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AirBnB: enquête sur son fabuleux succès en suisse

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Jeudi, 21 Janvier, 2016 - 06:00

Geneviève Ruiz

Dossier. Les Suisses sont friands d’Airbnb: le site internet de location de logements de particuliers a totalisé en 2015 plus d’un million de nuitées dans le pays. Des offres qui se professionnalisent de plus en plus, agacent les hôteliers et inquiètent les régies immobilières. Plongée dans le monde de ce géant du web.

Dans quelle ville avez-vous passé vos dernières vacances? New York, Kuala Lumpur, Abidjan? Avez-vous logé à l’hôtel? Non, en appartement. Et en Suisse, quelle est la situation? Le choix d’un logement avantageux chez l’habitant, effectué en quelques clics sur Airbnb, séduit toujours davantage. Les Suisses sont ainsi de plus en plus nombreux à recourir à cette plateforme internet de mise en relation pour mettre leur habitation en location, à un prix moyen de 125 francs la nuit.

«Nous avons 15 000 annonces actives en Suisse, que ce soient des logements entiers ou des chambres chez l’habitant, explique Sarah Roy, responsable médias chez Airbnb. Il y en a deux fois plus qu’il y a un an et vingt-cinq fois plus qu’en 2011.» Résultat: en 2015, dans notre pays, 400 000 voyageurs ont séjourné avec Airbnb, pour un total d’un million de nuitées, selon Roland Schegg, professeur à la Haute Ecole de gestion et tourisme du Valais et auteur d’un récent rapport sur Airbnb pour l’Observatoire valaisan du tourisme.

Sur les 36 millions de nuitées totalisées par l’industrie hôtelière, Airbnb représente ainsi moins de 3% du marché helvétique, mais la plateforme anticipe une croissance forte et continue dans les années qui viennent: «La Suisse représente pour nous une destination en pleine expansion, aussi bien en termes du nombre de logements en location que du nombre d’habitants qui utilisent Airbnb pour voyager, poursuit Sarah Roy.

Nous constatons que cette croissance ne se fait plus seulement dans les grandes villes comme il y a quelques années, mais aussi dans de plus petites et dans les stations de montagne.» En effet, nombreux sont les Suisses qui proposent leur résidence secondaire à la location sur Airbnb. L’offre de la plateforme demeure néanmoins très concentrée, précise Roland Schegg: «85% des lits disponibles se situent dans les cantons de Zurich, Berne, Vaud, Bâle, le Valais et le Tessin. Le potentiel de développement dans les autres régions reste donc important.»

Airbnb, c’est l’affaire de Brian Chesky, Joe Gebbia et Nathan Blecharczyk (voir en page 14). Créé en 2008 en Californie, leur site pèse aujourd’hui 25 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires annuel estimé à 900 millions de dollars. Des centaines de milliers de logements sont proposés dans 34 000 villes réparties dans 190 pays. D’autres plateformes sont apparues depuis, comme Wimdu ou HouseTrip, née en 2010 à Lausanne, qui propose actuellement 350 000 hébergements à travers le monde.

La stratégie d’Airbnb pour continuer à se développer? Encourager ses clients à devenir eux-mêmes hôtes. Une façon de «gagner un complément de revenu», lit-on alors sur le site quand on y réserve son prochain week-end. La page «devenir hôte» invite à «découvrir ce que vous pourriez gagner» et à calculer en ligne son profit potentiel. L’offre s’annonce plutôt alléchante: en moins de deux semaines, il est possible d’encaisser jusqu’à l’équivalent d’un mois de loyer. Ce qui est tout bénéfice pour les plateformes qui pratiquent ce genre de mise en relation, puisqu’elles réalisent leur chiffre d’affaires sur le montant des transactions, prélevant une commission de l’ordre de 3% sur les loyers.

Tout le monde n’apprécie cependant pas le succès d’Airbnb. Sans surprise, le secteur hôtelier s’agace de cette concurrence qu’il considère comme déloyale: «Nous n’avons rien contre l’économie de partage et les plateformes de type Airbnb en tant que telles, avance Christophe Hans, responsable de la politique économique de l’organisation faîtière Hotelleriesuisse. Au contraire, nous pensons qu’en faisant venir des touristes en Suisse, elles peuvent même apporter à terme une nouvelle clientèle pour les hôtels.

Tant que leur développement reste calqué sur le modèle «consommateur-consommateur», nous n’y voyons pas d’inconvénients. Mais une évolution récente montre que l’offre Airbnb se professionnalise. Pour ce type de locations, nous demandons un traitement égal pour le paiement de la taxe de séjour et des impôts, pour le respect des conventions collectives de travail, l’intégration des normes de sécurité et d’hygiène, ainsi que pour les nombreuses contraintes auxquelles sont astreints les hôteliers.»

Philippe Vignon, directeur de Genève Tourisme, renchérit: «Il existe une forme d’inégalité de traitement entre Airbnb et les hôtels, puisque ces derniers sont soumis à la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement. Ils doivent suivre des règles strictes en matière de sécurité, comme l’aménagement de sorties de secours ou l’installation de systèmes d’alarme.»

Pour l’instant, la branche hôtelière réagit comme elle le peut à la déferlante mondiale d’Airbnb. A San Francisco, un référendum qui visait à limiter les locations de courte durée a récemment été refusé. Il avait été financé en grande partie par les hôteliers. Début novembre, Hotrec, l’association européenne des hôteliers, a émis dix recommandations à l’intention des associations nationales et de leurs législateurs pour soumettre les hébergeurs Airbnb aux mêmes normes que les hôteliers. En Suisse, Hotelleriesuisse privilégie une approche politique pragmatique et sectorielle du phénomène, en incitant par exemple les communes à lever les taxes de séjour auprès de tous les hébergeurs: «L’idéal serait d’avoir une loi-cadre qui engloberait les aspects fiscaux, sécuritaires ou ceux liés à l’hygiène», précise Christophe Hans.

«Il vaudrait mieux alléger les contraintes des hôteliers plutôt que de soumettre les hébergeurs d’Airbnb à de nouvelles lois, estime pour sa part le conseiller national radical Philippe Nantermod. Nous le constatons en Valais, la facilité de mise en location d’un bien grâce à l’économie de partage permet de lutter contre les lits froids. Il ne faudrait donc surtout pas compliquer les choses.» Si Christophe Hans n’est pas contre le principe, il le considère comme peu réaliste: «Il me paraît difficile, dans le contexte actuel, de trouver un consensus pour diminuer les normes de sécurité des hôtels ou supprimer l’obligation pour l’hôtelier de transmettre l’identité de ses clients à la police.»

Confrontée à ces questions, la responsable médias d’Airbnb répond que la plateforme est prête à collaborer avec les gouvernements pour trouver des solutions adéquates. «En ce qui concerne la taxe de séjour, nous avons mis en place une collecte automatique sur notre plateforme pour le compte de nos hôtes à Amsterdam, à San Francisco, ou encore récemment à Paris.»

Générateur de bonnes affaires

Alors que ces débats risquent de s’intensifier ces prochaines années, l’offre d’Airbnb se professionnalise à grande vitesse. De nouveaux acteurs ont rejoint ce marché en fonctionnant comme des agences de location. D’un côté, il y a des particuliers qui proposent plusieurs logements sur le site. Ces appartements sont conçus uniquement pour accueillir des hôtes et personne n’y vit à l’année. Dans son analyse, Roland Schegg relève qu’un tiers des objets proposés sur Airbnb en Suisse entrent dans cette catégorie: «Nous considérons qu’à partir de deux objets loués, on s’éloigne déjà du concept de l’économie de partage. Et qu’à partir de cinq, on entre clairement dans une logique professionnelle.»

La pratique qui consiste à louer un bien pour le sous-louer ensuite, à la nuitée ou à la semaine, est bien connue dans les zones touristiques: plus de 50% des objets proposés en Valais feraient partie de portefeuilles de professionnels de l’immobilier. «La plus forte croissance d’Airbnb s’observe en Valais, précise Roland Schegg. Même les agences de location utilisent la plateforme comme canal de promotion.»

De l’autre côté, des opportunistes ont flairé la bonne affaire et se sont transformés en prestataires de services pour les personnes qui proposent des hébergements. Ils ont élaboré à leur intention un marketing bien ficelé: conseils spécialisés pour mettre son annonce en ligne et personnaliser son profil, mise en relation avec des photographes professionnels pour prendre des clichés flatteurs des intérieurs. Parmi eux, on trouve la Vaudoise Jasmina Salihovic, surnommée «la reine d’Airbnb». Via sa société Chambre d’amis, elle gère 105 adresses dans toute la Suisse.
D’autres entrepreneurs comptent aller plus loin.

Ainsi, Marc Hazan, fondateur de Keys’n’Fly, société basée à Genève, propose de gérer la totalité du processus, de la mise en ligne de l’annonce jusqu’au check-out, mais aussi le nettoyage et la blanchisserie, contre une commission de 7% sur le montant total du séjour. Il est intervenu dans la vente de 4800 nuitées en Suisse romande en seulement quatre mois. Ses clients sont essentiellement des propriétaires de résidences secondaires qui louent leur logement à des hommes d’affaires en déplacement ou à de grands voyageurs. Pour l’instant, Marc Hazan ne travaille qu’avec le site Airbnb en Suisse, mais il compte bien s’exporter en France, sur la Côte d’Azur. «Ce qui m’intéresse, c’est de développer une offre globale qui me permette de devenir l’interlocuteur des personnes qui proposent un hébergement.» Son équipe comptera bientôt trois personnes à plein temps.

A Genève encore, Alexia Payot a lancé son site weDoux il y a deux mois. Au bénéfice d’une longue expérience dans l’immobilier, elle souhaite offrir un service clés en main aux propriétaires pour leur «faciliter la vie»: conciergerie, nettoyage, décoration, ameublement et gestion de l’annonce. «Nous sommes rémunérés à la commission et nos services ne coûtent rien si l’objet ne trouve pas preneur. Le propriétaire n’a donc rien à perdre et tout à gagner.»

Et le fisc?

Si le potentiel de ce marché paraît évident, il est toutefois limité en Suisse, pour une simple et bonne raison: les locataires n’ont en principe pas le droit de louer leur appartement sur Airbnb. La «mise en location de tout ou partie d’un bien immobilier sur une plateforme telle qu’Airbnb sera considérée comme de la sous-location», indique Céline Tassin de la Chambre genevoise immobilière. En l’absence d’autorisation, le locataire qui propose son appartement sur la plateforme s’expose ainsi à une résiliation anticipée de son bail.

Ce qui, dans la pratique, arrive rarement. L’Association suisse des locataires n’a connaissance que de quelques cas en Suisse romande. Mais plusieurs régies ont signalé qu’elles traquaient désormais les appartements postés sur Airbnb pour vérifier qu’il ne s’agit pas des leurs. Et plusieurs locataires se sont déjà fait prendre à ce jeu. En cas de préjudice, celui qui propose son logement sans autorisation de la régie peut même être condamné à verser des dommages et intérêts au propriétaire, ou à lui reverser les loyers indûment perçus (voir en page 12).

Autre question pécuniaire: faut-il déclarer les loyers encaissés? Selon l’administration fiscale genevoise, un flou règne quant à la possibilité de réclamer des déductions fiscales pour la literie et l’usure du mobilier, par exemple. «Si l’hébergeur est locataire, les frais déclarés seront probablement classés dans la catégorie «autres revenus», mais il n’est pas dit qu’il puisse réclamer des déductions, cela dépendra du cas particulier.»

Pour l’instant, les hébergeurs Airbnb semblent profiter de tous ces flous juridiques autour de leur activité. Cependant, en raison du succès croissant de la plateforme, les autorités suisses risquent de devoir légiférer sur ces pratiques afin d’éviter que des villes ne prennent d’elles-mêmes des mesures disparates.

Collaboration Estelle Chayrou et Francesca Sacco


«Airbnb offre une plus grande variété de choix que les hôtels»
Franck Romet, 57 ans, Genève

Cela fait deux ans que Franck Romet et sa famille ont découvert Airbnb. «Ma fille nous en a parlé lorsque nous avons décidé de partir en week-end à Barcelone.» Une première expérience qui a été déterminante. «Le propriétaire était aux petits soins pour nous: il nous attendait et avait mis à notre disposition des cartes de la ville. Un membre de sa famille nous a même amenés à l’aéroport pour le retour.»

Depuis, la famille Romet a utilisé la plateforme lors de vacances en Espagne ainsi que dans le reste de l’Europe. Et «à l’avenir, je pense systématiquement utiliser Airbnb pour nos séjours à l’étranger», confie Franck Romet. Ils ont ainsi prévu d’y recourir pour leurs prochains voyages à Marseille et au Panama.

Pour cette famille genevoise, ce ne sont pas seulement les tarifs bon marché qui dictent leur choix. «Airbnb offre une plus grande variété que les hôtels. Nous cherchons notre appartement en fonction du quartier, de sa proximité avec une attraction touristique ou avec un arrêt de métro. Souvent, plusieurs appartements sont disponibles dans un bon quartier, alors qu’il n’y a pas d’hôtel qui nous convient.»

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