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L’accord avec l’Iran a aussi ses perdants

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Jeudi, 5 Décembre, 2013 - 05:54

Analyse.L’accord de Genève sur le nucléaire iranien change la face du monde et paraît offrir des possibilités nouvelles à l’Occident. Les perdants sont manifestement Israël et l’Arabie saoudite. Mais le Guide suprême iranien tiendra- t-il les engagements pris?

Ronen Bergman, Erich Follath, Julia Amalia Heyer, Christopher Schult

Vague d’enthousiasme d’un côté, cris d’indignation de l’autre: rarement un accord aura déclenché des réactions aussi contrastées que celui de Genève avec l’Iran, alors qu’il ne s’agit que d’un accord transitoire signé pour six mois. Le président Vladimir Poutine y voit une «percée». Barack Obama déclare que, pour la première fois depuis dix ans, il y a été possible de «stopper l’avancement du programme nucléaire iranien». Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, parle d’un «tournant».

Le négociateur en chef iranien, Mohammed Sharif, interlocuteur des cinq membres permanents du Conseil de sécurité plus l’Allemagne, a été accueilli par une foule enthousiaste à son retour à Téhéran. Pour le quotidien iranien Arman Daily, la paix mondiale a avancé d’un grand pas «sans que l’Iran ne dût abdiquer ses principes».

Réactions opposées en Arabie saoudite et en Israël. Abdullah al-Askar, membre influent du Conseil de la Choura, évoque lugubrement un «agenda fâcheux», tandis que le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou dénonce une erreur historique: «Le régime le plus dangereux du monde a fait un pas décisif vers la possession de l’arme la plus dangereuse du monde.» Et son ministre de l’Economie, Naftali Bennett, précise que les effets de cet accord intérimaire se vérifieront au plus tard dans cinq ans, «quand une valise-bombe atomique explosera à New York ou à Madrid». L’évocation des accords de Munich de 1938 fait partie de la harangue: l’Iran, c’est l’Allemagne de Hitler, et l’Occident lui parle de paix.

Mais l’accord de Genève est-il l’œuvre de Dieu ou du diable? Ses faiblesses profiteront-elles aux fauteurs de troubles de tout bord? Avec un peu de recul, on voit mieux quelles pourraient en être les conséquences pour la guerre et la paix au Moyen-Orient, et pour une redistribution des rôles entre sunnites et chiites.

D’Etat paria à partenaire. On peut parler d’un choc tectonique au Moyen-Orient comme on en a rarement vu. L’accord de Genève signe le retour sur la scène mondiale de l’Iran, naguère Etat paria, désormais potentiel partenaire des Etats-Unis et de l’Europe. Et du même coup la probable perte d’influence de deux puissances régionales, de maniement compliqué mais qui passaient pour indispensables, l’Arabie saoudite et Israël.

La dynastie des al-Saoud s’est toujours vue dans le rôle de protectrice des Lieux saints de l’islam, La Mecque et Médine. Elle en tire sa légitimité de chef de file de l’islam sunnite. Le chiisme, dans son optique, est une hérésie. Depuis la fondation de l’Etat saoudien, en 1932, ses dirigeants n’ont cessé de se méfier de leur grand voisin de l’est. Et ils se sont en revanche toujours merveilleusement arrangés avec cette superpuissance lointaine à laquelle ils livraient l’indispensable or noir en échange d’armements sophistiqués: l’Amérique.

Le prince Bandar Bin Sultan incarne ce mariage de raison: vingt-deux ans durant, il a été l’ambassadeur de Riyad aux Etats-Unis, à coup sûr le diplomate le plus influent de Washington avec son collègue israélien. Il a eu ses entrées auprès de tous les présidents depuis Ronald Reagan. Même les attentats du 11 septembre n’ont pas mis en péril les relations entre les deux pays, en dépit du fait que 15 des 19 terroristes impliqués étaient saoudiens. Les al-Saoud restaient un facteur de stabilité au Moyen-Orient, avec le blanc-seing de la Maison-Blanche.

Le Moyen-Orient n’est plus une priorité. Les choses ont commencé à changer quand le printemps arabe a redistribué les cartes. L’Arabie saoudite a été fâchée quand Washington a refusé d’empêcher la chute de Hosni Moubarak. Et le royaume veut la chute du régime alaouite de Bachar al-Assad, allié chiite de l’Iran, ainsi que l’éradication du Hezbollah au Liban. Riyad a sévèrement critiqué le fait qu’Obama renonce à des frappes militaires contre Damas.

Mais, pour une Amérique lasse de ses guerres lointaines, le Moyen-Orient n’est plus la priorité: l’extraction de carburants fossiles par fracking lui a permis de se libérer provisoirement de sa dépendance de l’or noir arabe.

Elle pourrait devenir autarcique dans dix ans, et la péninsule arabique perd, du coup, de son importance. Devenu patron des services secrets de son pays, le prince Bandar, 64 ans, annonce que l’Arabie saoudite va se distancier des Etats-Unis. Ces derniers temps, Washington et Riyad ne s’accordaient guère que sur un point: l’Iran, avec son supposé programme d’armement nucléaire et son agressif président Mahmoud Ahmadinejad, constituait le plus grand danger pour le Moyen-Orient. Puis, en juin dernier, le modéré Hassan Rohani, 65 ans, était élu à la présidence. Et nommait Mohammed Sharif, 53 ans, ex-étudiant à Denver, aux Affaires étrangères.

Il y a quelques semaines, après trente-quatre ans de brouille sévère, Washington a vu dans un rapprochement avec Téhéran diverses options d’ouverture au Moyen-Orient. Un accord favorable à toutes les parties: à l’Iran par la suspension de sanctions ruineuses; à l’Occident par le gel du programme nucléaire iranien. Un délai de six mois pour les deux parties, dans l’espoir d’atteindre un objectif beaucoup plus éloigné: un accord définitif de nature à atomiser le spectre nucléaire et permettre à Téhéran de reprendre un rôle de puissance régionale constructive.

Les Saoudiens sont les perdants de l’affaire. D’autant que des voix critiques pourraient s’élever en Occident contre leur régime. Jusqu’ici, ils ont été les fers de lance d’une doctrine wahhabite rigide; contrairement à ce qui se passe en Iran, tout autre lieu de culte est interdit en Arabie saoudite; et si la famille al-Saoud a combattu al-Qaida à l’intérieur de ses frontières, elle n’a jamais condamné la violence à l’extérieur et passe pour un centre décisif du financement du terrorisme. Dans la guerre civile syrienne, Riyad finance les anti-Assad, mais soutient surtout les islamistes qui veulent faire de la Syrie un califat. La peur de l’isolement conduirait le royaume à une démarche aventureuse: selon des rapports secrets, il tenterait de se procurer rapidement l’arme atomique avec l’aide du Pakistan, dont il avait généreusement financé le programme nucléaire dans les années 90.

Intérêts communs avec Israël. Et c’est ainsi que l’accord de Genève dévoile qu’une monarchie absolue comme l’Arabie saoudite et un Etat démocratique comme Israël ont des intérêts communs. Tellement communs qu’il existerait des plans pour que les bombardiers israéliens puissent non seulement survoler l’espace aérien saoudien pour attaquer les sites nucléaires iraniens, mais aussi compter sur l’appui logistique du royaume.

Accord ou non, l’Iran reste considéré comme une menace. Si l’on a pris note des propos modérés du président Rohani, on n’a pas moins enregistré les considérations du seul homme qui commande vraiment en Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, qui continue de dénier à Israël le droit d’exister.

Le scénario de cauchemar des contempteurs de l’accord de Genève se déroulerait comme suit: l’accord, qui libère 7 milliards de dollars jusqu’ici gelés, soulage la pression sur Téhéran, qui a été contraint de négocier en raison de la situation économique désespérée du pays.

Psychologiquement, il serait difficile d’appliquer un nouveau régime de sanctions sévères, même si les Iraniens n’étaient pas disposés à d’autres concessions ou ne respectaient pas leurs engagements: les groupes pétroliers américains et les constructeurs de voitures français trépignent déjà d’impatience à l’idée de conclure de juteux contrats. L’accord de Genève interdit à l’Occident de placer de nouvelles personnes ou organisations sur liste rouge pendant au moins six mois.

Les observateurs optimistes, eux, pensent que Khamenei rappellera à l’ordre les Gardiens de la Révolution au moins ces prochains mois. Il a d’ailleurs expressément salué l’accord de Genève, et aucun trublion ne s’oppose ces jours aux modérés du régime, incarnés par le président Rohani. Mais l’Iran est loin d’être un Etat monolithique: il comprend plusieurs centres de pouvoir qui convergent tous vers le Guide suprême.

© Der Spiegel
Traduction et adaption Gian Pozzy

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Maryam Rahmanian / REDUX / LAIF
D igitalglobe / Handout
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