Zoom. Le Genevois Pierre Morath signe avec «Free to Run» un film épatant sur le plus vieux des sports.
Les coureurs ont leur bible: Born to Run. Un livre haletant dans lequel Christopher McDougall part à la rencontre des Tarahumaras, des Indiens du nord du Mexique capables de courir des centaines de kilomètres avec des tongs artisanales. L’homme est un animal conçu pour pratiquer la course de longue haleine, écrit-il, tout en révélant que, paradoxalement, depuis que les équipementiers ont inventé les chaussures techniques bourrées de mousse absorbante et autre gel amortissant, les blessures sont en hausse.
Les coureurs ont dorénavant aussi leur film de chevet: Free to Run, un documentaire du Genevois Pierre Morath. Le dispositif est classique, des images d’archives sont entrecoupées d’interviews. On est loin d’un documentaire de création, mais le travail de montage est admirable et la narration efficace, brassant en une centaine de minutes de nombreux thèmes. Tout commence par les souvenirs de quelques Américains qui, dans les années 60, ont commencé à courir dans la rue et les parcs alors que ce sport ne se pratiquait que sur piste.
Ils étaient vus comme des excentriques, voire comme des cinglés. Personne ne comprenait ce qui les motivait. Un adepte, short moulant et torse nu, se fait même arrêter: il ressemble plus à un pervers qu’à un athlète. Des cinglés qui deviennent peu à peu légion. Ils partagent les valeurs de la génération hippie, sont épris de liberté mais s’éclatent dans le sport plutôt qu’à travers la musique ou le LSD. Les médecins, eux, mettent en garde: courir réduit votre espérance de vie d’au moins vingt ans… On en rit encore.
Et il y a cette autre séquence à la déclaration ahurissante: la course de longue distance n’est pas faite pour les femmes, par manque de résistance. Lors des Jeux olympiques d’été de 1928, une coureuse s’était écroulée à l’arrivée du 800 mètres, comme tant de compétiteurs finissant à terre après avoir tout donné. Résultat: jusqu’en 1960, le sexe que l’on pense alors faible n’aura pas le droit de se mesurer sur une autre épreuve que le 100 mètres.
Parmi ces femmes marquantes, l’écrivain américain Kathrine Switzer. Elle devient dans les années 60 la première à intégrer un club universitaire. Et peu importe que le Marathon de Boston n’accepte pas les dames, comme toutes les compétitions gérées par la Fédération américaine d’athlétisme. Elle prend malgré tout le départ, en ne donnant que ses initiales. Après 3 kilomètres, le directeur de la course la repère et tente de la stopper. La séquence est édifiante. Il la prend pour une militante, alors qu’elle veut simplement courir.
Le James Dean du «running»
Il faudra attendre 1984, et les JO de Los Angeles, pour que les femmes puissent s’élancer sur un marathon. L’image de l’Américaine Joan Benoit franchissant la ligne d’arrivée est émouvante, comme celle de la Suissesse Gabriela Andersen-Schiess titubant, à bout de forces. Des images émouvantes, Free to Run en propose d’autres. Comme celle de Steve Prefontaine, «le James Dean du running», premier héros américain de la course de fond, décédé accidentellement à l’âge de 24 ans en 1975; celle du Suisse Noël Tamini évoquant la naissance de Spiridon, la première revue spécialisée à considérer la course à pied comme un art de vivre; celle, enfin, de Fred Lebow franchissant, en 1992, alors qu’il lutte contre le cancer, la ligne d’arrivée du Marathon de New York, manifestation qu’il a cofondée puis fait passer d’un événement pour initiés à un rendez-vous planétaire. Un rendez-vous qui incarne aussi la face sombre de ce sport devenu phénomène de masse, avec toutes les dérives consuméristes que cela implique.
Mais c’est à Yves Jeannotat, comparse de Tamini, que Morath laisse le mot de la fin. L’ancien athlète et journaliste évoque la joie intense que procure une sortie en solitaire dans la forêt. C’est le plus beau message que délivre le film: courir permet de se sentir vivant, on n’est jamais aussi connecté avec l’instant présent que lorsqu’on met un pied devant l’autre tout en laissant son esprit vagabonder.
«Free to Run». De Pierre Morath. Suisse/France/Belgique, 1 h 39. Sortie le 24 février. Infos et liste des avant-premières sous www.freetorun.ch