Céline Zünd
«J’aimerais arrêter, mais je n’y arrive pas»
Jérôme* aime son travail de peintre en bâtiment. L’apprenti a un peu de peine à se lever le matin, mais ça, c’est à cause des joints. Il en fume cinq par jour depuis un an et demi. Parfois, il lui arrive d’allumer une cigarette d’herbe au lit, avant même de poser le pied par terre. «Fumer de l’herbe, c’est mieux que boire de l’alcool, sauf quand on devient dépendant, dit-il. La weed, ça me détend, ça me fait décompresser, c’est sécurisant. Mais ça me ramollit aussi, ça fait perdre des neurones. J’aimerais arrêter, mais je n’y arrive pas, j’ai pas la motivation.» Son père, agriculteur, a tenté de le pousser à arrêter. En vain.
«Il m’a fait passer des tests urinaires, mais je mettais de l’eau dedans.» Jérôme* pense que si le cannabis devient légal, comme l’alcool, les dealers devront vendre encore plus de drogue dure pour se faire de l’argent. «Il faut que ça reste interdit, je ne veux pas que l’Etat taxe mon gramme. Et je ne veux pas que ça devienne normal.» Il trouve de l’herbe à Lausanne, dans la rue, à 12 francs le gramme et dépense environ 50 francs par semaine pour sa consommation. Après un passage devant le Tribunal des mineurs, il y a plus d’un an, il a intégré un programme qui vise à aider les adolescents à réduire leur consommation de cannabis. «Ils ne me disent pas d’arrêter, mais ils m’écoutent. J’aurai 18 ans cet été. La seule chose qui me donne envie d’arrêter, c’est que si je continue, je n’aurai pas le droit de passer mon permis.»
«Fumer calme mes spasmes et m’aide à relativiser»
Alain, 47 ans, s’est mis à faire pousser de l’herbe peu après son accident de vespa. Il a foncé dans un poteau. Trois vertèbres et une omoplate brisées: il s’est réveillé tétraplégique. Il s’est dit: «Je me donne cinq ans pour savoir si j’ai envie de continuer à vivre.» Vingt-sept ans plus tard, il est encore là et il a pu voir naître sa fille, il y a douze ans. «L’herbe calme mes spasmes, dit-il. Si je voulais, je pourrais prendre des remèdes très forts sans problème. J’ai droit à 100 milligrammes de médicament par jour. J’en prends 50 et je compense avec trois à cinq cigarettes d’herbe par jour, ça m’apporte un confort de vie et ça m’aide aussi à relativiser.»
Il fait pousser une douzaine de plantes chez lui pour sa propre consommation, un tiers à l’extérieur. Un jour, des individus se sont glissés sur son balcon en descendant du toit de l’immeuble pour lui piquer des plantes. «J’ai voulu porter plainte pour vol. Mais l’agent m’a dit qu’il devrait d’abord me dénoncer pour culture de stupéfiants.» La loi lui permet de se procurer des médicaments à base de cannabis (teintures, spray), moyennant un certificat médical et une autorisation de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP). Il n’en veut pas: «Un truc à 200 francs la bouteille, non merci! Je sais ce que ça coûte à produire, je demande juste le droit à l’autoproduction.»
«Je cherche l’ivresse du joint»
Evan a fumé son premier joint en vacances avec des amis, à l’âge de 16 ans. Il se souvient d’avoir passé un bon moment. ll a recommencé vers 24 ans. Cet éducateur de 29 ans, qui travaille avec des personnes polyhandicapées, fume un ou deux joints le week-end. «Je cherche l’ivresse, ça me permet de déconnecter de la réalité, de m’amuser, c’est festif.» Il fume le plus souvent en groupe, avec des amis. «A mes yeux, c’est une drogue socialement acceptée, aussi bien que l’alcool ou le tabac. Dans les milieux de la fête, on trouve autant de cannabis que d’alcool, si ce n’est plus.»
Inutile de s’adresser à des dealers dans la rue. Il trouve de l’herbe auprès de gros consommateurs, sans difficultés. «Dans le Val-de-Travers, c’est portes ouvertes», dit-il en riant. La légalisation? «Il ne faut pas se leurrer, il y en a partout, je ne vois pas pourquoi c’est interdit, ça fait perdre de l’argent à l’Etat en répression. C’est une lutte vaine.»