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A la recherche d’un escort-boy (suite)

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Jeudi, 28 Janvier, 2016 - 05:44

Essai. Cette fois, j’ai cru que ça y était, que j’allais enfin pouvoir raconter la vie rêvée d’un véritable escort-boy. Mais, avec Louis non plus, rien ne s’est passé comme prévu.

Des femmes prêtes à payer pour s’offrir les services, plus ou moins sexuels, de l’homme d’un soir? Ça n’existe pas, ou plutôt ça existe surtout dans les fantasmes masculins. L’essor de l’escort-boy est un phénomène bidon: sur le marché de la rencontre tarifée, les candidats sont innombrables, les clientes inexistantes.

C’est ce que j’écrivais l’été dernier, après avoir cherché vainement, pendant des mois, un spécimen de l’espèce réputée montante («A la recherche d’un escort-boy», L’Hebdo du 9.7.2015). J’y racontais aussi mon entrevue avec Ramón, grand collectionneur de femmes mûres: les amatrices de voluptés éphémères ne manquent pas, m’avait-il confirmé, mais, dès qu’il s’agit de passer à la caisse, il n’y a plus personne.

Quelques jours après la parution de l’article, je recevais le premier message de Louis. Il s’y moquait gentiment de moi sur un ton bravache: «Très bien votre article, mais dommage que vous soyez tombée sur un petit joueur…» Louis m’explique en substance que Ramón ne sait pas s’y prendre. «Avec une bonne culture générale, de l’expérience et du savoir-faire, on arrive à des résultats exceptionnels!» Notre tombeur affirme qu’il vit, «depuis quinze ans, une vie de rêve».

Le golden escort superboy existe, c’est lui, et, si je veux, il me racontera tout. Enfin, dès qu’il sera rentré de son trek au Bhoutan. Car Louis voyage beaucoup. Dans les mois qui suivent ce premier message, il me bombarde de cartes postales live. Palmiers et daïquiris, champagne aux antipodes, palais exotiques et menus cinq étoiles, luxe, sable et volupté. Alors, la journaliste, elle s’est bien plantée, hein?!

Où je rencontre Louis

Après un intense combat intérieur au terme duquel la conscience professionnelle a triomphé de l’amour-propre, je me suis mise en devoir de rencontrer Louis. J’étais prête à reconnaître publiquement mon erreur et à vous raconter par le menu la vie rêvée d’un véritable escort-boy. J’ai fini par voir Louis, je l’ai longuement écouté. Pourtant, cette fois encore, les choses ne se sont pas passées comme prévu.

Disons-le, Louis m’a mise à la torture. D’abord, cinq minutes après le début de notre entretien, il admettait sans broncher que j’avais raison: les femmes qui le font vivre n’achètent pas les services d’un escort-boy. Elles croient avoir affaire à un homme amoureux et fidèle, le genre qui vous présente sa petite sœur (ce qu’il a fait, pour chacune d’entre elles). Malheureusement, ce charmant compagnon se trouve en détresse financière: à 56 ans, chacun sait qu’il n’est pas facile de retrouver du travail. Alors, comme elles ont les moyens et l’âme mi-midinette, mi-infirmière, elles lui donnent volontiers ce qu’elles préfèrent considérer comme un «coup de pouce».

Ce que vend Louis, c’est l’illusion d’une relation. Contrairement à Ramón, qui joue cartes sur table en annonçant d’emblée qu’il ne cherche pas à s’engager, mon nouvel interlocuteur ment comme un arracheur de dents. Et c’est pour ça que ça marche.

Louis m’a mise à la torture, disais-je, parce qu’il m’a raconté sa vie par le menu. M’a montré les photos sur son smartphone. M’a livré, sur ses acrobaties organisationnelles, mille détails qui m’ont donné le vertige et que je brûle de vous raconter. Mais que je ne peux pas vous raconter, car chaque détail est susceptible de trahir Louis, qui vit dans la hantise d’être démasqué. Il m’a parlé à condition que je n’en parle pas.

Oui: choisir une journaliste pour se confier sous le sceau du secret, c’est absurde. Mais en phase avec le personnage: Louis est un joueur, un gigolo de l’extrême, le danger l’excite. Il risque gros: si ses «sponsors» le lâchent, il est à la rue. Mais il ne peut pas s’empêcher de jouer avec le feu et d’y rajouter des briquettes. Ses copains s’inquiètent pour lui: tu vas exploser en vol, lui disent-ils, gardes-en une, quitte les autres et range-toi des voitures. Un conseil d’autant plus pertinent que, sous l’impeccable bronzage, les charmes du play-boy commencent à décliner.

«Une sorte d’esclavage»

Louis admet que ses amis ont raison, mais d’un autre côté, comme il n’est pas amoureux, il a besoin, pour tenir, de sa dose de diversité. Il parle comme un drogué: «Il faudrait que je me calme, c’est trop compliqué à gérer, ça devient superrisqué, oui, je vais arrêter…» Louis a beau être un oisif professionnel, il y a une fébrilité en lui qui fait craindre pour sa santé cardiaque. Je lui dis: «Vous me faites penser à un trader de Wall Street juste avant le krach.» Il trouve que c’est une bonne comparaison. D’ailleurs, avant de devenir gigolo, il a boursicoté en ligne. Et tout perdu.

Donc, je ne peux pas vous raconter les détails. Mais je peux vous dire que, comme tous les infidèles chroniques, Louis jongle entre plusieurs vies parallèles. Qu’il fait parfois le même voyage deux fois avec deux femmes différentes. Que le moment du dîner est particulièrement délicat à négocier, car il y en a toujours une autre qui appelle pour dire: «Coucou, où es-tu?» Et je ne vous parle pas de Noël et du 31, où il faut inlassablement inventer des motifs imaginaires d’absence, dûment documentés avec un stock de photos ad hoc, sans se prendre les pieds dans les fuseaux horaires au moment de l’envoi.

Rien de nouveau sous le soleil, direz-vous, cette espèce d’acrobate relationnel est abondamment documentée. Mais une différence de taille distingue Louis du mari adultère: sa dépendance matérielle totale des femmes qu’il trompe. «C’est une sorte d’esclavage», admet-il.

Plus il parle, moins j’arrive à croire que les femmes qui l’entretiennent sont vraiment dupes. J’en arrive à la conclusion qu’elles savent sans avoir envie de savoir. Parce que, à tout prendre, comme dit Louis, «je leur apporte beaucoup, c’est un échange». Elles sont jolies, éduquées, à peine plus âgées que lui. Pour leur faire la conversation, il se tient au courant de l’actualité, politique et culturelle – les résumés de livres, c’est pas fait pour les chiens. Il leur donne le bras au restaurant et, à la maison, les complimente pour leur cuisine. De temps en temps, une copine leur dit: «Il profite de toi.» De temps en temps, elles lui disent: «Tu me fais faire des folies.» Mais, l’un dans l’autre, elles choisissent de s’offrir cette illusion.

Une fois, Louis est tombé amoureux. Elle était belle et riche, et il se serait bien vu faire sa vie rien qu’avec elle. Hélas, elle n’était pas prête à l’entretenir. «Il aurait fallu me remettre au travail.» Et ça, quand même pas. D’ailleurs, il a trop de dettes: s’il recommençait à encaisser un salaire, il serait tenu au remboursement.

Voilà ce que je peux vous dire de Louis. Si je ne l’avais pas rencontré, je dirais que c’est un personnage de roman. Mais il est peut-être utile de savoir que ce genre de personnage n’existe pas que dans les romans.

Soyons clairs, sa vie rêvée m’a fait l’effet d’un cauchemar. Mais la question qui me taraude est autre: si Louis était né femme, il aurait pu, avec son éducation et ses qualités, aspirer à mener une existence d’épouse agréable et agréablement «sponsorisée». Je lui demande: «Toutes ces bourgeoises entretenues, vous ne trouvez pas ça injuste?» Il me regarde: il n’y avait pas pensé. 

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Getty, DR / Montage: David Wagnières
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