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Banques: le prix du passé

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Jeudi, 7 Janvier, 2016 - 05:53

Analyse. Les amendes pleuvent sur les grands établissements bancaires suisses à qui les Américains reprochent leur assistance à l’évasion fiscale. Comment la place financière suisse s’est-elle retrouvée dans un tel piège? L’exemple de la BCV.

Les fêtes de fin d’année ont pris un goût doux-amer pour plusieurs grandes banques suisses: celui de sévères amendes prononcées par l’administration américaine. Le 23 décembre, comme quatre autres établissements, la Banque cantonale vaudoise (BCV) se voyait infliger une pénalité de 41,68 millions de dollars par le ministère américain de la Justice (Department of Justice, ou DoJ). Le 31 décembre, la banque privée genevoise Lombard Odier en recevait une de 99,81 millions. La veille, Julius Bär, troisième plus grande banque de gestion de fortune du pays, annonçait qu’elle élevait au montant impressionnant de 547,25 millions de dollars la provision constituée en vue de régler son litige avec Washington.

Spectaculaires, ces amendes sont néanmoins accueillies avec un certain soulagement par ces banques. Contrairement à ce que la place financière craignait, elles ne vont pas mettre en péril ces trois établissements, comme elles n’ont pas entraîné la fermeture d’UBS, contrainte de payer 780 millions de dollars en 2009, ni celle de Credit Suisse, acculé à verser le montant record de 2,8 milliards en 2014. Ni même l’écrasante majorité de la petite centaine de banques suisses sanctionnées par les Etats-Unis. Elles sont toutes bien assez solides.

De plus, ces sanctions financières marquent la clôture d’un «dossier lourd», comme l’avait qualifié en décembre dernier Patrick Odier, président de l’Association suisse des banquiers (ASB). Un long et pénible processus de régularisation, qui a vu chaque banque mobiliser des dizaines d’employés et mandater des études d’avocats et des auditeurs externes à coup de millions de francs.

Ces amendes donnent aussi un prix, celui de l’aide apportée par ces banques pendant des années aux contribuables américains qui cherchaient à échapper au fisc des Etats-Unis sous le couvert du secret bancaire. Et plus particulièrement celui de leur lenteur à comprendre, en 2008, à la suite des déboires d’UBS, que le temps de l’aide à l’évasion était terminé pour leurs clients américains et qu’elles devaient prendre un virage majeur, celui de la transparence fiscale.

Ce prix, la place financière suisse commence désormais à le chiffrer. Il s’élève actuellement à 4,6 milliards de francs. Et devrait encore progresser. C’est moins que ne le craignait l’ASB en 2013, lorsqu’elle le décrivait «à la limite du supportable sur le plan économique». Mais les critères retenus par le DoJ pour déterminer les montants exacts des pénalités restent passablement obscurs et les banques ne sont pas traitées de la même manière.

Il y a celles contre qui la justice américaine a ouvert des enquêtes à charge entre 2009 et 2013, et qui cherchent à transiger plutôt que de se voir traîner devant un tribunal. Credit Suisse, Julius Bär, Pictet, la filiale suisse de HSBC, les banques cantonales de Zurich et de Bâle-Ville en font partie. Pour ce groupe, la facture atteint déjà 4,07 milliards de dollars et devrait encore grimper.

Il y a encore les banques qui ont préféré, à l’automne 2013, participer à un programme négocié en août de cette année-là entre le Département fédéral des finances (DFF) et le DoJ, par lequel elles s’engagent à faire toute la lumière sur leurs actions passées et à s’acquitter de pénalités. En contrepartie, le DoJ promet de ne pas les poursuivre devant les tribunaux. Septante-cinq banques ont déjà réglé leur situation au terme d’examens très longs et coûteux de leurs activités. Pour ces dernières, la facture totale s’élève à 1,13 milliard de francs.

L’accord d’août 2013 classe les banques en quatre catégories. Catégorie 1 pour la douzaine qui font déjà l’objet de poursuites. Catégorie 2 pour la centaine qui participent au programme de non-poursuites. Catégorie 3 pour celles qui estiment ne rien avoir à se reprocher. Catégorie 4 pour celles qui sont trop modestes pour être concernées (caisses d’épargne régionales par exemple).

La BCV dans le flou

Rangée dans la catégorie 2, la BCV livre un exemple de la difficulté à comprendre ce que les autorités américaines voulaient précisément après l’éclatement de l’affaire UBS, en 2008. Visant en premier lieu une clientèle grand public basée dans le canton de Vaud, l’institution n’a pas cherché activement à démarcher des clients américains pour les aider à tricher face au fisc des Etats-Unis. Elle n’a pas envoyé, contrairement à d’autres, des gérants de fortune sur territoire américain et ne s’est pas lancée non plus dans la constitution systématique de sociétés offshores, structures généralement employées par les fraudeurs pour se cacher.

Néanmoins, elle s’est vu reprocher par Washington d’avoir ouvert 265 nouvelles relations bancaires, notamment des résidents suisses assujettis pour diverses raisons au fisc américain, sans avoir vérifié si ces personnes étaient en conformité aux Etats-Unis.

En 2008, la banque s’était trouvée débordée par les demandes d’ouvertures de comptes. Son directeur général, Pascal Kiener, explique à L’Hebdo: «Nous en avons reçu quelque 10 000 de plus qu’une année normale. Il s’agissait quasiment exclusivement de clients suisses, qui cherchaient refuge vers des banques solides, étant donné les graves difficultés financières d’UBS. Mais il y avait aussi des US Persons, 265, c’est-à-dire moins de 3%. Pour chacun, nous avons effectué les contrôles réglementaires usuels concernant l’identité de l’ayant droit et l’origine des fonds. Mais nous n’avons pas vérifié leur situation fiscale.»

Pourquoi cet afflux de nouveaux clients n’a-t-il pas éveillé la méfiance des dirigeants de la BCV? Pascal Kiener plaide qu’il était très difficile de comprendre la nature et l’étendue exactes des reproches faits à UBS, contrainte alors d’annoncer publiquement devant une commission du Congrès son intention de se retirer de la gestion de fortune privée pour les Américains domiciliés aux Etats-Unis. «A l’époque, il semblait que ce qui était visé, c’était certaines activités avec des personnes résidant aux Etats-Unis. Dans l’incertitude, il était difficile pour un établissement actif en Suisse de déterminer s’il fallait réagir et comment. La première source d’information officielle en Suisse a été le rapport de la Finma du 18 février 2009.»

Cependant, en automne 2008, «face à l’incertitude croissante», la BCV commence à prendre des mesures. A partir de novembre, les nouveaux clients US Persons ne sont plus acceptés dans le private banking. En décembre, l’interdiction est étendue à toute la banque. A partir de juillet suivant, la BCV décide de mettre un terme aux relations avec des personnes résidant aux Etats-Unis et, par étapes, de demander une preuve de conformité fiscale aux autres.

Mais elle a continué à offrir pour les clients existants des services traditionnels des banques suisses comme les comptes à numéro et les services de banque restante (le courrier destiné au client est adressé à une boîte postale à l’intérieur de la banque). Pourtant, bien que légales en Suisse, ces pratiques étaient dénoncées de longue date par les fiscs étrangers comme des moyens de dissimulation supplémentaires.

Soulagement

A l’instar de la très grande majorité des banquiers suisses, les dirigeants de la BCV n’ont ainsi pas su interpréter assez tôt les signaux pourtant toujours plus clairs émanant de Washington. A leur décharge, ils n’ont pas été aidés par les autorités fédérales, en particulier par l’ancien conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz, alors chef du DFF, dont le manque de clairvoyance a par la suite été vertement critiqué par une commission parlementaire.

Après deux ans de procédures très exigeantes (20 personnes employées à plein temps sur ce dossier, jusqu’à 40 parfois) et coûteuses (quelque 50 millions de francs, amende comprise), la BCV se réjouit de tourner la page, à l’instar des 74 autres banques de catégorie 2 qui ont clos ce chapitre elles aussi.

La Suisse n’en a cependant pas fini avec le règlement du passé. Outre les établissements de catégorie 1, qui doivent encore solder leur contentieux avec Washington, plusieurs institutions sont visées par la justice allemande et, dans une moindre mesure, par les juges français. Enfin, les dispositifs mis en place pour assurer l’échange automatique d’informations, qui entreront en vigueur l’an prochain, doivent encore être évalués par l’OCDE. Ce qui devrait être fait cette année. Pour s’adapter, les banques n’ouvrent de compte de private banking qu’aux personnes provenant des pays dont elles connaissent la législation financière ainsi que la fiscalité, et maîtrisent les risques.

Elles restent toutefois dans l’incertitude sur le traitement réservé aux contribuables suisses. Deux logiques contradictoires s’affrontent. D’une part, Berne a criminalisé le «blanchiment de fraude fiscale». D’autre part, l’initiative visant à «préserver la sphère financière privée», inspirée par le banquier et conseiller national UDC zurichois Thomas Matter, veut bétonner le secret bancaire dans le pays. Mais ce texte est combattu autant par les cantons que par les banquiers. S’il devait être adopté, les premiers seraient les grands perdants et les seconds redoutent de se voir imposer par la Confédération l’obligation de vérifier par eux-mêmes la conformité fiscale de tous leurs clients domestiques. Pour une fois, l’arbitrage sera rendu non pas par les juges ou les fonctionnaires américains mais par le peuple suisse. Mais, quelle que soit l’issue du vote, l’exploitation du secret par les banques appartient à l’histoire.

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