Reportage. Les mythiques chantiers de Saint-Nazaire sont redevenus leader mondial de la construction de paquebots. Le carnet de commandes est plein jusqu’en 2026 et quatorze supernavires sont attendus. Visite d’un fleuron de l’industrie française où a été conçu le «Harmony of the Seas».
Interdiction de prendre des photographies. Les chantiers navals de Saint-Nazaire organisent des visites en car de leurs 110 hectares, mais protègent leurs secrets industriels. Le français tient à garder la longueur d’avance qu’il a gagnée sur ses principaux concurrents, l’italien Fincantieri et l’allemand Meyer Werft. Sur le marché, les Asiatiques sont loin derrière. Toutefois, ironie de la mondialisation, Saint-Nazaire, premier chantier du monde, appartient au groupe sud-coréen STX à hauteur de 66,66%, l’Etat français en étant actionnaire à 33,34%.
Une longue tradition
Ville d’ouvriers, et non de marins, Saint-Nazaire a vu naître les plus beaux paquebots du monde dès le XIXe siècle. Entre 1862 et 2003, 121 paquebots ont été lancés ici. L’Ile-de-France en 1927, le Normandie en 1932, le France en 1960… Mais en 1974, l’avion a définitivement gagné et les trans-atlantiques sont désarmés. Le France reste à quai, drame immortalisé par une chanson de Michel Sardou, en 1975, Ne m’appelez plus jamais France. Vendu, le seigneur des mers reprendra du service sous les couleurs de la Norvège, sous d’autres latitudes… Les chantiers de Saint-Nazaire connaissent des difficultés et se spécialisent dans la production de pétroliers.
Qui peut alors imaginer que les croisières connaîtront un nouvel âge d’or, que l’on bâtira au XXIe siècle, dans ces mêmes formes de construction et d’armement, des navires plus gigantesques encore?
La renaissance viendra du Sovereign of the Seas, lancé en 1988 pour le compte de la Royal Caribbean Cruise Line. Quarante-cinq autres paquebots suivront.
Aux abords du chantier, le visiteur aperçoit un imposant portique rouge permettant de soulever des charges de 1400 tonnes. C’est grâce à cet outil de 30 millions d’euros que Saint-Nazaire a pu redevenir le constructeur le plus performant du monde.
Le métier a changé. Dans les années 50, 10 000 ouvriers œuvraient sur le France. Aujourd’hui, on n’assiste plus à la «marée bleue», à la sortie des chantiers des ouvriers en bleu de travail. Ils sont pourtant 2600 à travailler sur quelque 110 hectares, auxquels s’ajoutent 3000 personnes sous contrat extérieur. Mais une impression de calme règne. Finies les tôles rivetées d’antan. Aujourd’hui, on soude. Souvent, d’ailleurs, ce sont des robots qui exécutent le travail. Et les plaques d’aluminium, déplacées grâce à des aimants, sont découpées au laser et à l’azote liquide.
Ce samedi de juin, on pourrait croire que les chantiers sont fermés. Pourtant, des ouvriers s’activent un peu partout, mais noyés dans ce décor gigantesque. C’est un peu comme si on construisait une ville. Deux navires sont en chantier dans la forme de construction de 1000 mètres de long. Le Meraviglia, de la compagnie italo-suisse MSC, sera lancé en 2017. Et le B34, nom de code du «sistership» du Harmony of the Seas (son frère jumeau), est prévu pour 2018.
Du premier coup de crayon jusqu’à sa livraison, le Harmony of the Seas a nécessité trois ans et demi de travail. Ce vaste puzzle ultraprécis de 500 000 pièces a été conçu par un bureau de 700 ingénieurs, puis assemblé entre mai 2014 et mai 2016. Les tôles d’acier (achetées auprès d’ArcelorMittal) ont été assemblées en «panneaux», puis en «blocs» finalisés avant d’être ajoutés au paquebot. Plus on dispose d’un portique puissant, plus on peut construire rapidement. Le Harmony a résulté de l’assemblage de 89 blocs. Alors que le chantier naval finlandais de Turku proposait de le bâtir en 160 blocs. Et cinq mois de travail supplémentaires. Pour les armateurs, chaque semaine compte; le choix était vite fait.
«Notre autre atout, par rapport aux chantiers asiatiques, c’est le réseau d’entreprises qui nous entoure. Nous sous-traitons 70% de la valeur d’un navire», explique Delphine Gledel, responsable de la communication de STX France.
Quatre milliards d’euros
La crise de 2008 a fait craindre le pire. Cette année-là, aucun paquebot n’a été commandé dans le monde. Puis, en 2012, le contrat du Harmony a relancé les chantiers. Aujourd’hui, le carnet de commandes est plein jusqu’en 2026. Quatorze paquebots seront construits ici, dont les futurs MSC de la classe World, soit quatre navires pour un montant global de 4 milliards d’euros. Fonctionnant au gaz naturel liquéfié, ils seront les plus écologiques sur le marché.
Pour Alain Bück, vice-président des ventes chez STX France, la course au gigantisme va continuer. «Techniquement, on pourrait construire des navires d’un million de mètres cubes, soit le double du Harmony, précise l’intéressé. Mais il faudrait que nous investissions dans de nouvelles cales. Aujourd’hui, nous pouvons faire un peu plus long, mais pas beaucoup plus large.»
Un bateau si grand est-il sûr? «Oui. Les règlements internationaux s’améliorent d’année en année. Ce qui s’est passé sur le Concordia a entraîné beaucoup de réflexions. Nous avons redoublé les équipements. S’il devait y avoir un envahissement d’eau dans un local de propulsion, ou un incendie, un autre local pourrait alors prendre le relais. Un seul événement ne doit pas entraîner l’arrêt du navire.» Les concepteurs multiplient également le découpage et le cloisonnement interne du bateau. «L’époque du Titanic est totalement révolue, se réjouit Alain Bück. De plus, nous avons des systèmes informatiques de management de la sécurité sans commune mesure avec ce qui existait il y a seulement dix ans.»
Inscriptions aux visites du chantier: www.saint-nazaire-tourisme.com