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Brexit: un divorce programmé de longue date

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Jeudi, 30 Juin, 2016 - 05:58

Eclairage. Malgré son adhésion en 1973, le Royaume-Uni a toujours été un membre rétif de l’Union européenne. Retour sur une incompatibilité chronique.

1973-2016: ci-gît le Royaume-Uni, membre rétif de l’Union européenne. Après avoir boudé le lancement du projet communautaire en 1950, il a décidé, le 23 juin, de se retirer d’une aventure humaine sans équivalent dans le monde et dans l’histoire, un partage volontaire de souverainetés entre des pays qui n’ont cessé de se faire la guerre depuis qu’ils existent. Un échec européen? Non, un échec britannique, une incapacité ontologique à se penser dans un ensemble qui dépasse le pays, un refus profond de se voir pour ce qu’il est, une puissance moyenne, et peut-être bientôt un royaume désuni, si l’Ecosse et l’Irlande du Nord font sécession.

Ce référendum en dit plus sur les failles de la Grande-Bretagne que sur celles de l’Union. Car le mariage avec l’Europe n’a jamais été un mariage d’amour, loin de là, au mieux une simple union d’intérêts. C’est l’histoire qui éclaire le mieux les raisons et l’inéluctabilité du vote «leave».

La stratégie de Churchill

On a souvent fait de Winston Churchill l’un des pères de la construction européenne, celui-ci ayant souhaité, en septembre 1946, à Zurich, puis en mai 1948, à La Haye, l’avènement des «Etats unis d’Europe» autour d’une France et d’une Allemagne enfin réconciliées. Mais il ne faut pas s’y tromper: il n’était absolument pas question dans son esprit que le Royaume-Uni y participe! La vocation de son pays, alors à la tête d’un groupement d’Etats, le Commonwealth, et d’un empire, est, en toute simplicité, d’être l’une des puissances tutélaires de ce nouvel ensemble continental. Il le dit très clairement à Zurich: «La Grande-Bretagne, la famille des peuples britanniques, la puissante Amérique et, j’en ai confiance, la Russie aussi – tout serait alors pour le mieux – doivent être les amis et les soutiens de la nouvelle Europe.»

En clair, il s’agit d’empêcher une nouvelle guerre sur le continent qui impliquerait forcément les Britanniques, mais pas de se fondre dans ces fameux «Etats unis d’Europe». Tout simplement parce que le cœur de la Grande-Bretagne n’est pas en Europe, comme l’avait résumé Churchill à de Gaulle en juin 1944: «Chaque fois qu’il nous faudra choisir entre l’Europe et le grand large, nous choisirons le grand large.»

De fait, pour comprendre la schizophrénie profonde que la Grande-Bretagne entretient à l’égard de la construction communautaire, il ne faut pas oublier que l’axe central de sa politique étrangère, et ce au moins depuis le XVIIe siècle, est d’empêcher l’émergence d’une puissance continentale qui pourrait menacer ses intérêts commerciaux, auquel s’est ajouté, depuis 1945, le souci de maintenir la paix sur le Vieux Continent.

Mais, entre ces deux objectifs, son cœur ne cessera jamais de balancer. Une fois Churchill renvoyé à ses chères études, c’est la méfiance qui l’emporte de nouveau. Une scène révélatrice se déroule en novembre 1955, au château de Val Duchesse, à Bruxelles. Les six pays fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) s’y réunissent régulièrement depuis le mois de juillet pour relancer l’intégration européenne après l’échec, en 1954, de la Communauté européenne de défense. La Grande-Bretagne a été invitée à participer aux travaux. Mais lorsque les six dessinent les contours des futurs traités CEE et Euratom, Londres décide de se retirer.

Les mots d’adieu de son délégué sont un modèle d’aveuglement: «Le futur traité dont vous êtes en train de discuter n’a aucune chance d’être accepté; s’il était accepté, il n’aurait aucune chance d’être ratifié; et s’il était ratifié, il n’aurait aucune chance d’être appliqué; et s’il était appliqué, il serait totalement inacceptable par la Grande-Bretagne.» Le traité de Rome fut pourtant signé en 1957 et entra en vigueur en 1958. Dépitée, Londres lança en 1960 l’Association européenne de libre-échange (AELE), afin d’essayer de faire contrepoids à une CEE qui se révéla vite un succès.

La méfiance de De Gaulle

Toute honte bue, empêtré dans des difficultés économiques de plus en plus profondes et conscient qu’un bloc continental était en train de se constituer sans qu’il puisse l’influencer et encore moins le contrôler, le gouvernement conservateur de Sa Gracieuse Majesté déposa, en juillet 1961, une demande d’adhésion qui se heurta, à sa grande surprise, en janvier 1963, à un veto du général de Gaulle pour qui la Grande-Bretagne n’était que le porte-avion des intérêts américains.

En 1966, le gouvernement travailliste de Harold Wilson revient à la charge, afin d’obtenir l’accès à ce marché commun qui est bel et bien un succès. Mais, tenace, le général de Gaulle pose une seconde fois son veto en novembre 1967, estimant qu’il vaut mieux proposer à Londres un accord d’association. Ses mots ont une curieuse résonance aujourd’hui: «Faire entrer l’Angleterre, ce serait pour les six donner d’avance leur consentement à tous les artifices, délais et faux-semblants qui tendraient à dissimuler la destruction d’un édifice qui a été bâti au prix de tant de peine et au milieu de tant d’espoir…»

La troisième tentative est la bonne. Sous la pression de ses partenaires, la France de Georges Pompidou accepte l’adhésion de Londres, cette fois demandée par les conservateurs. Effective en janvier 1973, elle est remise en cause par le travailliste… Harold Wilson, revenu au pouvoir en février 1974. Celui-ci exige une «renégociation» des termes de l’adhésion, notamment sur le montant de la contribution de la Grande-Bretagne au budget communautaire et sur la politique agricole commune. Mieux, un référendum est convoqué sur la question et, le 5 juin 1975, les Britanniques confirment l’adhésion de leur pays par 67,2% de oui, la campagne – enthousiaste – des conservateurs en faveur du «remain» étant notamment menée par une certaine Margaret Thatcher…

«I want my money back»

On aurait pu croire que la relation à l’Europe serait réglée une bonne fois pour toutes par cette consultation. Il n’en a rien été. A peine devenue première ministre, en 1979, Thatcher lança son fameux «I want my money back», exigeant une diminution de la contribution britannique au budget communautaire. C’est le début d’une longue crise européenne (l’eurosclérose) qui ne trouve sa solution, le fameux «chèque britannique», que lors du sommet de Fontainebleau en juin 1984, le sommet de la relance de l’Europe, au cours duquel Jacques Delors est nommé président de la Commission.

Pour autant, Londres ne désarme pas: l’Europe, oui, mais uniquement celle du commerce et du libre-échange. Ainsi, si elle accepte l’achèvement rapide du marché intérieur des biens, des services et des capitaux et, pour ce faire, une réforme des traités (Acte Unique de 1986), ce sera sans aucune harmonisation sociale et fiscale. Mais la Grande-Bretagne ne peut rien contre la volonté franco-allemande de s’intégrer davantage après la chute du mur.

Le traité de Maastricht de 1991 inaugurera donc le statut spécial du Royaume-Uni: il obtient de ne participer ni à la future monnaie unique ni au peu d’harmonisation sociale que contient ce texte. Un statut qu’il consolidera au fil des traités suivants (Amsterdam en 1997, Nice en 2000, Lisbonne en 2007): il reste donc en dehors de Schengen, de la politique d’asile et d’immigration, de la sécurité intérieure, de la défense, parvient à bloquer la création d’une vraie politique étrangère européenne, etc.

Son influence n’a aucunement souffert de ce statut spécial. L’Union non seulement a adopté la langue anglaise pour se gouverner mais a aussi fait quasiment sienne l’idéologie héritée du thatchérisme: une politique de concurrence libérale, un libre-échangisme qui fait de l’Union la zone la plus ouverte du monde (sauf en matière agricole) ou encore un abandon de tout ce qui ressemble à une politique industrielle. Néanmoins, aucune des concessions de ses partenaires n’a jamais réglé son mal-être et ce quel que soit le parti au pouvoir outre-Manche: quoi que l’Union fasse, elle est toujours jugée trop réglementaire, trop interventionniste, trop ceci, trop cela.

Le Brexit n’est donc que l’acmé de ce mal-être, de cette incapacité à trouver sa place: Londres ne peut tout simplement pas accepter d’être une simple partie d’un ensemble qui la dépasse, car elle cultive à la fois une notion de souveraineté qui remonte au XIXe siècle et la nostalgie d’un empire depuis longtemps perdu. Le drame britannique est sans doute de ne jamais avoir été occupé depuis l’invasion de Guillaume le Conquérant en 1066, ce qui prive le pays de la compréhension intime du projet européen qui est d’éviter drames et humiliations. Le Brexit ne pouvait pas être évité, tout simplement.

Rompre avec une Europe trop britannique

Et aucune réforme de l’Union n’aurait trouvé grâce à ses yeux, si ce n’est un acte d’autodissolution ou, éventuellement, une adhésion de l’Union au Royaume-Uni. Les Européens ne doivent donc pas se tromper dans la réponse qu’ils apporteront au Brexit: c’est le moment pour eux de retrouver leurs fondamentaux, ceux des pères fondateurs, afin de réconcilier leurs citoyens avec une Europe devenue trop britannique à leur goût. La réponse, en résumé, c’est s’éloigner davantage de la Grande-Bretagne. On n’échappe pas à l’histoire. 

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