Enquête. En cas de oui à l’initiative de mise en œuvre, les abus à l’aide sociale, même dus à des maladresses, conduiraient automatiquement à l’expulsion des étrangers.
Le diable se niche dans les détails. Tout particulièrement dans l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels».
Les partisans de l’initiative de l’UDC le clament dans les débats et l’écrivent dans le matériel de vote: «Les étrangers ayant commis des délits graves et les récidivistes ne méritent plus de rester sur notre sol et doivent donc être expulsés.» Mais dans la première liste des délits dits graves qui entraîneraient une expulsion automatique, entre le meurtre et le viol, figurent bel et bien l’escroquerie et l’abus en matière d’aide sociale et d’assurances sociales. Or ces abus, dans la pratique, n’ont souvent rien de grave.
Des exemples? Un étranger se voit rembourser deux fois la même facture par l’assurance maladie et ne le signale pas; un autre perçoit des allocations familiales alors que son fils a suspendu sa formation temporairement; une mère à l’aide sociale reçoit 400 francs d’un ami pour son enfant ou a effectué quelques travaux de jardinage sans en parler aux services sociaux. Bref, «du moment que la somme en jeu dépasse 300 francs, le délit conduira à l’expulsion. Et cela sans qu’un juge puisse se pencher sur le cas particulier, la clause de rigueur ne figurant pas dans le texte de l’UDC», déplore Cesla Amarelle, conseillère nationale (PS/VD) et professeur de droit.
«Reality check»
Ces cas sont relativement courants. On en dénombre plusieurs centaines par an dans le canton de Vaud par exemple, dont une bonne moitié concerne des étrangers. Mais pour la grande majorité, il s’agit de petits gains non déclarés aux autorités, souvent inférieurs à 2000 francs sur l’année. En ville de Berne où les services sociaux ont voulu connaître la portée exacte de l’initiative UDC, le constat se révèle similaire. Pour 2015, sur 95 dénonciations pour abus ou escroquerie à l’aide sociale, 45 concernaient des étrangers dont la grande majorité – 33 cas – portait sur une somme inférieure à 5000 francs.
Pas une seule escroquerie, en revanche. Chef des services sociaux de la ville mais aussi coprésident de la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS), Felix Wolffers s’inquiète des effets qu’aurait un oui le 28 février, notamment sur les coûts. «Qu’adviendra-t-il des enfants d’un étranger frappé d’expulsion pour une infraction mineure, voire un oubli? Le père gagne peut-être un salaire qui, même s’il ne suffit pas, contribue à l’entretien de la famille. S’il part, la famille dépendra bien davantage de l’aide sociale», relève-t-il.
Nul ne sait combien
Au niveau suisse, le nombre d’expulsions qu’entraînerait une acceptation de l’initiative – ou, en cas de non, l’application de la loi concoctée par le Parlement – a été calculé par l’Office fédéral des statistiques (OFS) sur la base des condamnations prononcées en 2014. Résultats: 10 000 expulsions pour l’initiative et 4000 pour la loi. Seulement voilà, ces chiffres n’englobent pas les escroqueries et infractions à l’aide sociale et aux assurances. Pourquoi cette lacune? «Nous avons des chiffres sur l’escroquerie en général mais pas en rapport avec l’aide sociale. Quant aux abus, le nouvel article n’est pas encore en vigueur», explique l’OFS.
On peut pourtant déduire de l’exemple de la ville de Berne – où 73% des abus portent sur une somme inférieure à 5000 francs – qu’on s’achemine vers des centaines d’expulsions disproportionnées. Ou alors les services sociaux cesseront de traquer l’abus, comme le pressent Pierre-Yves Maillard, le conseiller d’Etat vaudois en charge de la Santé et du Social: «Dans mon canton, nous avons fait beaucoup d’efforts pour sanctionner de manière proportionnée. Mais si la sanction devient disproportionnée, les professionnels hésiteront à provoquer une issue aussi extrême pour une famille. Ils se montreront donc moins vigilants.»
Un effet non voulu par les initiants mais qui risque de coûter cher à la communauté. «Parce que, parmi les nombreux petits abus, nous dénichons quelques gros fraudeurs. Cette initiative affaiblira donc une lutte efficace contre la fraude qui nous permet de récupérer 3 à 5 millions de francs chaque année.»