Marie Maurisse
Rolf Soiron (photo), président du conseil d’administration de Lonza, géant de l’industrie chimique basé à Bâle, a fermement refusé les avances de ChemChina là où Syngenta les a acceptées sans rougir. Pourquoi? La crainte d’une prise de pouvoir par une entreprise majeure d’un Etat communiste, a-t-il évoqué sur les ondes de la RTS. «Je n’ai pas obtenu la garantie que ChemChina ne se dirige jamais vers la majorité dans l’actionnariat. Peut-on, dans un système libéral, accepter un partenaire qui n’en fait pas partie?»
Mais ce qui effraie surtout Rolf Soiron, c’est le transfert de technologie. «Je ne voulais pas courir de risques sur la propriété intellectuelle. Nous faisons notamment fermenter des anticorps dans la lutte contre le cancer, auraient-ils pris la direction de la Chine? Je ne voulais pas inquiéter nos grands clients. Je n’exclus pas que, avec le temps, on voie des laboratoires de recherche construits en Chine. C’est inévitable qu’il y ait une fuite de know-how (savoir) vers ce pays.»
Comme Lonza, d’autres fleurons de l’économie suisse ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée des investisseurs chinois dans nos contrées. Peu le disent ouvertement, mais la crainte est répandue qu’avec des patrons qui viennent de si loin, le Swiss made ne se perde. Selon un spécialiste du secteur, le canton de Neuchâtel ne reçoit jamais de sociétés horlogères chinoises souhaitant investir sur place. En effet, si les Pékinois apprennent à créer des mouvements complexes, que restera-t-il au joyau helvétique qu’est l’arc jurassien?
En Suisse, même les plus sinophiles ne peuvent pas s’empêcher de trembler. Blaise Godet, ancien ambassadeur à Pékin, reconnaît les aspects positifs de l’opération mais veut se montrer «réaliste». «Après l’annonce du rachat de Syngenta, je ne suis pas de ceux qui trépignent de joie. Ne soyons pas angélistes: si le centre de décision de la firme quitte la Suisse, alors les grandes orientations stratégiques seront politiques, car ChemChina est une entreprise d’Etat, affirme-t-il, se montrant pessimiste. Le jour où les Chinois voudront licencier parce que les affaires marchent moins bien, les conséquences sociales liées aux réductions d’emploi chez nous leur paraîtront bien lointaines.»