Zoom. Grâce au boom des microbrasseries, la Suisse se remet à la production de malt, disparue du pays dans les années 70. Plusieurs projets voient le jour à Genève, dans le Jura et dans le canton de Vaud.
Près de 600: c’est le nombre de brasseries que comptait la Suisse fin 2015. En 1985, elles n’étaient que 35. Cette forte progression est due à l’essor du nombre de microbrasseries, porté par l’engouement des consommateurs pour les produits régionaux. Les petits fabricants de bière, fermement implantés dans le terroir de leur canton, sont pourtant moins locaux qu’il n’y paraît au premier abord. Ils se voient en effet contraints d’importer leur malt – de l’orge cuite pour en dégager les arômes – de France ou d’Allemagne. Une situation qui perdure depuis les années 70 et l’émergence de géants étrangers auxquels les acteurs suisses n’ont pas su résister.
Mais la donne est en train de changer. Plusieurs projets de malteries se développent en Suisse romande. Le Cercle des agriculteurs de Genève (CAG), une coopérative qui gère le pool céréalier du canton, a mis une première installation en service fin 2015. L’initiative a nécessité l’achat d’une machine en Allemagne et coûté 1 million de francs, financés par la coopérative, le canton de Genève et la Confédération. Sa capacité de fabrication atteint 250 tonnes par année, ce qui correspond à 1 250 000 litres de bière. Bien loin des 500 tonnes par jour que fabriquent les grandes malteries industrielles de France et d’Allemagne.
«En comparaison, nous sommes des artisans», dit John Schmalz, le directeur du CAG. En début d’année, une deuxième structure de plus petite taille, lancée par trois agriculteurs, a vu le jour à Bavois, dans le canton de Vaud. Dans le Jura, la Brasserie Blanche Pierre s’est aussi attelée à la création de sa propre malterie, qui devrait être opérationnelle cet automne.
Un souci de cohérence
Ces démarches suscitent l’enthousiasme des brasseries, qui ont ainsi la possibilité de proposer de la bière «vraiment locale». «Devoir importer notre malt alors que nous sommes installés au milieu des champs constitue une importante source de frustration, raconte Fabien Claret, de la Brasserie du Père Jakob, à Soral (GE), qui ambitionne également de créer sa propre malterie. Nous nous fournissons désormais en malt genevois pour toutes nos bières blondes, un pas vers plus de cohérence avec nos valeurs. Quant au goût de la bière, on sent la différence. Il est plus frais, avec une saveur de céréales plus prononcée. Les retours de nos clients sont très positifs.»
Les cultivateurs de céréales, de leur côté, y trouvent aussi leur compte. «La malterie du CAG permet de valoriser le travail de nos membres et d’apporter une diversification bienvenue, souligne John Schmalz. La démarche offre aussi la possibilité de se réapproprier un savoir-faire oublié.» Ces dernières années, de nombreux paysans suisses ont abandonné la culture d’orge fourragère, plus assez rentable. Dans ce contexte, l’orge brassicole, céréale de niche pour laquelle ils obtiennent un prix intéressant, constitue un nouveau débouché. Car les brasseries sont prêtes à payer plus cher pour du malt local qui répond aux aspirations des consommateurs: 2 francs le kilo pour celui du CAG, contre 0,9 centime d’euro en moyenne pour le malt étranger, sans compter les frais d’importation.
Bientôt du whisky?
En transformant l’orge d’une vingtaine d’agriculteurs genevois, le CAG fournit déjà huit brasseries de la région. «La demande est importante, de la part des microbrasseries mais aussi des restaurants, qui proposent leur propre bière, et des petits commerces qui vendent des kits de brassage au détail. Notre offre se limite pour l’instant au malt blond, mais nous étudions la possibilité de fabriquer des malts colorés, à base d’autres céréales.» Et la malterie genevoise pourrait bien ne pas se cantonner à la bière. Elle a déjà été approchée par des producteurs de whisky.