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Garde alternée: «Un week-end sur deux, ce n’est pas assez»

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Jeudi, 7 Avril, 2016 - 05:49

Interview. Après le divorce, de plus en plus de parents optent pour un partage équilibré de la garde   de l’enfant. Est-ce la meilleure solution pour ce dernier? Si oui, pourquoi et à quelles conditions? La recherche progresse. A la veille d’un colloque international à Sierre, le point avec sa coorganisatrice, Séverine Cesalli.

Longtemps, le principe de simplicité a prévalu. Et le plus simple en cas de divorce, c’est d’effacer l’un des parents du tableau. Aujourd’hui, on s’aperçoit que même si ça complique le quotidien, il est essentiel pour l’enfant de maintenir un lien fort à ses deux parents. La garde (ou résidence) alternée gagne du terrain, mais suscite aussi de vives querelles d’experts. Un colloque international réunira une brochette de ces chercheurs prochainement à Sierre *. La pédopsychiatre Séverine Cesalli participe à son organisation.

En 2014, l’autorité parentale conjointe est devenue la règle par défaut en cas de divorce en Suisse. Mais elle n’implique pas nécessairement une garde alternée.

Il ne faut pas confondre. L’autorité parentale conjointe suppose que les deux parents se concertent sur les décisions importantes pour la vie de l’enfant, comme le choix de l’école ou les décisions médicales. Mais elle laisse ouverts tous les modes de garde. A l’extrême, je peux jouir de l’autorité parentale conjointe, vivre en Australie et ne jamais voir mes enfants.

Et concernant la garde, rien de neuf dans la nouvelle loi?

Si, un pas en faveur de la garde alternée: le juge se doit d’en examiner la possibilité si une seule personne la demande. Auparavant, si une seule personne s’y opposait, la possibilité était abandonnée. C’était la plupart du temps la mère.

La personne qui la demande, ça peut être l’enfant? Sait-on si les enfants sont pour?

Au Canada, 70% des enfants désirent une garde alternée. En Suisse, on ne fait que commencer à leur poser la question dans les procédures de divorce. Mais, en tant que pédopsychiatre et psychothérapeute, j’observe qu’ils sont généralement pour dans la mesure où cela leur permet de maintenir une bonne relation avec leurs deux parents.

Quelle est la proportion de couples divorcés en Suisse qui adoptent ce mode de garde?

C’est difficile à dire. La statistique officielle indique un petit 5%. C’est très peu par rapport à d’autres pays qui ont pris une grosse avance sur nous. En Suède, où la même modification législative date de 1998, la proportion de couples divorcés adoptant la garde alternée est passée de 5% à 35%. En France, la loi a changé en 2002 et cette proportion est passée de 12% en 2003 à 21% en 2012. Cela dit, en Suisse, dans la pratique, la proportion est beaucoup plus haute. Le cas type est celui où la mère obtient la garde exclusive mais avec un droit de visite élargi en faveur du père, ce qui revient, pratiquement, à une garde alternée.

Ça veut dire que l’enfant habite à 50% chez chaque parent?

Pas forcément. En Suède, la définition de la garde alternée suppose un partage à 50%, mais dans la plupart des pays, la définition est plus souple. Celle du Conseil international sur la résidence alternée (CIRA) inclut les solutions où l’enfant passe un tiers du temps chez l’autre parent. Ce qui est sûr, c’est qu’avec un droit de visite restreint à un week-end sur deux, formule qui a longtemps prévalu, un parent perd son rôle éducatif et parental. Surtout si l’enfant est petit, le risque est celui de la perte totale du lien.

En France, la moitié des familles qui pratiquent la «résidence alternée» scindent la semaine en deux, et 25% optent pour la solution une semaine/une semaine. Y a-t-il une formule meilleure qu’une autre?

Pourvu que l’organisation ne soit pas chaotique, la meilleure solution limite les inconvénients pratiques pour l’enfant en créant un cadre où il peut trouver une régularité. La bonne formule dépend aussi beaucoup de l’âge de l’enfant avec pour principe d’éviter les temps de séparation trop longs. Le psychologue belge Jan Piet de Man, membre du CIRA, explique que pour un petit de moins de 1 an, un jour est aussi long qu’un mois pour un adulte. Donc, plus l’enfant est jeune, plus le temps de séparation doit être court.

Selon lui, un enfant ne devrait pas être séparé de l’autre parent plus de jours de suite qu’il n’a d’années. C’est donc seulement à 7 ans qu’il pourra supporter une organisation selon le principe une semaine sur deux. Ces recommandations sont un peu rigides à mon goût, elles sont à adapter à chaque situation. Surtout, quelle que soit la formule, les parents qui trouvent une solution réussie, c’est d’abord ceux qui parviennent à garder le bien de l’enfant comme critère premier. Certains y arrivent même en situation de grave conflit.

Tout de même, prenons un enfant de 9 ans. Entre la semaine panachée et la formule une semaine sur deux, que conseillez-vous?

Plutôt le panachage parce qu’il permet d’assurer une régularité, par exemple dans la gestion des activités extrascolaires: le mardi, j’ai mon cours de judo, je prends mes affaires chez ma mère; le jeudi, c’est l’école de musique, je rentre avec tel ami jusque chez mon père…

Dans vos consultations, vous recevez aussi les parents: statistiques mises à part, observez-vous une progression de la garde alternée?

Assurément. Les mentalités changent, et les pratiques aussi. La grande évolution, c’est celle de la présence des pères. Il y a seize ans, à la Guidance infantile de Genève où j’ai commencé la pédopsychiatrie, les pères étaient très peu présents. Aujourd’hui, ils s’impliquent davantage. Il faut dire que, comme d’autres thérapeutes, j’ai moi-même évolué: j’invite systématiquement les pères à la consultation, ce que je n’avais pas été formée à faire. En général, ils viennent. Ou ils se manifestent spontanément, ce qui était très rare il y a seize ans.

Qu’observez-vous d’autre?

Je vois que l’enjeu financier est malheureusement une donnée qui pervertit souvent le débat. Avec une garde alternée, la mère reçoit moins d’argent qu’avec une garde exclusive, ce qui alimente des dynamiques assez vicieuses: on voit les enfants devenir les «employeurs» de leur mère, selon le mot de l’avocate Anne Reiser. Ou des pères demander la garde alternée uniquement pour payer moins.

J’observe aussi beaucoup les dégâts causés par l’absence de père: le garçon qui décroche à l’école est un cas type et je suis à chaque fois épatée de voir avec quelle rapidité il s’y remet dès que le géniteur réapparaît. Selon une étude canadienne, 90% des ados qui fuguent, 80% des jeunes en prison, 71% des enfants qui décrochent à l’école ont des pères absents. Je vois aussi que la garde alternée favorise la recomposition des familles: des deux côtés, les ex-conjoints renouent des liens, c’est un facteur de stabilisation affective. C’est aussi une manière de recréer une forme de famille élargie, avec une belle variété d’adultes de référence autour des enfants.

Ces dernières années, de nombreuses études ont tenté d’établir scientifiquement si la garde alternée est une bonne ou une mauvaise solution pour l’enfant. Verdict?

Globalement, les études basées sur de larges échantillons sont positives: la garde alternée a des effets bénéfiques sur le développement de l’enfant. Mais il faut admettre que ce genre d’enquête souffre d’un biais au départ: les ex-conjoints qui adoptent la garde alternée sont ceux qui, d’emblée, s’entendent suffisamment pour la rendre possible. Or, moins il y a de conflits entre les parents, mieux l’enfant se porte, là est le critère décisif. On peut donc objecter à ces études qu’elles ne prouvent pas les bienfaits de la garde alternée en elle-même.

Forcer les parents à s’entendre, c’est possible?

Souvent! Certains pays ont mis en place toutes sortes de mesures dans ce sens. Dans l’Etat américain du Nebraska, on oblige les parents divorcés à prendre des cours, avec des résultats positifs. Même dans les pires moments, les parents ont toujours le désir de faire mieux pour leur enfant.

Mais toutes les recherches ne chantent pas les louanges de la garde alternée…

Non, loin de là. En France, on assiste à une véritable guerre de tranchées entre experts pour ou contre. Ce qui est, à mon avis, une très mauvaise manière d’empoigner la question. Les détracteurs de la garde alternée se basent en général sur l’observation de cas individuels et conflictuels. Là aussi, il y a un biais de départ: les situations conflictuelles surviennent dans moins de 10% des divorces.

Quels sont les arguments contre la garde alternée?

Pour résumer, ses détracteurs considèrent que c’est une solution qui correspond au sentiment de justice des adultes, mais au détriment des enfants, qui souffrent de se voir ballottés d’une maison à l’autre.

Quand le conflit fait rage, c’est vrai que c’est dur pour les enfants…

C’est vrai. La question est: que faire? La tendance, chez les juges et les services sociaux, est de chercher la solution qui leur semble la plus simple pour calmer le jeu dans l’urgence; très souvent, ils laissent l’enfant à la mère. D’autant plus lorsque l’enfant dit: «Je ne veux plus voir papa, c’est trop de souffrance…» Le problème est qu’il fait ce choix dans un contexte de conflit de loyauté cornélien, et au détriment d’une partie de lui-même. Et que cette solution n’est pas bonne pour sa construction psychique à long terme. Elle favorise un clivage de sa personnalité.

Que faire alors?

D’abord, je note qu’en cas de conflit particulièrement destructeur, les services sociaux peuvent aussi retirer l’enfant à la garde des deux parents, le temps qu’ils se soignent. Plus généralement, il faudrait agir en amont, en créant autour de la famille déchirée tout un contexte qui encourage à une solution négociée. Et qui aide les parents à faire leur deuil. Malheureusement, la Suisse n’est pas championne en matière de prévention. Le grand problème, lorsqu’un juge entérine le coup de force d’un parent en lui octroyant la garde exclusive, est qu’il crée une situation irréversible. Lorsque le lien est perdu, il est très difficile de revenir en arrière.

En cédant au parent le plus insistant, on entérine la loi du plus fort?

Ou du plus faible! L’aliénation parentale, ce n’est pas seulement un ex-conjoint qui médit de l’autre. Il suffit qu’il signifie à l’enfant: «J’ai été abandonné(e), heureusement que tu es là…»

Tout de même, avoir deux maisons, ce n’est pas confortable. Entendez-vous, chez les enfants, le besoin d’avoir une maison dont ils puissent dire: «C’est chez moi»?

Oui, bien sûr, c’est le cas par exemple de mon beau-fils! Il a sa chambre principale chez sa mère. Mais le besoin d’avoir une résidence principale n’empêche pas la garde alternée. Entre les inconvénients pratiques de la double résidence et ceux de la perte du lien avec un des parents, il n’y a simplement pas photo! Je le vérifie tous les jours dans ma vie privée et professionnelle: le plus important pour l’enfant, c’est la qualité de la relation avec ses deux parents.

* «Les nouvelles formes de parentalité: le temps du partage… et l’enfant?» 19-20 mai. HES-SO, Sierre. Le colloque s’adresse aux professionnels. Le 19 mai à 18 h 30, conférence publique de l’avocate Anne Reiser suivie d’un débat: «Divorce, multidisciplinarité, nouvelles approches». Programme et inscriptions: http://unige.ch/cide/fr/actualités
A lire: «Père, mère après séparation», de Gérard Neyrand, Gérard Poussin et Marie-Dominique Wilpert. Eres. Les auteurs seront présents au colloque.

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