Oncologie. Des résultats spectaculaires sont obtenus grâce à de nouveaux traitements et des découvertes scientifiques très prometteuses.
Un bond en avant phénoménal. C’est le sentiment qui prédomine lorsque l’on se penche sur les récentes découvertes scientifiques liées à la lutte contre le cancer. «Notre compréhension de ce qu’est une tumeur explose à tel point que l’on a maintenant des opportunités thérapeutiques encore inimaginables il y a quelques années. Nous sommes en train de vivre la révolution que l’on attendait», s’enthousiasme le professeur Olivier Michielin, médecin adjoint au service d’oncologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne.
Reprogrammer le système immunitaire
L’une des opportunités thérapeutiques en question est l’immunothérapie. Considérée comme une révolution majeure par le magazine Science en 2013, cette forme de thérapie personnalisée s’impose depuis quelques années comme une approche de choix, tant ses résultats sont spectaculaires, notamment sur les patients atteints de leucémie aiguë ou de cancer de la peau. L’objectif de l’immunothérapie est de rendre le système immunitaire de nouveau compétent pour détruire les tumeurs. Pour cela, plusieurs stratégies sont envisageables: la mise au point de vaccins thérapeutiques, l’injection d’anticorps spécifiques ou encore la cellulothérapie.
C’est sur cette dernière approche que travaillent plus spécifiquement les équipes du professeur Michielin et du professeur George Coukos, chef du département d’oncologie du CHUV. Les scientifiques lausannois ont entre autres buts de combattre le mélanome métastatique, l’une des formes les plus invasives de cancer de la peau. Des recherches d’autant plus nécessaires que ce type de cancer touche un Suisse sur cinquante et que, jusqu’à présent, l’espérance de vie des personnes présentant des métastases dépassait rarement une année.
La donne a aujourd’hui changé grâce, notamment, à l’avènement de thérapies basées sur l’utilisation de lymphocytes (ou globules blancs) prélevés directement dans la tumeur. Ces TIL, pour tumor infiltrating lymphocytes, sont naturellement chargés de reconnaître les cellules cancéreuses et de les détruire. Mais les tumeurs sont aussi en mesure de paralyser ces lymphocytes, laissant ainsi tout loisir au cancer de se propager.
«L’idée de la thérapie par les TIL est d’extraire des lymphocytes d’une métastase chez le patient pour les faire proliférer et ainsi créer une population spécifique capable de lutter contre la tumeur, précise Olivier Michielin. On réinjecte ensuite ces lymphocytes au malade, après avoir effectué une chimiothérapie permettant à l’autogreffe de mieux prendre.»
Déjà testée aux Etats-Unis depuis une dizaine d’années sur des patients en stade IV de mélanome métastatique, cette approche a démontré un taux de réussite extrêmement encourageant. «Environ 50% des personnes chez qui l’on a effectué des injections de lymphocytes répondent à cette approche. On a ainsi observé une diminution importante de la taille de toutes les lésions cancéreuses», ajoute le médecin. Plus surprenant encore: de 10 à 20% des patients répondent complètement au traitement.
«Ces malades n’ont pas présenté de récidive après dix ans. Des données solides nous montrent que lorsque l’on arrive à bien reprogrammer le système immunitaire, il y a un réel bénéfice sur le long terme, voire une éradication de la maladie.» Loin d’être de la science-fiction, les premiers essais sur des patients atteints de mélanomes de stade IV se dérouleront dans la première moitié de cette année au CHUV. Autre bonne nouvelle, la méthode pourrait également être appliquée, dans un second temps, à d’autres types de tumeurs contenant ces fameux lymphocytes infiltratifs, comme certains cancers du poumon, de l’ovaire, du sein ou encore du côlon.
Superlymphocytes
Reste la problématique des cancers ne contenant pas de lymphocytes infiltratifs, et donc ne répondant pas à ce type de traitement. Là encore, les recherches menées à Lausanne sont prometteuses.
Il faut en effet savoir que les globules blancs ont plusieurs types de récepteurs à leur surface: l’un, activateur, reconnaît la cellule tumorale et la tue, d’autres inhibiteurs régulent l’activité du premier et laissent le cancer se développer. Sauf si l’on use d’ingénierie génétique afin d’optimiser ces récepteurs et ainsi de rendre le lymphocyte plus agressif contre la tumeur.
«Avec cette technologie, nous avons pu créer des superlymphocytes que l’on a déjà testés avec succès sur l’animal. Notre objectif est de pouvoir étendre cette thérapie, pouvant être appliquée à nombreux types de cancers, à l’homme d’ici à deux à trois ans», ajoute Olivier Michielin. L’équipe du CHUV travaille aussi en parallèle sur des mécanismes de sécurité qui agiraient comme des freins extérieurs, au cas où les lymphocytes dévieraient de leur mission initiale. «Cela est encore du domaine de la recherche, mais nous essayons d’aller vers une situation où l’on pourra piloter ces cellules à l’aide de molécules spécifiques et ainsi essayer de les adapter à l’évolution clinique du patient.»
Reste que ce genre de technologie demande des installations bien spécifiques, des laboratoires de haute sécurité, afin d’éviter tout risque pour le patient. «C’est pour cela que nous avons construit une salle blanche dans l’enceinte du CHUV, qui sera accréditée cette année par Swissmedic, ainsi que des installations à Epalinges dont les travaux sont en cours, et qui seront les plus grandes en Europe pour la «manufacture» de lymphocytes, explique George Coukos. Notre programme visant le développement de nouvelles thérapies accessibles à tous sera leader au niveau mondial.»
Nouveaux médicaments
Conjointement à l’immunothérapie, des médicaments ultraspécifiques ont également fait leur apparition sur le marché. Ceux-ci sont administrés à la suite d’une analyse moléculaire de la tumeur et ciblent donc des formes de mutations bien particulières. Cette démarche permet d’administrer aux patients des traitements ayant un taux de réponse beaucoup plus important par rapport aux traitements classiques.
A titre d’exemple, 15% des tumeurs pulmonaires sont en lien avec une mutation du gène EGFR. Dans ce cas, le taux de réponse à un médicament spécifique ciblant cette mutation, l’erlotinib, monte à 65%, contre 15% pour une chimiothérapie. Idem pour le mélanome, où, en cas de mutation du gène B-Raf, présente dans 50% des cas, le taux de réponse s’élève à 80% pour le médicament spécifique, contre 10% pour un traitement standard. Autant d’avancées qui laissent espérer un meilleur pronostic pour les patients. D’autant plus lorsque l’on sait que, à l’avenir, on pourrait tout à fait envisager de combiner l’approche médicamenteuse avec l’immunothérapie, par exemple.
Radiothérapies ciblées
En parallèle aux progrès réalisés dans le domaine de l’immunothérapie, les traitements par radiothérapie ont aussi fait l’objet de quelques prouesses technologiques, notamment en ce qui concerne le traitement du cancer du poumon. Le problème majeur, dans ce cas précis, est que la tumeur bouge de manière permanente avec la respiration, parfois jusqu’à plusieurs centimètres. Les radio-oncologues doivent donc prévoir une zone de traitement plus large, ce qui peut engendrer des effets collatéraux, comme un endommagement des cellules saines avoisinant le volume à traiter.
Après des mois de recherche, le CHUV teste actuellement, sur une petite poignée de patients, une méthode nommée «super gating», permettant de suspendre la respiration pendant une dizaine de minutes, sans anesthésie ni hospitalisation. Cela semble totalement surréaliste, mais c’est bel et bien possible. «Nous utilisons pour cela une machine envoyant, par le biais d’un masque posé sur le patient, des percussions à haute fréquence remplaçant la respiration. Celui-ci n’a ainsi plus besoin de bouger le thorax pour respirer, décrit le professeur Jean Bourhis, chef du service de radio-oncologie du CHUV. Il faut néanmoins souligner que, bien que nous ayons établi la preuve de son intérêt et déjà publié deux articles dans des revues médicales sur cette partie pilote, cette technique est encore un work in progress, impliquant des équipes de différents services du CHUV.»
Parmi d’autres techniques innovantes, la radiothérapie intra-opératoire permet de limiter les effets secondaires de l’irradiation à la zone à risque, mais aussi de diminuer considérablement la durée des traitements. Ce type d’intervention s’effectue spécialement dans des cas sélectionnés du cancer du sein, immédiatement après la résection chirurgicale de la tumeur, donnant la possibilité de compléter tout le traitement radiothérapeutique en une seule séance. «Grâce à cette autre technique de plus en plus répandue, la radiothérapie stéréotaxique – qui dirige des faisceaux de radiation vers une région très spécifique –, nous pouvons aussi réaliser des traitements en très peu de séances, confirme Thomas Zilli, médecin adjoint agrégé au service de radio-oncologie des HUG. Par exemple, en ce qui concerne le cancer de la prostate localisé, les séances de radiothérapie peuvent se réduire aujourd’hui au nombre de cinq, contre quarante précédemment, avec une tolérance optimale.»