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Alain de Botton: «Le Brexit devrait échouer face à la peur des gens. En amour, l’espoir est le plus fort, pas en politique.»

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Jeudi, 9 Juin, 2016 - 05:54

Propos recueillis par Peter Hossli

Interview. Le philosophe d’origine suisse Alain de Botton réfléchit aux perspectives du référendum britannique sur une sortie de l’Union européenne, ce prochain 23 juin. Il évoque l’incontournable rapport amour-haine entre Londres et Bruxelles.

Alain de Botton nous reçoit dans un appartement du rez-de-chaussée du quartier londonien de Belsize Park. «C’est mon bureau», dit-il. Il habite la maison d’à côté. Son dernier livre traite du mariage.

Quand est-ce qu’un mariage est un bon mariage?

Lorsque les partenaires apprennent l’un de l’autre et deviennent meilleurs de ce fait. Il n’existe pas de mariages sans problèmes.

Que conseillez-vous à un couple amoureux?

Il faut demander dès le début: «C’est comment quand tu déjantes?»

Afin d’être préparé à tout?

Tout un chacun est marrant ou bizarre. Dans la vie de couple, on s’expose à 100% à la folie de l’autre. Il n’est pas nécessaire d’être parfait dans un mariage mais on doit dire ce qu’on est capable de faire. Celui qui dit: «Je n’ai pas de problème, avec moi la vie est chouette» est un danger.

Il y a ambiance de crise dans le mariage de l’UE: la moitié des Britanniques veulent divorcer. Parce qu’ils ne supportent plus ces cinglés d’Européens?

Les Suisses savent pourquoi nous nous demandons si l’UE nous démolit ou nous donne des ailes. Ils vivent dans un pays riche, sûr, parfait. Presque toutes les institutions européennes sont pires que les suisses.

Quelle est la réponse britannique?

Mitigée. Certaines lois européennes sont meilleures, notamment en matière de droits des hommes et du travail. En matière de contrôle douanier et de justice, la Grande-Bretagne est meilleure. Lorsque les Britanniques pèsent le pour et le contre, ils sont troublés.

Et où vous situez-vous?

De mon point de vue, le Brexit serait un désastre, la Grande-Bretagne doit vivre au sein de l’UE.

Mais il n’y a jamais eu de véritable amour entre la Grande-Bretagne et l’UE.

Les Britanniques n’ont jamais ressenti le même attrait envers l’UE que les Français ou les Allemands. La France voulait contrôler l’Allemagne, l’Allemagne voulait battre sa coulpe pour la Deuxième Guerre mondiale et, en même temps, gagner du pouvoir au sein d’une structure claire. L’Italie puis l’Espagne ont cru rallier le monde moderne par le biais d’une adhésion à l’UE.

Et la Grande-Bretagne?

Le pays n’a pas de problème avec son histoire. Il a gagné des guerres, défendu des libertés. Il a un passé glorieux, certes en banqueroute, mais glorieux.

Vous vivez en Grande-Bretagne mais vous êtes Suisse…

Oui, je ne peux même pas voter. Si le Brexit passait, j’aurais un vrai problème: je devrais quitter le pays. Je ne peux vivre à Londres que parce que la Suisse a des accords bilatéraux avec l’UE.

Pour les partisans du Brexit, la Suisse est un modèle.

Ce qui est faux. La Suisse a grandi en parallèle avec l’UE mais hors de l’UE. Ça s’est passé très lentement, avec beaucoup d’arrangements et de diplomatie. La Suisse n’est jamais sortie de l’UE puisqu’elle n’en fait pas partie.

Les Britanniques, eux, y sont.

Si les Britanniques en sortaient, ce serait une catastrophe. Il faudrait négocier de nouveaux accords avec l’UE en deux coups de cuillère à pot. Ce serait très désagréable. Nous, les Suisses, savons que les négociateurs de l’UE ne sont pas des petits rigolos.

Pourquoi n’avez-vous jamais demandé la nationalité britannique?

Ce n’était pas nécessaire. En plus, j’ai toujours pensé qu’en cas de conflit nucléaire je pourrais rentrer en Suisse.

Qu’êtes-vous? Suisse, Britannique ou Européen?

Je suis embêté. En Angleterre, je me sens comme un Suisse…

Vous parlez allemand?

Pas très bien. A peine je retourne en Suisse, je me dis: «Non, je ne suis pas d’ici.» Je ne me sens nulle part plus Suisse qu’en Angleterre.

Vous vous sentez Européen?

Pas particulièrement. Sincèrement, je ne sais pas ce que cela veut dire.

A quel point les Britanniques conviennent-ils à l’UE?

Le Royaume-Uni apporte beaucoup à l’UE. Il empêche les Français et les Allemands de faire des bêtises. C’est là la tâche centrale de la diplomatie britannique. En plus, les Britanniques sont utiles pour bloquer les idées néfastes des Français.

Alors pourquoi la moitié des Britanniques veulent-ils quand même quitter l’UE?

David Cameron me disait récemment que seuls les hommes de plus de 50 ans voulaient sortir de l’UE. Le Brexit est une idée de vieux messieurs qui croient n’avoir besoin de personne et tout savoir faire tout seuls.

Qu’est-ce qui sera décisif?

Les affaires et les sentiments. Encore que les sentiments soient ineptes: on peut être Européen au sein de l’UE et au-dehors. Ce qui est sûr, c’est que nous continuerons de regarder des films français.

Question finance, où en est-on?

Dans le Brexit, il est uniquement question d’argent: 98,9% des hommes d’affaires veulent rester au sein de l’UE. Même s’ils détestent autant les bureaucrates de Bruxelles que les parlementaires européens.

Mais ils veulent rester néanmoins?

La Grande-Bretagne est petite, elle ne compte que 65 millions d’habitants. Lorsque l’on veut plus de clients, on ne va pas forcément à l’autre bout du monde. La France et l’Allemagne sont plus proches que la Chine. D’après mes amis dans le monde des affaires, le Brexit serait un désastre.

On croirait entendre un avocat tonitruant de l’UE. La Suisse devrait-elle aussi adhérer?

Non, je suis opposé à une adhésion de la Suisse, mais je suis pour que la Grande-Bretagne reste.

C’est paradoxal.

Justement pas. C’est tout autre chose de quitter l’UE ou de n’en avoir jamais fait partie. La Suisse procède intelligemment: elle a le meilleur de l’UE sans en avoir le moins bon. Si les Britanniques en sortent, ils ne garderont pas le meilleur.

L’an dernier, un million de Syriens ont afflué vers l’Europe…

Sans l’immigration, personne en Grande-Bretagne ne parlerait de quitter l’UE. Il existe la peur que tous ceux qu’Angela Merkel a laissés entrer soient ici demain.

Les Britanniques manquent-ils de tolérance?

Au contraire, ils sont très tolérants. Mais, ces temps, 300 000 personnes sont arrivées sur l’île. Et ce n’est qu’à cause de ce nombre élevé que beaucoup de Britanniques veulent quitter l’UE.

Les Londoniens viennent d’élire un musulman en tant que maire.

Ce qui montre à quel point les Anglais sont tolérants. Mais ils se sentent aussi un peu assiégés. Le pays est mal organisé, le gouvernement est incapable de construire assez de logements, d’écoles, d’hôpitaux. Les Allemands ont plus d’immigrés mais moins de problèmes. Parce qu’ils savent organiser, à la différence des Britanniques.

Les économistes mettent en garde contre un Brexit. C’est du bluff pour créer la panique?

Panique n’est pas le bon mot. Les économistes de la Banque d’Angleterre ont raison de mettre en garde parce que les répercussions seraient vraiment dévastatrices.

Et c’est le 23 juin qui décidera?

Le Brexit devrait échouer face à la peur des gens. En amour, l’espoir est le plus fort, pas en politique. L’amour peut valoir des avantages à quelqu’un. Mais il est rare que les choses deviennent plus positives par le biais de la politique. Et si c’était le cas, ce serait lentement.

Les partis traditionnels ne perdent pas des plumes qu’en Grande-Bretagne. Aux Etats-Unis, en France et en Autriche aussi. Pourquoi?

Nous sommes sans cesse en quête d’idées qui améliorent la vie. Pour cela, nous avons longtemps eu le socialisme. Depuis la fin de la guerre froide, la gauche a de la peine à représenter comment elle entend améliorer la vie. A sa place, des partis de droite proposent des visions autoritaires, légèrement fascistes, d’une société sans musulmans.

Comment combattre cela?

Il faudrait de bonnes idées au centre. Mais les gens raisonnables sont en général extrêmement ennuyeux.

Le milliardaire américain Donald Trump est loin d’être ennuyeux.

Il est bourré de charme et démagogue. Cela fut de tout temps la crainte des pères fondateurs: qu’un démagogue charmant accède au pouvoir. Jusqu’ici, les Américains ont toujours rejeté ce type de personnes.

Pourquoi cela pourrait-il changer?

A cause d’une décadence généralisée. La décadence signifie qu’on a oublié combien il fut difficile d’obtenir les acquis actuels. Les souvenirs du dernier chaos se sont ternis. Désormais, les Américains pensent qu’ils pourraient donner un léger coup de sac. C’est comme dans un mariage devenu un rien ennuyeux.

Une aventure qui donnerait un coup de sac?

Exactement. Donald Trump est l’expression de ce sentiment.

Que serait la Grande-Bretagne sans l’UE?

Beaucoup plus pauvre et isolée. Ce serait une île.

Et que serait l’UE sans la Grande-Bretagne?

Elle serait livrée à la France. Sans les Britanniques, l’UE serait comme la France, en pire.

Quelle est l’importance du 23 juin?

C’est hyperimportant. Si tout se passe bien, les Britanniques auront oublié le vote en cinq minutes et diront: «Comme tout cela a été inutile!»

Et si la Grande-Bretagne sortait?

Le pays regretterait un Brexit cinquante ans durant.

Votre pronostic?

Les Britanniques resteront dans l’UE mais, politiquement, le climat pourrait être détestable: si le résultat est serré, David Cameron devra s’en aller et c’est Boris Johnson qui se profilerait comme prochain premier ministre.

© Sonntagsblick
Traduction et adaptation Gian Pozzy

(Lire aussi Au cœur de la campagne du Brexit)

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