Fabien Goubet
Alimentation. Absorber certaines bactéries afin de modifier la flore intestinale et d’empêcher la prise de poids? L’idée est séduisante, mais la route sera longue.
Et si la clé pour vaincre l’obésité se trouvait en nous, nichée au plus profond de nos intestins? Cette clé, ce seraient les bactéries de notre flore intestinale, ce que les scientifiques appellent le microbiote. Ces quelque cent mille milliards de micro-organismes – c’est dix fois plus que le nombre de cellules dans un corps humain – squattent notre tube digestif, se nourrissant au passage des résidus alimentaires. Longtemps considérées comme des sources de maladies, ces bactéries sont désormais regardées avec un intérêt grandissant depuis que les scientifiques ont mis en évidence leurs effets sur la prise de poids.
Tout a commencé en 2004, avec les travaux d’une équipe américaine menée par Jeffrey Gordon, de l’Université Washington, à Saint-Louis. Celui-ci a d’abord remarqué ce qui ferait rêver n’importe quel gourmand: certaines souris élevées en conditions stériles et donc dépourvues de flore intestinale (on les dit «axéniques») mangeaient plus que les autres sans jamais grossir! Malgré une prise alimentaire un tiers plus importante, leur masse graisseuse était scandaleusement inférieure de 42%. Le microbiote était-il responsable de cette surprenante observation? Pour le savoir, le biologiste a transplanté la flore intestinale de souris normales à ces souris axéniques, qui prirent rapidement du poids: + 60% de masse graisseuse en deux semaines, malgré un régime pauvre en calories.
Nouvelle jungle
Depuis, de nombreuses études ont été menées sur le sujet, ouvrant un champ d’exploration totalement inédit. C’est désormais acquis: tout comme l’alimentation ou le manque d’activité physique, les bactéries intestinales peuvent constituer un facteur d’obésité. Et, pourquoi pas, un levier sur lequel agir. Mais l’exploitation thérapeutique de ces travaux est encore loin, tant notre connaissance du microbiote est modeste.
Rien que sa nature même nous échappe. Comme l’explique le professeur Jacques Schrenzel, chef du Laboratoire de bactériologie des HUG, l’analyse du génome des résidents de nos intestins a révélé non pas la présence de quelques espèces majoritaires, mais une incroyable diversité génétique. Le microbiote, comme le génome, est propre à chacun: nous disposons d’environ 1000 espèces de bactéries, dans des proportions spécifiques. «Nous sommes face à une nouvelle jungle, avec énormément d’arbres différents, et l’inventaire va prendre du temps», prédit-il.
Fort engouement
Par quel mécanisme ces bactéries agissent-elles sur la prise de poids? Les scientifiques estiment qu’elles influeraient sur la capacité à extraire l’énergie de la nourriture ou encore qu’elles favoriseraient le stockage des graisses. «A apport calorique égal, les flores de patients obèses extraient plus d’énergie de la nourriture que les patients non obèses, sans qu’on sache vraiment pourquoi», ajoute Jacques Schrenzel.
A terme, on peut imaginer des aliments ou des médicaments qui modifieraient la flore bactérienne d’une personne obèse. C’est le cas des prébiotiques, qui permettent le développement de certains groupes de bactéries. Plus connus, les probiotiques contiennent, quant à eux, des bactéries vivantes aux effets bénéfiques pour la santé. C’est du moins ce que tentent de vendre certains fabricants de yogourts au bifidus, dont l’effet sur la santé n’a jamais été clairement établi.
«Le microbiote suscite un engouement terrible», confirme le professeur François Pralong, chef du service d’endocrinologie au CHUV. Engouement qui pourrait s’expliquer par le manque cruel de nouvelles thérapies dans le domaine de l’obésité, avance le médecin. En attendant un hypothétique médicament qui permettrait de réguler les sensations de faim et de satiété, les patients se voient proposer depuis des années, selon les cas, les deux mêmes grandes stratégies: les traitements dits conservateurs, qui visent à contrôler la prise alimentaire et s’assurer d’une bonne hygiène de vie, et la chirurgie gastrique, qui réduit le volume de l’estomac et aboutit souvent à de spectaculaires pertes de poids.
Même si ces méthodes demeurent satisfaisantes, les chiffres sont là pour rappeler qu’elles ne suffisent pas à enrayer l’épidémie d’obésité. Entre 1980 et 2013, le nombre d’obèses a plus que doublé au niveau mondial. Dans ce contexte, tout coup de pouce sera le bienvenu, fût-il de bactéries.