Éric Albert
Décodage. Le gel des fonds immobiliers britanniques rappelle les prémices de la grande crise financière.
C’est une histoire qui réveille de bien mauvais souvenirs. Depuis le vote des Britanniques pour sortir de l’Union européenne, les fonds d’immobilier commercial britanniques sont en proie à la panique. Face aux investisseurs qui veulent tous retirer leur argent en même temps, la plupart d’entre eux ont été obligés de geler les retraits.
Une telle décision est rarissime. La dernière fois remonte à l’été 2007. Dans la moiteur du mois d’août, BNP Paribas avait dû prendre la même décision. C’étaient les prémices de la crise financière, qui allaient mener un an plus tard à la faillite de Lehman Brothers.
Le problème des fonds immobiliers est connu. D’un côté, les investisseurs peuvent retirer leur argent à tout moment. De l’autre, les actifs ne sont pas liquides: il faut des mois pour vendre des entrepôts ou des immeubles de bureaux. Pour faire face, les fonds mettent de côté environ 10% de liquidité. Mais, avec le choc du Brexit, cela n’a pas suffi. Anticipant une soudaine chute des prix immobiliers, tous les investisseurs ont voulu dégager leur mise en même temps.
Tous les grands noms de l’immobilier commercial sont touchés: Standard Life, Aviva, M&G, Henderson Global Investors, Columbia Threadneedle Investments… Au total, ceux-ci gèrent environ la moitié des 25 milliards de livres (32 milliards de francs) du secteur.
Réduction des exigences
Le problème de la liquidité des fonds immobiliers n’est guère une surprise pour ceux qui ont une mémoire dépassant une décennie. La question, désormais, est de savoir s’il s’agit du début d’une crise financière plus large ou d’un simple phénomène sectoriel. Pour l’instant, la plupart des analystes se veulent rassurants.
«Ce n’est pas un moment Lehman», estime Oxford Economics. «Il y a toujours une inquiétude, car on ne connaît jamais exactement les ramifications qui existent entre différentes classes d’actifs mais, pour l’instant, nous ne sommes pas trop inquiets», note Ajay Rajadhyaksha, qui s’occupe de la recherche macroéconomique à Barclays. Il souligne que les banques centrales «ne font jamais la même erreur deux fois»: si elles n’ont pas vu venir la crise en 2008, elles sont cette fois-ci très attentives au risque de liquidité.
La Banque d’Angleterre est d’ailleurs intervenue presque immédiatement. Elle a mis en place une offre de liquidité hebdomadaire pour les institutions financières, au lieu de l’habituelle offre mensuelle. Elle a également réduit les exigences de fonds propres des banques: «l’amortisseur contracyclique», qui oblige les établissements bancaires à mettre de côté 0,5% de leurs actifs en plus des exigences habituelles de fonds propres, est passé à 0%. Concrètement, cela libère un peu plus de 7 milliards de francs de fonds propres, qui doivent permettre aux banques de prêter plus facilement. Enfin, Mark Carney, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, annonce «un relâchement de la politique monétaire […] pendant l’été».
Le choc du Brexit, s’il a été violent (chute de 10% de la livre sterling, forte volatilité des marchés actions, rendements obligataires qui s’enfoncent dans le négatif) s’est paradoxalement passé sans à-coups. «Le système ne s’est pas cassé, fait remarquer Douglas Flint, le président de HSBC. Les volumes étaient cinq à six fois plus forts que d’habitude, mais il y a eu suffisamment de liquidité. La tuyauterie du système financier a fonctionné comme prévu.»
Ce qui ne veut pas dire que les conséquences du Brexit seront inexistantes, bien au contraire. Simplement, le choc devrait être macroéconomique avant d’être financier. Barclays a par exemple révisé à la baisse sa prévision de croissance pour 2017 pour le Royaume-Uni de 1,9% à… - 0,4%. Elle prévoit un gel des investissements et une forte baisse de la confiance des ménages.
Elle envisage donc le contraire de la crise financière de 2008. A l’époque, c’était le gel des marchés qui avait provoqué la récession. Cette fois-ci, la récession devrait arriver en premier. A terme, cela pourrait provoquer des problèmes financiers. Mais pas tout de suite.