Willy Boder
Alzheimer. Ils ne sont pas encore sur le marché, mais les premiers médicaments appelés à ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer ou, mieux, à la stopper sont en préparation avancée.
Celui qui a assisté, épuisé, à la lente extinction d’un proche atteint de la maladie d’Alzheimer, finalement emporté non pas par la démence, mais par une pneumonie ou par une infection à la suite d’escarres devenues impossibles à soigner, comprend le besoin urgent de traitements contre une maladie qui préoccupe désormais aussi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le problème, décrit pour la première fois en 1906 par le psychiatre allemand Alois Alzheimer, est à la fois humain, social et mondial. L’OMS, qui a tenu en 2015 sa première conférence ministérielle sur la démence, estime à 47 millions le nombre de personnes touchées. Un nouveau cas se déclare toutes les 3,2 secondes.
«Cela signifie qu’il y aura 75 millions de personnes atteintes en 2030, et plus de 130 millions en 2050», constate Tarun Dua, responsable de cette pathologie au sein de l’OMS. La maladie ne touche pas que les pays riches: «60% des malades vivent dans des régions à revenu faible ou moyen», souligne Tarun Dua, qui insiste sur la nécessité d’une mobilisation mondiale.
Ralentir la progression de la maladie
L’incidence de la maladie d’Alzheimer passe de 1,5% entre 60 et 70 ans à plus de 40% dès l’âge de 90 ans. Faute de médicaments efficaces, elle est le plus souvent ressentie comme une fatalité par la personne elle-même et par son entourage. «Les médicaments actuels, de la classe des antiglutamates ou des anticholinestérasiques, sont des traitements qui tentent d’améliorer les symptômes, mais qui ne luttent pas contre la maladie. Ceux de la nouvelle génération, actuellement en essais
cliniques avancés, que ce soient des anticorps monoclonaux ou des inhibiteurs de bêta-sécrétase, sont conçus pour modifier l’évolution de la maladie», relève Bruno Vellas, spécialiste reconnu et patron du gérontopôle du Centre hospitalier universitaire de Toulouse.
Le sentiment d’impuissance conduit souvent des patients à nier leurs troubles de mémoire. Cela complique le dépistage précoce, indispensable, selon les études en cours, pour espérer voir, avec les nouveaux médicaments qui seront sur le marché entre 2018 et 2020, un ralentissement de la progression de la maladie, voire un arrêt de la formation des plaques amyloïdes dans le cerveau, signe majeur de la présence de la maladie d’Alzheimer.
Déni de réalité
Andrea Pfeifer, patronne d’AC Immune, société basée à l’EPFL qui mène plusieurs projets de développement de médicaments contre la maladie d’Alzheimer, reconnaît le problème. «Il existe une stigmatisation de la maladie, comme c’était le cas pour le cancer il y a vingt ans. Alzheimer est une maladie dont les gens ne veulent pas parler. Les patients nient le plus souvent la réalité, et 30 à 50% d’entre eux ne sont pas diagnostiqués.»
La pathologie est définie en sept stades, allant d’aucune déficience extérieurement visible par un simple test de mémoire au déficit cognitif très sévère souvent marqué par des troubles de la déglutition. Au premier stade, l’affection est déjà présente sous forme de protéines d’amyloïde ou de protéines tau en concentration trop importante dans le corps. Ces protéines vont peu à peu coloniser le cerveau, former des plaques ou des dégénérescences neurofibrillaires qui tueront les neurones.
Diagnostic précoce indispensable
Le diagnostic physiologique précoce, particulièrement difficile à poser, est donc devenu crucial pour que des percées scientifiques puissent se faire car, lorsque d’importants troubles de la mémoire apparaissent, il est déjà trop tard pour s’attaquer efficacement à la maladie. Plusieurs laboratoires pharmaceutiques, dont Eli Lilly et Biogen, ont échoué ces dernières années dans de vastes études cliniques de phase terminale 3 car les patients ne pouvaient pas être clairement diagnostiqués. Ces entreprises ont dû totalement revoir leurs études en sélectionnant de manière plus précise les patients au stade léger ou modéré de la maladie.
Eli Lilly développe le solanezumab, un anticorps monoclonal dont le dossier d’homologation sera déposé au premier semestre 2017. Ce sera le premier médicament de la nouvelle génération basé sur une troisième étude de phase 3 qui englobe en ce moment plus de 1000 patients. «Au terme des deux premières études, nous n’avons pas vu d’effet significatif du solanezumab sur l’ensemble des patients, constate Hans-Peter Hundemer, d’Eli Lilly. En revanche, sur ceux légèrement ou modérément atteints, on a constaté une différence significative de 34% entre les patients traités avec le médicament et ceux qui avaient absorbé un placebo.»
L’imagerie médicale plus fine du cerveau, par tomographie, et certaines analyses plus précises du liquide cérébrospinal prélevé par ponction lombaire permettront bientôt de désigner les malades d’Alzheimer qui auront la chance de voir un médicament ralentir, voire stopper l’évolution de la maladie qui ne sera dès lors plus associée à la fatalité.