Reportage.Obligée de protéger ses sources d’eau minérale à Vittel, Henniez et Saxon, la filiale de Nestlé s’est engagée dans un programme à long terme en faveur de la biodiversité et des énergies renouvelables. Avec le soutien indispensable des paysans et des communes concernées.
A priori, l’agriculteur de la Broye Olivier Mayor n’était pas vraiment destiné à devenir l’un des plus précieux partenaires de Nestlé. Converti à une agriculture entièrement naturelle après avoir réalisé que la production intensive bourrée de pesticides ne lui rapportait pas grand-chose, ce paysan qui produit notamment des blés anciens est devenu autonome, de la semence à la farine qu’il vend directement aux consommateurs. «Je suis sorti du système commercial de l’agro-industrie», sourit-il malicieusement.
Et pourtant quand, en 2012, le géologue Cédric Egger, de Nestlé Waters, lui propose de collaborer, il a la présence d’esprit d’entrer en matière. «Si l’on veut changer ce monde, mieux vaut le faire de l’intérieur qu’en s’y opposant.» Avec son exploitation toute proche du domaine des sources d’eau minérale Henniez, entre les mains de Nestlé Waters depuis 2007, Olivier Mayor a appris à gérer et à protéger au maximum sol et sous-sol tout en continuant à produire des denrées alimentaires en quantités suffisantes.
Zéro pesticide, zéro produit phyto-sanitaire, c’est la règle de base, sans compromis possible, de tout exploitant d’eaux minérales qui se respecte. Si les anciens propriétaires des sources d’Henniez n’ont pas attendu Nestlé Waters pour préserver le site de 100 hectares, notamment en plantant des milliers d’arbres et en aménageant un parc naturel il y a un quart de siècle, la filiale du groupe agroalimentaire est allée beaucoup plus loin. Olivier Mayor a ainsi été invité à participer à la mise en place, sur ce domaine, d’un verger de quelque 80 arbres appartenant à de nombreuses anciennes variétés. C’est un véritable laboratoire génétique en plein air. Toujours sur cette même zone protégée, en vue de favoriser la biodiversité, un ancien ruisseau canalisé a été remis à ciel ouvert en 2015, avec le concours de la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud. Plus loin, un prototype de filtration naturelle est testé. Un gadget de Nestlé Waters pour peaufiner son image? «Pas du tout, nous évaluons la possibilité de construire un tel système tout près de nos usines dans le monde pour le traitement des eaux usées», précise Francesco Davila Alotto, collaborateur de la société.
Biogaz à Henniez
Associer à ses projets les paysans, mais aussi les communes et d’autres acteurs clés de la région, c’est pour Nestlé Waters la seule manière de progresser efficacement. Sylvain Bersier, qui possède une soixantaine de vaches et produit des céréales à proximité du domaine des sources d’Henniez, raconte qu’en 2007 un agronome français dépêché par la multinationale a été plutôt mal accueilli. Les paysans vaudois n’ont pas apprécié qu’il «débarque avec ses gros souliers leur dire comment ils devraient travailler désormais». Mais aujourd’hui tout est rentré dans l’ordre. Les relations avec l’ingénieur agronome Pierre Julien, qui a pris la suite, sont désormais qualifiées de «très bonnes». Sylvain Bersier a passé un contrat avec Nestlé Waters. Celle-ci lui compense financièrement la perte éventuelle de rendement liée à l’abandon des herbicides.
Par ailleurs, un réseau écologique composé d’un comité de cinq agriculteurs, dont Olivier Mayor, discute de différents projets, notamment ceux inclus dans le programme ECO-Broye. Dans un premier temps liés à la biodiversité, ces derniers concernent désormais aussi les énergies renouvelables. Une usine de biogaz agricole, la plus grande de Suisse, va être inaugurée le 6 juin prochain (voir l’infographie page 23). Une trentaine d’agriculteurs, dont Sylvain Bersier, sont associés à ce projet réalisé par la société Groupe E Greenwatt SA. Non seulement l’installation de biogaz va produire de l’électricité (4 millions de kWh par an, équivalant à la consommation de 1000 ménages) ainsi que de la chaleur destinée à l’usine d’embouteillage d’Henniez, mais elle fournira aux agriculteurs partenaires des engrais de ferme riches en phosphate, potassium et azote ammoniacal (plus rapidement assimilable par les plantes) et sensiblement moins odorants que des engrais classiques. Elle sera notamment alimentée par les effluents agricoles ainsi que le marc de café des sites Nestlé. «Le lisier de toutes mes vaches va alimenter l’usine de méthanisation», souligne Sylvain Bersier. Transport et stockage des matières sont à la charge de Groupe E Greenwatt SA et non des agriculteurs. Parmi ces derniers, deux seulement sont certifiés bios. Mais tous participent à un projet dont la valeur écologique est incontestable.
Vittel, la référence
C’est autour des sources de Vittel, Con- trex et Hépar, au cœur des Vosges, que Nestlé Waters, propriétaire de ces marques, a lancé il y a un quart de siècle un programme de recherche qui aujourd’hui fait école, notamment en Suisse. Agrivair, le nom de ce modèle écologique développé en partenariat avec l’Institut national de recherche agronomique (INRA), vise à protéger le périmètre des sources par une politique zéro pesticide, sans entraver le développement économique local.
Etendu sur 10 000 hectares, englobant 17 communes, il est en France l’un des plus grands territoires agricoles sans pesticides. Christophe Klotz, directeur d’Agrivair (Vair est le nom d’une rivière vosgienne), agronome de formation et titulaire d’un MBA en développement durable, a une dent contre les écologistes dogmatiques «qui dénigrent les entreprises». A ses yeux, biodiversité et dynamisme économique sont largement compatibles. La preuve? Ce sont ces 30 paysans qui continuent à exploiter leurs terres dans la zone protégée de Vittel, après avoir conclu une convention désormais trentenaire avec Nestlé Waters.
Daniel Sautré, l’un d’entre eux, est un paysan bio de la première heure. En 1978, on le prenait pour un zazou. Son fils Dominique a attrapé le virus et tous deux font notamment de l’élevage. Les Sautré ont vendu une partie de leurs terres à Nestlé Waters, qui les leur a remises à disposition et gratuitement. Daniel admet que, pour maints agriculteurs, «avoir moins de terres, c’est être moins riches. Impensable!» Mais, pour lui, l’important, c’est de produire et non pas de posséder. Pour mettre en œuvre sa politique de zéro pesticide, Nestlé Waters France a acquis, avec la collaboration des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), des terres agricoles qui étaient à vendre avant de les mettre à disposition des paysans. Une trentaine d’entre eux ont accepté un cahier des charges assez contraignant, comme le fait de ne pas avoir plus d’une tête de bétail par hectare pour limiter la quantité de déjections animales. Ils ont souscrit à une formule qui les désendettait pour de bon tout en leur permettant de poursuivre leur activité.
Par ailleurs, Nestlé Waters France paie l’impôt foncier et assure un soutien technique. Une poignée de paysans, dont il est bien difficile de connaître le nombre exact, ont refusé de traiter avec la filiale de Nestlé. Certains sont partis, d’autres continuent de pratiquer une agriculture conventionnelle qui présente un risque, certes limité, pour les zones aquifères.
Golf et jardin pédagogique
Hormis les zones agricoles cultivées, le territoire des sources comprend 300 hectares de forêts privées gérées sans pesticides. L’agroforesterie, qui associe des plantations d’arbres dans des cultures et des pâturages, est au cœur du système Agrivair. Un village du Club Med accueille un palace des années 1920 et un terrain de golf de 18 trous non traité, exclusivement entretenu par des moyens mécaniques. Les Championnats de France s’y déroulent. «Les golfeurs, surtout des étrangers, se donnent bonne conscience en jouant ici», sourit Michel Hernandez, le Monsieur Golf du Club Med.
Plus loin, dans une tout autre ambiance, au-dessus de la nappe des eaux Hépar, un jardin pédagogique est amoureusement entretenu par 80 volontaires. Ils y mettent en pratique et transmettent leurs savoirs et expériences d’une culture sans intrants. Christophe Klotz prend, quant à lui, son bâton de pèlerin pour expliquer aux entreprises de la région comment elles peuvent aménager des espaces verts naturels et riches en biodiversité. Vittel (5500 habitants) et Contrexéville (3500) sont des cités thermales qui offrent quelque 200 000 nuitées par an à des touristes qui se laissent séduire par leur qualité environnementale.
Jean-Jacques Gaultier, le maire de Vittel (Les Républicains), qui est aussi médecin, se réjouit de voir que le taux de nitrates dans sa cité se situe au-dessous de 10 mg par litre. C’est cinq fois moins que la norme maximale autorisée par l’UE. Dans le sillage de la COP21, l’image d’une ville verte est plus que jamais à cultiver. Ecologie et économie font apparemment bon ménage. Un seul petit regret pour le maire: depuis que Nespresso a fermé sa boutique, il n’y a plus à Vittel de centre de récupération des capsules de café usagées. Voilà qui fait quelque peu désordre!
Géothermie à Saxon
En Suisse aussi, les édiles profitent des avantages offerts par la présence d’eaux minérales. C’est notamment le cas à Saxon (VS), où Nestlé Waters exploite la Source aux Croix, berceau de la marque Cristalp. L’avocat Léo Farquet, qui enchaîne six mandats consécutifs à la présidence de la commune, veut que celle-ci soit «à la pointe des énergies renouvelables». Tous les bâtiments publics sont équipés de panneaux photo-voltaïques et de pompes à chaleur.
Depuis l’automne 2012, Nestlé Waters, la commune de Saxon, le groupe hôtelier et médicosocial BOAS et la société Groupe E Greenwatt SA ont lancé un projet d’exploitation de la chaleur naturelle de la source thermo-minérale pour subvenir aux besoins énergétiques du voisinage. Comme son eau jaillit à une température de 25 degrés, autant exploiter cette chaleur à bon escient plutôt que la gaspiller. Avec un indispensable complément de pellets, ces granulés de bois combustible, le système fonctionne. Au départ, Nestlé Waters comptait utiliser l’énergie tirée de cette eau chaude pour son usine d’embouteillage. Par ailleurs, le nouveau complexe BOAS projetait également de faire des forages non loin de la source pour ses propres besoins, ce qui n’était pas sans inquiéter les responsables de Nestlé Waters. Ils ont alors contacté Groupe E Greenwatt SA, qui a mis tout le monde d’accord en étendant la fourniture d’eau chaude (et partiellement d’eau froide en été) non seulement à l’usine et au groupe BOAS mais aussi, dans une seconde étape à venir, à des bâtiments publics et des immeubles en construction. Quelque 400 ménages seraient concernés.
Reste pour Groupe E Greenwatt SA, le maître d’ouvrage, à rendre son investissement de 6 millions de francs rentable sur trente ans. Un ambitieux projet de stockage souterrain de l’eau, qui serait injectée l’été avant d’être réutilisée l’hiver, est à l’étude. Léo Farquet avoue souhaiter que Nestlé Waters «joue un rôle phare» auprès du canton et de la Confédération pour que ce projet aboutisse et que le chauffage à distance dans sa commune de 6000 habitants devienne une affaire économiquement viable.
Création de valeur partagée
Que ce soit à Henniez, à Vittel ou à Saxon, la haute protection de ses eaux de source oblige Nestlé Waters à s’embarquer dans une dynamique de développement durable qui englobe une kyrielle de partenaires avec lesquels il est indispensable de collaborer. La création de valeur partagée, ce concept du gourou américain du management Michael Porter qui tend à réconcilier business et éthique et que Nestlé communique avec ardeur, est ici mise quotidiennement à l’épreuve. Elle s’apprend, s’expérimente et s’adapte au contact des hommes et des femmes. Elle ne coule pas de source.