Dépôts de recours, aide administrative, demande de mariage ou de divorce, la justice romande n’a pas encore informatisé ces processus. Et accuse un grave retard sur le reste de l’Europe.
Pascal Nicollier en a marre. Pour consulter un dossier classé par une cour, l’avocat vaudois a dû conduire quarante-cinq minutes, emprunter deux classeurs stockés dans un bureau, reprendre la route avec ces classeurs pendant quarante-cinq minutes, les photocopier page par page, et reconduire quarante-cinq minutes pour rendre les classeurs. «C’est un processus coûteux, lent et très peu sûr, gronde l’avocat. Nous vivons en 2015, et la justice romande se repose systématiquement sur le papier. C’est ridicule.»
Contrairement à celui de ses voisins français, anglais ou allemands, le système judiciaire suisse, en particulier romand, n’est pas encore passé à l’ère numérique. «Des tonnes de papier traînent dans les bureaux des avocats et des différents tribunaux», explique Philippe Nantermod, avocat et conseiller national PLR valaisan. Le problème? Premièrement, le papier est coûteux. Le canton de Genève a par exemple déboursé 10,5 millions de francs en photocopies et en frais de timbrage en 2014, soit 6,5% de ses dépenses ou encore 9,37% du budget total de la justice genevoise de cette année-là.
Deuxièmement, le médium n’est pas pratique. «Nous devons envoyer physiquement les dossiers, dit Pascal Nicollier, qui est membre de la commission internet de l’ordre des avocats vaudois. Cela prend du temps.» Finalement, le procédé est dangereux. «Un dossier original envoyé par la poste peut disparaître à jamais; au contraire, un dossier électronique laisse toujours une trace quelque part», affirme-t-il.
Une poignée d’initiatives ont malgré tout vu le jour pour numériser des composantes de la justice. Les avocats peuvent par exemple envoyer des recours par voie électronique au Tribunal fédéral depuis 2007. Mais le système n’a pas rencontré un grand succès: seuls 25 recours sur 7702 ont été déposés par voie électronique en 2014.
Pourquoi ce manque de succès? «Le système requiert d’apposer plusieurs signatures à un document pour en vérifier sa validité, répond l’avocat genevois Nicolas Capt. De plus, les avocats ont peur que le système ne marche pas et que cela se retourne contre eux.» Certains observateurs décrivent également un désamour pour la chose informatique, enraciné profondément dans la culture juridique helvétique, où le papier revêt une valeur unique. «Ce médium est tellement ancré dans cette profession, nous avons tendance à utiliser le papier comme élément probatoire», dit Nicolas Capt.
Une brise de changement commence néanmoins à se faire sentir. Le Parlement vaudois a voté un budget de 13 millions de francs pour transformer l’informatique du canton. Genève veut aussi améliorer son système informatique, notamment pour développer les services en ligne. «Nous offrons une seule prestation pour le moment. Mais nous voulons étoffer l’offre, afin de permettre aux justiciables d’obtenir, par exemple, des attestations sans avoir à se déplacer, indique Patrick Becker, secrétaire général du pouvoir judiciaire genevois. Nous voulons aussi développer la gestion électronique des actes et documents de procédure, projet dont le financement n’est pas encore assuré.»
Davantage d’information et de fonctionnalités sur les sites internet donneraient également la possibilité de mieux renseigner les citoyens sur le système judiciaire helvétique. Selon un sondage réalisé auprès de 3500 personnes par Interface, une société de conseil politique, 60% des personnes interrogées s’estimaient mal informées sur les tribunaux de leur propre canton.