Dossier. Généralisée en 1985, la prévoyance professionnelle doit se réformer pour faire face à l’allongement de la durée de la vie. Au moment même où l’écrasement des rendements des placements et les taux d’intérêt négatifs remettent son mode de financement en question. Point de la situation.
Mme Meyer n’en peut plus d’attendre sa retraite. Elle compte. Les jours qui lui restent à travailler. Et ce qu’elle touchera après son retrait de la vie active. Dans le stress du quotidien, de la carrière à construire et à défendre, bien peu sont les travailleurs à tenter d’imaginer quel sera leur niveau de vie après. Seule certitude, il baissera. De combien?
Toutes sortes de théories circulent, des plus sérieuses aux plus fantaisistes. Et Mme Meyer peine à faire la part des choses. Les trois piliers du système suisse de prévoyance ne sont déjà pas faciles à comprendre. Alors, quant à pénétrer les mécanismes redoutablement complexes qui animent rien que le deuxième d’entre eux, bien du plaisir! Aussi notre future retraitée s’en tient-elle pour l’essentiel à ce qu’elle entend autour d’elle: les rentes vont baisser, les promesses de maintien du niveau de vie ne seront pas tenues. Alors à quoi bon croire encore au système?
Elle a raison de s’interroger et de ne pas se fier à toutes les promesses. «Le système est sous stress et les critères réglementaires qui l’encadrent ne sont plus tout à fait adaptés aux réalités du monde du travail contemporain», reconnaît l’expert Graziano Lusenti. Mais Mme Meyer aurait tort de la donner pour morte car, en dépit de ses difficultés, des défis qui l’attendent, la prévoyance professionnelle reste encore, avec le premier pilier, l’AVS, le meilleur garant d’une restitution équitable des richesses accumulées pendant une vie de travail. A condition de la faire évoluer, de lui permettre d’échapper au piège mortel qui menace de se refermer sur elle.
L’étau
Le système de prévoyance est pris en tenaille entre deux phénomènes lourds de conséquences. D’une part, l’allongement de la durée de la vie, qui accroît les coûts. De l’autre, la baisse des rendements des placements, qui diminue les recettes. La solution n’a donc rien d’un miracle: moins d’argent à répartir plus longtemps signifie réduction des rentes. Ou élévation des cotisations.
A son niveau, chaque institution de prévoyance tente d’éviter l’un et l’autre en cherchant les meilleures formules de placements de la fortune accumulée – le 2e pilier est assis sur une fortune supérieure à 770 milliards de francs, plus que le PIB annuel –, avec pour objectif de financer les rentes présentes et futures. En dépit de la pression actuelle, «une institution de prévoyance doit pouvoir dégager entre 3,5 et 5% de rendement par an», soutient Graziano Lusenti.
Mais la tâche est de plus en plus lourde, dénoncent les professionnels, qui plaident pour une adaptation des critères minimaux: baisse du taux de conversion (actuellement 6,8%), afin d’éviter que les cotisants d’aujourd’hui n’alimentent les avoirs des retraités. Baisse du taux d’intérêt minimal (1,25%), qui met un plancher à la projection minimale sur la longue durée de la performance des avoirs de retraite. Enfin, baisse du taux technique de référence, qui met un maximum à cette même projection (2,75%).
Vu la complexité redoutable de la machine, «les praticiens eux-mêmes peinent à avoir une vision d’ensemble, car chacun se concentre sur les questions techniques propres à son domaine», poursuit Graziano Lusenti. Les gérants des caisses de retraite s’inquiètent en priorité de l’adéquation entre les actifs et les passifs de leurs livres de comptes; les assureurs se focalisent sur leurs risques; les gérants d’actifs déplorent le recul des rendements. Tous invoquent la rigueur du cadre réglementaire – l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle (OPP2), à laquelle s’ajoute le Test suisse de solvabilité (SST) pour les assurances – pour éviter de prendre des initiatives originales en matière de placements. Des initiatives qui pourraient améliorer les rendements.
Pourtant, comme le dénoncent nombre d’experts, si les critères continuent de diminuer, il n’y aura plus d’argent à redistribuer et ce sera la mort du 2e pilier. Aussi, c’est pour sortir de cette impasse que la Confédération s’est engagée dans la réforme Prévoyance 2020. En privilégiant la seconde option, un relèvement des cotisations, afin d’éviter un appauvrissement des personnes âgées dans les décennies à venir.
Le projet présenté par le Conseil fédéral tablait sur un relèvement de l’âge de la retraite pour les femmes à 65 ans et une réduction du taux de conversion de 6,8 à 6%. Avec, pour monnaie d’échange, un abaissement du seuil d’entrée et le maintien du niveau des rentes pour les cotisants grâce à un relèvement de la TVA.
Les fronts se cristallisent
Or, les Chambres ne l’entendent pas forcément de cette oreille. En septembre dernier, le Conseil des Etats a refusé de diminuer le seuil d’entrée, barrant l’accès au 2e pilier à toute personne ne déclarant pas au moins 21 550 francs de revenus par année (montant valable en 2016). En revanche, il a accepté une hausse de 70 francs des rentes AVS individuelles et un relèvement de 1% maximum de la TVA pour financer la phase d’adaptation entre le régime actuel et le nouveau.
C’est cet automne, probablement à la session de septembre, que le Conseil national se prononcera à son tour. L’examen a donc commencé auprès de la Commission des affaires sociales et de la santé du National. Son rapport et ses recommandations devraient être publiés en août. En attendant, les fronts se cristallisent. La gauche tient mordicus à un abaissement du seuil d’entrée. «C’est le débat principal», soutient le socialiste fribourgeois Jean-François Steiert. A droite, on veut bien limiter à 65 ans le départ à la retraite, au lieu des 67 préconisés en 2003 par l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin (même si cette idée refait périodiquement surface), à la condition d’une «grande flexibilisation, identique pour les femmes et les hommes, permettant un départ entre 62 et 70 ans», déclare la PLR vaudoise Isabelle Moret. De plus, «il n’est pas question de relever la TVA au-delà du niveau décidé par le Conseil des Etats», poursuit la parlementaire. On le voit, les marchandages ne sont pas terminés.
Le dernier mot reviendra bien sûr au peuple, appelé à voter, sans doute en 2017, afin d’autoriser une entrée en vigueur de la réforme dès l’année suivante. Pour autant que le souverain ait la conviction d’être le véritable bénéficiaire de la réforme. Faute de quoi, le scepticisme de Mme Meyer risque de se transformer en non dans l’urne, fragilisant encore davantage le système dans son entier.
Petit lexique du 2e pilier
Avoir de libre passage
Avoir accumulé à une date déterminée et que l’affilié transfère dans une nouvelle institution s’il change d’employeur.
Avoir de prévoyance
Fortune accumulée par les cotisations payées par l’affilié et son employeur (s’il est salarié), augmentées du rendement des placements.
Degré de couverture
Le rapport entre les actifs et les passifs au bilan de l’institution de prévoyance.
Institution de prévoyance
Entité indépendante, ordinairement organisée en fondation, chargée de gérer la prévoyance professionnelle de ses affiliés. Ces entités sont subdivisées en:
– Fondations propres, auxquelles les employés d’une entreprise particulière (Nestlé, Rolex…) sont affiliés.
– Fondations collectives. Institutions auxquelles peuvent s’affilier les entreprises et leurs salariés. Chaque entreprise peut y constituer une caisse indépendante en son sein.
– Fondations communes. Institutions auxquelles peuvent s’affilier des entreprises, généralement actives dans le même domaine (construction, industrie, etc.).
Piliers
Systèmes de prévoyance. Le premier, l’AVS, répartit parmi les retraités les cotisations versées par les actifs. Le deuxième, la prévoyance professionnelle, recueille les cotisations des salariés, de leurs employeurs et des indépendants qui en font le choix, pour constituer des avoirs destinés à assurer un revenu aux retraités, sous forme de rente ou de capital. Le troisième est la constitution optionnelle d’un patrimoine disponible également sous forme de capital ou de rente.
Régime obligatoire
Régime appliqué à la part des avoirs de prévoyance régis par la réglementation minimale de la prévoyance professionnelle.
Régime surobligatoire
Régime appliqué à la part des avoirs de prévoyance payés en plus des minima par l’affilié (et son employeur) et qui, par conséquent, n’est pas soumis aux contraintes minimales.
Salaire assuré
Part du salaire des affiliés au 2e pilier servant de base de calcul pour le prélèvement des primes et la constitution des avoirs de prévoyance.
Taux de conversion
Instrument permettant de calculer les rentes sur la base du capital accumulé par chaque affilié durant sa vie professionnelle. La réforme Prévoyance 2020 prévoit d’abaisser en quatre ans ce taux à 6% au lieu de 6,8% actuellement.
Taux d’intérêt technique
Instrument permettant de calculer l’évolution prévisible des capitaux de prévoyance sur la base des rendements moyens à long terme de ses placements. Le taux technique de référence est fixé à 2,75% pour 2016.
Taux minimal
Taux de rémunération minimal des comptes de prévoyance des assurés. En 2016, il s’élève à 1,25%.
«Le guide de votre prévoyance» (Pierre Novello, Albert Gallegos), Office fédéral des assurances sociales, Chambre Suisse des Experts en Caisses de Pensions.