Reportage. Dans la localité du Vaucluse, la candidate frontiste a obtenu la majorité absolue dès le premier tour des régionales, le 6 décembre. Jour d’élection dans une ville Front national.
Antoine Menusier Le Pontet (Vaucluse)
Il est 18 heures, les bureaux de vote ferment au Pontet, commune Front national du Vaucluse, dans la banlieue d’Avignon. Le dépouillement peut commencer. «Marion Maréchal, Marion Maréchal», égrène à n’en plus finir le chef du bureau numéro 10, installé dans l’école maternelle Louis Pasteur. Dans la petite ville de 17 000 habitants salement frappée par le chômage, la candidate frontiste gagne d’emblée à la majorité absolue, récoltant 53,73% des voix. Il lui manque six points pour enlever sans plus tarder le département dont elle est la députée depuis 2012, élue à l’âge de 22 ans dans la circonscription de Carpentras.
A hauteur d’électeur, on ne voit pas comment la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) pourrait échapper à ce prodige de la politique, dimanche 13 décembre. Les 40,5% obtenus au premier tour la rendent pour ainsi dire imbattable face à son unique adversaire, le républicain (ex-UMP) Christian Estrosi, maire de Nice. Le socialiste, arrivé troisième avec seulement 16,6% des voix, s’est désisté.
D’habitude, Karim ne se déplace pas pour les régionales, un scrutin de liste qui l’emballe peu. «Là, c’est différent», dit-il, regagnant sa voiture garée sur le parking de la maternelle Louis Pasteur. Dans le département voisin du Var, son père, bien que pas très valide après un récent passage en clinique, a tenu lui aussi à remplir son devoir de citoyen. Il y avait urgence, ont-ils jugé l’un et l’autre, originaires d’Algérie. Leur vote – PS – n’a rien pu contre la déferlante «Marion». Mais tous deux, avec d’autres, en se mobilisant, auront peut-être empêché que ce ready-made du lepénisme ne l’emporte au premier tour déjà.
En tête dans six régions sur treize, pouvant en gagner deux, voire trois (Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Grand-Est, en plus de PACA), le parti présidé par Marine Le Pen, tante de Marion, peut bien être qualifié d’extrême droite, cette épithète infamante n’impressionne plus grand monde dans les milieux populaires, vivier du Front national. Comme si trente ans de clochardisation sociale avaient eu raison du tabou du «vote FN», au point de le rendre contre-productif, sinon inconvenant. Dimanche 6, le tabou a définitivement sauté. Le Front national est devenu premier parti de France, ce que les élections européennes de mai 2014 avaient déjà montré. Sauf que, aujourd’hui, c’est sur le territoire national et non à Bruxelles que cela se passe. Le parti à la flamme tricolore est engagé dans une «Reconquista» identitaire. Sa cible: l’immigration musulmane.
«On a commencé petit, petit, on faisait les boîtes aux lettres, se souvient Jeanne, électrice Front national du Pontet, une ex-aficionada de Jean-Marie Le Pen. Maintenant, c’est Marion.» Jeanne veut une France avec «moins d’immigrés». «Ils se reproduisent comme des cafards, ont tous les droits et bénéficient des allocations familiales au détriment des Français», dit-elle à leur propos, usant ici d’un vocabulaire d’extrême droite. Le combat du FN, c’est aussi la lutte pour le pactole des aides sociales. L’assiette est large et la quantité limitée. Inutile de tirer à la courte paille, l’origine et la religion décideront des ayants droit.
La nourriture manque, l’espace aussi, visiblement. «On ne se sent plus chez nous, estime un grand jeune homme. Chez le coiffeur d’à côté, c’est Bagdad, elles sont toutes voilées. Ils ont essayé de me voler ma moto, ils s’y sont mis à sept. En boîte, c’est avec eux qu’on se bat.» Sa copine affirme avoir «failli [se] faire enlever trois fois». Un programme d’action se dessine: «On ne veut plus être sur la défensive, on veut passer à l’attaque», lâche le copain.
Montrer qui commande. Ce Français-là est bien décidé à ne plus baisser la tête devant l’Arabe, comme avant lui l’Arabe s’était résolu à ne plus le faire devant le Français. Dans les milieux maghrébins des années 80, il s’agissait pour les fils de laver la «honte des pères», «spoliés par les colons, exploités par les patrons». Tel était le tableau. Aujourd’hui, les rôles s’inversent: l’électeur FN ne veut plus être le «bougnoule» de l’Arabe. Il refuse la «soumission». Son vote, sa revanche. Tel est le schéma.
«Marion, on t’aime!»
Paul est venu de Carpentras assister à la soirée électorale du Front national, qui se tient dans une salle de gymnastique du Pontet. La décoration est sommaire mais le buffet est généreux. Marion Maréchal-Le Pen apparaîtra quelques minutes et fera un discours. «Marion, on t’aime!» lance la foule, en alternance avec «On est chez nous!». Paul ne tarit pas d’éloges sur la nièce surdouée, catholique conservatrice, ce soir-là en tailleur fuseau noir et petit pull rose pâle, chaînette et médaillon dorés autour de son cou gracile. «Elle vient de passer son permis moto, elle fait de la moto à Carpentras», dit-il, admiratif de sa jeunesse moderne. Ce qui l’inquiète, ce sont les «35% de musulmans» présents dans cette sous-préfecture du Vaucluse. «Ils nous regardent de haut, et le vendredi, jour de prière, ils se garent n’importe où, affirme-t-il. Mes deux filles ont peur de sortir. Je ne dis pas qu’elles sont agressées, mais tout le temps elles ont l’impression d’être dévisagées par des femmes voilées.»
La ville compte une mosquée, une autre est en construction, visée par un coup de feu en juin dernier. Paul pense qu’une deuxième, «c’est trop». «Je suis catho et je ne veux de mal à personne, dit-il. J’ai des amis musulmans, en vrai, mais il faut arrêter les voiles. Les juifs ont aussi une façon de vivre, mais ils n’empoisonnent personne. Les musulmans, comme ils ne sont pas élevés, il advient ce qu’il advient.»
En 1983, lorsque Jean-Marie Le Pen a commencé à prendre de la place dans le paysage français, des Maghrébins en faisaient des cauchemars la nuit. Les parents avaient peur, leurs enfants aussi. «On était de sales Arabes, on est devenus de sales musulmans. On était des voleurs, on est devenus des terroristes. Pour nous, ça change pas», disent deux commerçants du Pontet. En 1983, la pratique de l’islam était peu répandue. Elle est aujourd’hui nettement plus développée. Des musulmans, changeant de mode de vie, ont parfois coupé les liens avec d’anciennes connaissances «françaises». Les deux commerçants musulmans ne semblent pas particulièrement inquiets de ce qui pourrait leur arriver et ne songent pas à quitter le pays. «On est Français, dit l’un d’eux. Marine? On est beaucoup de musulmans en France.» Bravade ? Ce type de propos indique qu’une partie des musulmans se place dans un rapport de force avec ceux qui contestent, sinon leur présence, du moins leur visibilité.
Gilles, 54 ans, né de parents espagnols, ne s’est pas joint aux agapes du Front national. Après avoir voté Marion Maréchal-Le Pen, il est resté longtemps sur le parking de la maternelle Louis Pasteur, près de sa moto, dans la brume des réverbères. Physiquement, il tient de Pasolini ou de Genet, même gueule marquée, et ce qu’il raconte, ses mots soulignent davantage encore la ressemblance avec l’œuvre des deux marginaux. Le 13 novembre, la nuit des attentats, il était enfermé dans la prison du Pontet, pour conduite alcoolisée. «François Hollande, la tapette, on peut pas dire, pour une fois, il a été là. En cellule, les bons Arabes ont dit: «C’est pas bien.» Les mauvais Arabes ont dit: «C’est bien fait pour les Français.» Il ne peut pas y avoir de guerre civile entre nous. Qui est le bon? Qui est le mauvais? On ne peut pas savoir. On est condamné à subir.»
Pour «faire barrage»
Cet électeur FN un peu mélancolique est plutôt satisfait de l’action du jeune maire Front national du Pontet, Joris Hébrard, 33 ans, élu en 2014, «un fonceur», disent ceux qui le connaissent. «Apparemment, il a déjà effacé la dette de la commune et jeté toutes les associations de mes deux», se félicite Gilles. Sandrine Bajard est l’adjointe du maire à la culture, dotée d’un budget de 75 000 euros. Ce dimanche 6, elle se rend en fin d’après-midi à une représentation théâtrale, Un Noël de ouf!, donnée au château de Fargues, une bâtisse fortifiée qui remonte au temps où les papes étaient en Avignon. Elle a mis en place «un tremplin rock pour des jeunes qui démarrent, seuls ou en groupe». Le gagnant se voit offrir une session d’enregistrement dans un studio professionnel. La municipalité a par ailleurs décidé de s’ouvrir culturellement chaque année «à un pays étranger». «En 2015, c’était l’Irlande, des groupes de rock ont fait le déplacement, explique Sandrine Bajard. Ne voyez là aucune connotation liée à la culture celtique. D’ailleurs, l’année prochaine, l’invité devrait être l’Italie.»
Juliette et Thomas ont voté PS pour «faire barrage» au Front national. Chacun a un travail intéressant, en ville, à Avignon. Bref, ce sont des bobos. A l’image des personnes assassinées le 13 novembre à Paris, au Bataclan, durant un concert des Eagles of Death Metal. A ce propos, ils avaient prévu d’aller voir le groupe californien le 7 décembre à Nîmes. Déprogrammée en raison du drame, sa venue a été reportée à février. «A part ça, la vie dans le Vaucluse, c’est génial», assure le jeune couple.
Les prénoms cités dans l’article ont été modifiés