaise, on constate que la croissance est fragile. Les finances publiques ne sont pas roses et les perspectives à long terme restent sombres», explique-t-il. De fait, poursuit l’expert, les dépenses publiques atteignent 49,5% du produit intérieur brut, la dette culmine toujours à 130% du PIB et l’objectif du gouvernement – atteindre un déficit public de 2,7% cette année – ne devrait pas être rempli, selon le FMI, qui table sur 3,1%.

Une situation qui rend le programme de soutien de Mario Draghi essentiel. Les taux d’intérêt de la dette souveraine portugaise à dix ans frôlaient les 16% au plus fort de la déroute, en janvier 2012, alors que le gouvernement s’apprêtait à demander l’aide internationale. «Ces rendements se maintiennent aujourd’hui aux alentours de 2,5%, bien en dessous des niveaux atteints pendant la crise», pointe l’économiste. Rien, pour lui, dans les mesures prises par le gouvernement n’explique cette chute, qui est le fait uniquement de l’intervention de la Banque centrale européenne (BCE).

A court terme donc, c’est l’institution basée à Francfort qui maintient le pays sous perfusion et qui empêche le gouvernement d’étouffer sous le poids du service de la dette. A plus long terme, la situation reste inquiétante. Car, prévient Luis Farias, «il n’y a pas de QE* miraculeux pour remettre le Portugal sur le chemin de la croissance». MF
* «Quantitative easing» ou assouplissement quantitatif (injection massive de liquidités dans l’économie).

Pedro Passos Coelho Lors de son précédent mandat, le premier ministre portugais a administré à son pays une cure d’austérité.


L’Espagne retrouve de la substance industrielle

L’action de Mario Draghi peut-elle encore sauver Mariano Rajoy? Le Parti populaire, dont est issu le premier ministre espagnol, doit défendre sa majorité le 20 décembre, lors des élections législatives. Mais celui qui a basé sa campagne sur la reprise économique peine à convaincre, même si les derniers chiffres tendent à parler en sa faveur.

Au cœur des débats, l’emploi. Un front sur lequel se situent les bonnes nouvelles en Espagne. Elle est LE pays où la situation progresse le plus vite. Depuis début 2015, près d’un nouvel emploi sur trois créé en zone euro est espagnol. Il faut dire qu’elle part de loin, puisque, à la fin de 2014, une personne sur quatre était au chômage. En décembre prochain, prévoit la Commission européenne, ce taux devrait se situer à 22,3% puis descendre à 20,5% en 2016.

Après un début d’année réjouissant, la croissance s’est quelque peu tassée à l’automne. Elle reste cependant positive et sera surtout soutenue par la consommation domestique. Le récent allègement des impôts sur le revenu et un meilleur marché du travail en seront les principaux contributeurs, selon Bruxelles. Pour certains, comme Ángel Laborda, économiste du groupe de réflexion Funcas à Madrid, «ces récents progrès sont basés sur des facteurs transitoires», comme le recul des cours du pétrole, la faiblesse de l’euro (pour les exportations) et le programme de soutien de la BCE.

Ce dernier produit de réels bénéfices, insiste Jesus Castillo, économiste de Natixis. Son QE* «a créé des conditions monétaires devant inciter les banques à prêter plus aux ménages et aux entreprises. Les grands problèmes des établissements financiers espagnols étant derrière eux, ils sont désormais plus prompts à le faire.» L’autre bonne nouvelle, poursuit-il, c’est que la demande de crédits progresse elle aussi. Dans l’immobilier, cause principale de la crise dans laquelle ont été plongés l’Espagne et son secteur financier, la croissance des nouveaux prêts est «impressionnante», précise Jesus Castillo.

Du côté des entreprises aussi, la volonté d’emprunter pour investir se confirme. Après une croissance des investissements en machines et en biens d’équipement de 12% en 2014, la progression a atteint 9%, au premier semestre 2015. «Les capacités sont en train de se reconstituer, l’Espagne a cessé de perdre de la substance industrielle», résume l’économiste de Natixis. Il y a cependant un hic: l’absence d’inflation (–0,5% en 2015). A court terme, elle offre certes du pouvoir d’achat aux ménages. Mais à moyen terme, la déflation décourage les initiatives patronales. «Qui voudrait investir pour produire puis vendre des biens à des prix qui reculent?» interroge l’économiste. SPE

Mariano Rajoy Le président du gouvernement espagnol a basé sa réélection sur la reprise économique. Et peine à convaincre.


L’Italie mise surtout sur la demande intérieure

Dans la zone euro, l’Italie est le pays ayant accumulé la plus grosse dette publique. Celle-ci s’élève à 2184 milliards d’euros, soit 132% de son PIB. L’Etat est alors de ceux qui profitent le plus du programme d’assouplissement quantitatif de la BCE. Le QE* fait baisser les taux de refinancement du gouvernement, donc le coût de sa dette. Au plus fort de la crise, fin 2011, les rendements des emprunts italiens à dix ans s’élevaient à plus de 7%. Aujourd’hui, ils sont passés en dessous de 1,70%.

Grâce aux interventions de la BCE, le gouvernement économise ainsi 2 milliards d’euros par an, estime Nicola Borri, du département d’économie et de finance de l’université LUISS à Rome. Mais la vraie bonne nouvelle, c’est qu’une partie de ces gains est répercutée sur l’économie réelle. «Ce qui permet de faire baisser les impôts des entreprises et des ménages», souligne l’économiste.

En revanche, les liquidités ont beau être abondantes, les taux ont beau être bas, la circulation du crédit dans l’économie réelle laisse à désirer. En Italie, poursuit Nicola Borri, il y a d’un côté les multinationales exportatrices qui n’ont pas vraiment besoin de financements. De l’autre, il y a les PME, actives sur un marché domestique sans grande vigueur. «La demande intérieure est faible. Du coup, il existe assez peu de projets d’investissements, explique-t-il. Les banques ont de l’argent à disposition. Mais les entreprises qui en veulent sont celles qui sont en difficulté. Et n’en obtiennent pas.»

Depuis quelques mois, la confiance paraît néanmoins s’améliorer. D’après la Banque d’Italie, les instituts financiers se montrent (un peu) moins frileux à prêter. La demande semble alors vouloir s’accélérer d’ici à la fin de l’année. Dans ses prévisions d’automne publiées jeudi, la Commission européenne estime, elle, que la lente reprise va se confirmer ces prochains mois. La croissance devrait être de 0,9% en 2015 (contre –0,4% en 2014) et de 1,4% en 2016. Quant aux incitations fiscales au recrutement, elles semblent porter leurs fruits. Les chiffres du chômage ne devraient toutefois s’améliorer que très graduellement (12,2% en 2015). Le premier ministre, Matteo Renzi, vient par ailleurs de promettre plusieurs coups de pouce aux ménages pour soutenir la consommation.

De nouvelles interventions de la BCE? «Elles aideraient, répond Nicola Borri. Cela pourrait même ramener un peu d’inflation.» Et ainsi réduire mécaniquement la dette publique. Rome prévoit d’ailleurs, pour la première fois depuis huit ans, une dette publique en recul en 2016. A 131,4% de son PIB. SPE

Matteo Renzi Le président du Conseil italien vient de promettre plusieurs coups de pouce aux ménages pour soutenir la consommation.


Le rebond «exceptionnel» de l’irlande

Un rebond «exceptionnellement fort». C’est ainsi que la Commission européenne qualifie l’évolution de l’économie irlandaise dans ses prévisions d’automne, rendues récemment publiques. De fait, celle que l’on appelait encore il y a peu le «tigre celtique» vient à peine de retrouver son niveau d’avant la crise, tandis que le chômage est encore trois fois plus élevé qu’il y a huit ans.

Un retour à la case départ, en somme, dans un pays qui a plongé dans une crise d’une violence terrible en 2007. L’éclatement de la bulle immobilière pousse plusieurs banques à la faillite, rattrapées à deux doigts du gouffre par l’Etat, qui se retrouve endetté au point de demander l’aide de l’Europe. Avant le sauvetage des banques, la dette publique n’atteignait que 26% du PIB. Elle devrait passer l’an prochain juste au-dessous de la barre des 100%.

Aujourd’hui, l’Irlande affiche une croissance digne des pays émergents: 5,2% en 2014, 6% cette année et «seulement» 4,5% l’an prochain, selon la Commission. «La reprise de l’économie irlandaise est solide. Elle était d’abord entraînée par des facteurs externes comme les exportations, mais la consommation et l’investissement ont pris le relais ces douze derniers mois», explique Kieran McQuinn, professeur associé à l’Institut de recherches économiques et sociales (ESRI) à Dublin.

Si l’éclatement de la bulle immobilière a fait des ravages, les économistes s’accordent à dire que les fondamentaux de l’économie sont restés bons, d’où le redécollage rapide. La dépréciation de l’euro, la vigueur de la croissance américaine et britannique – les principaux partenaires commerciaux de l’Irlande – ont aidé, de même que l’impôt sur les entreprises dont le taux est bien plus bas que dans le reste de l’Union européenne. Mais les interventions de la Banque centrale européenne (BCE) ont aussi alimenté le rebond, admet Kieran McQuinn, qui cite surtout celles de 2012, davantage que le QE* lancé en début d’année alors que l’économie avait déjà retrouvé le chemin de la croissance.

«Les mesures extraordinaires ont participé à réduire les écarts de rendement des emprunts d’Etat, alors que le pays avait accumulé une masse très importante de dette publique pour venir en aide aux banques. Cela a permis de stabiliser les finances publiques», poursuit l’expert. Le QE a également aidé en maintenant les taux d’intérêt bas et en poussant l’euro à la baisse face au dollar. Ces interventions ont également contribué à atténuer les effets de la crise immobilière dans la mesure où beaucoup de prêts hypothécaires avaient été conclus à taux variables: leur hausse ayant été limitée, moins de ménages se sont retrouvés au bord du précipice, ajoute l’économiste. MF

Enda Kenny Grâce aux résultats de sa politique de rigueur, le premier ministre irlandais a été cité en exemple par ses partenaires européens.

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