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Plurilinguisme: le modèle canadien pourrait inspirer la Suisse

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Jeudi, 10 Mars, 2016 - 05:46

Rencontre. Outre-Atlantique, la loi sur les langues a prévu une autorité de plaintes très sollicitée, un organe qui n’existe pas chez nous. De passage à Berne, le commissaire aux langues Graham Fraser explique sa mission.

Il est courtois, Graham Fraser. En visite dans un pays aussi plurilingue et multiculturel que la Suisse, le commissaire aux langues officielles du Canada s’est bien gardé de donner des leçons. «Notre modèle n’est pas exportable», a-t-il prévenu d’emblée. Le Canada est un pays bilingue habité en majorité par des monolingues: seuls 17% des 34 millions d’habitants maîtrisent l’anglais et le français. Pourtant, la Suisse serait bien avisée de s’inspirer de certains points de la loi canadienne.

«Mon rôle est d’encourager et de déranger», résume Graham Fraser, aujourd’hui âgé de 70 ans. Cette devise, il l’a mise en pratique durant toute sa vie. Enfant d’Ottawa, il grandit en anglais. Il ne découvre vraiment le français qu’à l’université, en participant à un projet sur un site archéologique dans les environs de Montréal. Plus tard, il rencontre un personnage qui s’apprête à marquer l’histoire du Canada: René Lévesque. En 1969, celui-ci vient de créer le Parti québécois indépendantiste, bien avant qu’il ne devienne premier ministre de la Belle Province.

Tout jeune journaliste, Graham Fraser brosse un portrait de René Lévesque et le suit durant toute une semaine, allant même jusqu’à lui porter ses valises à l’occasion. Il tombe sous le charme. «J’ai été fasciné par cette personnalité très charismatique à la tête d’un parti progressiste.» Il lui consacre un livre, tout en précisant: «Je n’ai jamais été souverainiste, mais j’estimais que les revendications des Québécois étaient légitimes.»

Un livre provocateur

Les dix ans qu’il passe au Québec ont fait naître en Graham Fraser une identité plurielle. Son français est parfait, même si son accent trahit encore ses racines anglophones. Plus il se passionne pour la langue de Vigneault et de Charlebois, plus il se désole de l’ignorance des anglophones face à la richesse que constitue le plurilinguisme. En mars 2006, il lance un pavé dans la mare en sortant un livre au titre provocateur: Sorry, I Don’t Speak French. Une radioscopie sans complaisance de la situation linguistique au Canada. Six mois plus tard, le premier ministre Stephen Harper estime que ce journaliste critique est l’homme qu’il faut pour reprendre le poste de commissaire aux langues!

Dans les quelque 50 conférences qu’il donne chaque année, Graham Fraser insiste beaucoup sur la notion de leadership, aussi bien politique qu’administratif. D’une part, tous les premiers ministres canadiens sont bilingues depuis 1968. D’autre part, au sommet de la fonction publique, un haut commis se doit de prêcher l’exemple en valorisant les deux langues dans les messages adressés à ses employés.

Pas sûr que la Suisse puisse toujours en dire autant. Elle n’a jamais créé d’autorité de plaintes, contrairement au Canada, où cette instance est régulièrement sollicitée. Notamment en 2010, quand le commissaire Graham Fraser est submergé par une avalanche de près de 900 plaintes à la suite de la décision de Radio Canada de réduire sensiblement le programme francophone à Windsor, dans le sud de l’Ontario. Après une décision arbitrale, la radio devra faire marche arrière.

Au Canada, le citoyen doit pouvoir recevoir un service d’égale qualité tant en anglais qu’en français. Dans les situations de crise, cela ne fonctionne pas toujours. Ainsi, le 22 octobre 2014, une fusillade éclate près du Monument commémoratif de guerre pour se terminer au Parlement, à Ottawa. Or, il apparaît que la première alerte de sécurité n’a été transmise qu’en anglais. «Oui, c’était une panne», convient Graham Fraser. Le Ministère de la sécurité publique s’est défendu en disant qu’il avait dû agir au plus vite. «Or, c’est justement dans une telle situation d’urgence qu’il importait de travailler en deux langues», a répliqué le commissaire aux langues.

Le bilinguisme peut entraîner quelques lourdeurs administratives, il n’en présente pas moins d’indéniables avantages. «Le bilinguisme ouvre des portes et rapporte gros», conclut une étude du laboratoire d’idées Conference Board of Canada. Bien que les Etats-Unis demeurent le principal partenaire commercial, le volume des échanges avec les pays francophones s’est beaucoup développé, progressant de 7% par année entre 1992 et 2011.

Un pays d’immigration

Pourtant, l’essentiel est ailleurs: dans les esprits. Car le bilinguisme influe sur la mentalité du pays. Chaque année, le Canada accueille 250 000 immigrants pour des raisons tant économiques que natalistes. «Souvent inconsciemment, les Canadiens ont accepté l’existence d’une société qui fonctionne aussi en français. Nous en sommes devenus plus flexibles, plus ouverts, plus multiculturels. Et beaucoup d’immigrants sont attirés par ce bilinguisme», se félicite Graham Fraser.

Dans la crise des migrants, les Canadiens ont d’abord bu le calice de la honte lorsque les médias ont rapporté à tort que le père d’Aylan Kurdi – le petit enfant retrouvé mort sur une plage de Turquie – avait déposé une demande d’asile à Vancouver. En pleine campagne électorale, les conservateurs ne voulaient pas accueillir plus de 10 000 réfugiés syriens sur trois ans. Le peuple les a sanctionnés en les éjectant du pouvoir. Plus solidaire, le nouveau gouvernement du libéral Justin Trudeau s’est engagé à recevoir 25 000 migrants, et cela le plus vite possible.

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Sebastien Lavallée
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