Interview. Face à certains troubles du sommeil, la thérapie cognitivo-comportementale peut conduire à de considérables améliorations.
Pour 43% des Suisses, les problèmes d’insomnie sont une réalité régulière. Si ces difficultés à trouver le sommeil se révèlent souvent passagères, elles se transforment parfois en un véritable cercle vicieux se prolongeant sur des mois, voire des années.
Face à de telles situations, il est important non seulement de retrouver une bonne hygiène du sommeil, mais aussi de se départir d’une trop grande attente sur la façon dont doivent se dérouler les nuits, car des inquiétudes excessives peuvent engendrer une aggravation de l’insomnie. Ce sont notamment sur ces aspects que travaille la thérapie cognitivo-comportementale (TCC). Cette approche a démontré d’excellents résultats, y compris sur des patients voulant arrêter les somnifères. Le point avec Katerina Espa Cervena, psychiatre au laboratoire du sommeil des HUG.
Comment la TCC fonctionnet-elle pour traiter les problèmes d’insomnie?
Cette approche multimodale s’attaque à différents fronts simultanément. D’un côté, elle va s’adresser à certaines habitudes, croyances ou anxiétés liées au sommeil pouvant faire perdurer les problèmes d’insomnie. Il s’agit notamment de déconditionner le patient par rapport au lit, en lui demandant d’éviter à tout prix d’y lire, d’y manger, d’y regarder la télévision ou encore de s’y tracasser. Les seules activités autorisées y étant le sommeil et le sexe. D’un autre côté, on vise une amélioration de l’hygiène du sommeil. Cette démarche s’appuie sur plusieurs recommandations. On demande par exemple au patient d’avoir des soirées calmes, sans stimulations intellectuelles ou émotionnelles intenses jusqu’à deux heures avant le coucher. Il faut également être attentif à maintenir une température adéquate dans la chambre, manger léger le soir et éviter la prise de substances stimulantes, comme la caféine et l’alcool, plusieurs heures avant d’aller au lit. Enfin, il est très important d’observer des rythmes stricts de lever et de coucher. Ces restrictions peuvent être très sévères au début de la thérapie, par exemple pas plus de cinq heures par nuit, pour progressivement atteindre une durée de sommeil correcte. Cette privation volontaire aura pour conséquence de booster la régulation homéo-statique du sommeil et, ainsi, d’aller au lit vraiment fatigué. De quoi redonner confiance au patient en ses capacités à dormir.
L’insomnie est souvent le fait d’événements déclenchants. Quels sont-ils en règle générale?
Il s’agit le plus souvent d’un stress professionnel ou familial. Certains patients pensent que seuls un deuil ou un licenciement peuvent déclencher une insomnie, mais en réalité il s’agit, la plupart du temps, de plusieurs facteurs de stress mis bout à bout. De même, des épisodes heureux peuvent aussi déclencher des troubles du sommeil chez les personnes qui y sont prédisposées.
Justement, pourquoi, face à des événements de nature identique, certaines personnes vont développer une insomnie et d’autres pas?
Il existe des facteurs prédisposants. Ceux-ci peuvent être d’ordre génétique, d’autres sont davantage de nature psychologique. Les personnes à tendance perfectionniste, par exemple, sont plus à risque de développer une insomnie chronique.
Combien de séances sont-elles nécessaires pour obtenir des résultats?
Pour les thérapies de groupe, on prescrit en général huit séances hebdomadaires d’une durée d’une heure et demie à deux heures. Individuellement, le processus est plus souple. Il faut prévoir en moyenne quatre ou cinq séances. Tout dépend de la vitesse à laquelle on adhère au concept.
La TCC est-elle efficace pour le sevrage des somnifères?
La prise de benzodiazépine n’est pas un obstacle pour la TCC, mais il faut néanmoins prévoir un sevrage très lent. Il est généralement recommandé de diminuer la dose de 25% par semaine, mais cela peut parfois être trop brutal pour certains patients chez qui cela renforce le sentiment d’échec. C’est pourquoi j’utilise le principe de la lime à ongles. Au début on donne une dizaine de coups de lime au comprimé, ce qui ne représente presque rien sur le plan pharmacologique, mais beaucoup au niveau psychologique. Puis on augmente petit à petit en fonction du patient. Cela peut prendre plusieurs mois, mais cela permet d’éviter les effets secondaires liés à l’arrêt des somnifères.