Propos recueillis par Blandine Guignier
Des centaines de danseuses de cabaret se retrouvent sans permis de travail depuis le 1er janvier 2016. Romaric Thiévent, géographe, auteur d’une thèse sur les danseuses de cabaret extra-européennes en Suisse, soutenue en juin 2015 à l’Université de Neuchâtel, éclaire leur parcours.
Qui étaient les détentrices d’un permis d’artiste de cabaret?
Les trois quarts des femmes venaient des pays de l’Est (Ukraine, Moldavie, Russie) ou de République dominicaine. A cela s’ajoutaient quelques nationalités «résiduelles» comme les pays d’Asie du Sud-Est ou le Maroc. La tranche d’âge la plus représentée était celle des 20-30 ans, l’industrie du sexe valorisant le corps de la femme jeune.
Faisaient-elles une seule fois le voyage ou revenaient-elles plusieurs années de suite en Suisse?
Elles venaient pour la plupart une ou deux fois seulement en Suisse, grâce à des agences de placement. Mais la question est plutôt de savoir pourquoi elles faisaient ce travail plus ou moins longtemps. Les conditions de travail très difficiles dans les cabarets, du fait notamment des horaires de nuit et des abus d’alcool, constituaient le premier facteur. Ces femmes avaient, par ailleurs, des projets migratoires extrêmement différents. Certaines avaient besoin d’une somme d’argent précise et s’arrêtaient une fois qu’elles l’avaient réunie, d’autres en avaient fait un projet de vie.
Avez-vous été confronté dans vos entretiens à des cas de traite d’êtres humains?
Les personnes interrogées m’ont parlé de cas d’exploitation: retenues sur salaire, arnaques aux cartes AVS, etc. Mais je n’ai eu accès à aucune situation d’exploitation extrême.
Un des arguments en faveur de l’abolition de ce permis était pourtant justement la lutte contre la traite…
Je trouve ce discours étrange, car le statut de danseuse de cabaret avait été créé dans le but de mieux protéger les femmes extra-européennes, qui venaient travailler dans les cabarets au bénéfice d’un permis d’artiste. Pour les protéger contre les multiples abus dont elles étaient victimes dans un secteur jusqu’alors peu réglementé. Or, l’Etat a failli à faire appliquer la loi et, plutôt que d’intensifier les contrôles, il a supprimé un permis, donc une voie migratoire.
On a tendance, dans la presse et chez les politiciens, à agiter le spectre de la traite d’êtres humains lorsqu’on parle de flux migratoires des travailleuses du sexe, parce qu’on a du mal à accepter qu’il s’agisse d’un choix, même par défaut. Une danseuse de cabaret ukrainienne m’a dit un jour qu’elle ne voyait pas en quoi il était plus dégradant de venir danser dans un cabaret ici que de travailler sur un marché à Kiev pour une misère.