Mehdi Atmani
Portrait. Jonathan Mariampillai, Zurichois de 31 ans, a appris à réparer des smartphones grâce à des tutoriels sur l’internet. Désormais, l’ex-réfugié tamoul règne sur un empire baptisé iPhone Clinics. Soit une vingtaine de centres de réparation minute pour téléphones portables en Suisse.
«Rapide, efficace!» A eux seuls, ces adjectifs résument toutes les facettes de Jonathan Mariampillai. A 31 ans, le Zurichois a bâti son modèle d’affaires et sa philosophie entrepreneuriale sur ces deux arguments de vente. Avec le temps, c’est aussi devenu une devise qu’il répète à longueur de journée aux clients, comme aux employés en prenant soin de la ponctuer par un clin d’œil. Oui, dans les faits, Jonathan Mariampillai est rapide, efficace. Mais aussi malin et opportuniste. Une vraie personnalité de fonceur à la manière des jeunes loups californiens de la nouvelle économie. Comme eux, Jonathan Mariampillai a eu la bonne idée au bon moment. Et règne depuis sur un lucratif petit empire: les iPhone Clinics.
Depuis 2010, ces «permanences médicales» pour smartphones fleurissent dans les villes suisses. Un téléphone portable tombé malencontreusement dans la cuvette des toilettes lors d’un échange pressant de SMS, un écran en miettes, un appareil photo en panne, des touches qui ne fonctionnent plus… Les iPhone Clinics assurent une réparation dans les quinze à vingt minutes pour un tarif qui fluctue entre 90 et 240 francs selon le type d’avarie.
En cas de panne, fini donc les laborieux retours au fournisseur, les vaines justifications pour activer la garantie et le long délai d’attente pour retrouver son téléphone portable comme neuf. Les iPhone Clinics n’en ont que le nom puisqu’elles gèrent toutes les marques: Apple, Samsung, Sony, Nokia, LG ou BlackBerry.
La bonne idée au bon moment
Ce lundi 4 juillet, Jonathan Mariampillai a sauté de son lit dans le Kreis 3 de Zurich à 5 heures du matin. «J’ai visité la moitié de mes cliniques», annonce-t-il en préambule. Celui qui s’est rebaptisé «chirurgien en chef» opère dans 21 antennes en Suisse, dont trois en Romandie, ouvertes en 2014 à Fribourg et à Lausanne, et en mai de cette année à Genève. Nous le retrouvons en fin de journée lors de son étape lausannoise. A la rue de la Madeleine, l’iPhone Clinic ressemble à s’y méprendre à un comptoir d’easyJet. Même couleur orange flashy, un goût similaire pour la sobriété de l’agencement des produits, aux antipodes du visual merchandising des Apple Store.
Les trois quarts de l’arcade voûtée commercialisent des accessoires pour téléphones portables. Une petite réception, puis 12 m2 abrités des regards par des cloisons au fond du magasin: la salle d’opération. L’endroit où l’on gère l’anxiété des clients.
«Cette dépendance au téléphone portable et l’angoisse de ne plus être atteignable sont bonnes pour les affaires», commente Jonathan Mariampillai. Il cligne encore de l’œil droit, sourit et nous tape sur l’épaule. Le Zurichois ne cache pas sa fierté d’avoir «réussi [son] coup». Celui d’avoir bâti une florissante affaire au nez et à la barbe des mastodontes des fournisseurs de smartphones californiens et asiatiques. En 2014, iPhone Clinic est apparu dans le classement des entrepreneurs de moins de 30 ans qui comptent, publié par Bilanz.
Selon le magazine économique alémanique, qui valorise la société entre 10 et 20 millions à l’orée 2020, il s’agit de l’aventure entrepreneuriale suisse sur laquelle il va falloir compter à l’avenir. Jonathan Mariampillai cligne toujours de l’œil droit, mais se tait. Nous n’aurons aucun chiffre.
Le chirurgien en chef quitte un instant sa clinique pour une bière panachée sur la place de la Palud. Tels des balais d’essuie-glace, ses yeux pendulent à la recherche du serveur. Sa jambe droite s’agite frénétiquement pour évacuer la tension d’une journée commencée trop tôt et qui n’est pas encore terminée. Son portable grésille à intervalles réguliers. Jonathan Mariampillai ponctue ses phrases par des réponses aux nombreux e-mails et SMS qui affluent. Le Zurichois ne dit jamais non. Il est là, partout, tout le temps. Pour répondre à sa femme, aux questions des employés, du journaliste, pour assurer le conseil et le service après-vente de clients qui se rongent les ongles à la maison à l’idée d’avoir perdu tout signe de vie de leur téléphone portable.
Apprentissage dans la restauration
L’aventure entrepreneuriale de Jonathan Mariampillai est un parfait exemple de réussite issue de l’immigration. En 1993, il débarque avec ses parents à Wiedikon, près de Zurich. Jonathan a 9 ans et fait partie de la vague de réfugiés qui fuient le conflit sri-lankais (plus de 70 000 morts et 140 000 disparus). «Avec un permis de réfugié, vous ne pouvez pas faire grand-chose en Suisse, souligne-t-il. Les options professionnelles sont très limitées.» Pour le jeune homme, elles se bornent à un apprentissage dans la restauration. Au début des années 2000, il travaille comme serveur dans un restaurant zurichois. Il est plutôt bon, grâce à sa «personnalité extravertie».
Jonathan est surtout un fan des nouvelles technologies, d’informatique et de produits Apple. Lorsque le premier iPhone voit le jour aux Etats-Unis en janvier 2007, il en achète plusieurs pour les revendre sur les sites d’eBay, Ricardo et Anibis, moyennant une petite majoration du prix. Ses amis sont ses premiers clients. Dans son quartier du Kreis 3 de Zurich, Jonathan est «le mec qui a des produits Apple avant les autres». Il frime un peu. «Un jour, un iPhone que j’ai revendu s’est cassé. J’ai proposé au client de le réparer.» Jonathan n’a jamais travaillé dans les usines d’Apple. Il est à la tête d’un petit business régional qui met du beurre dans les épinards de son salaire de serveur. Mais il s’y colle. «Je me suis formé par des vidéos de tutoriels sur YouTube, des marches à suivre sur les blogs.»
Contre toute attente, Jonathan Mariampillai réussit son coup. Il n’est plus un simple revendeur. Mais un réparateur. Avec l’explosion du marché de la téléphonie mobile, le Zurichois voit affluer les demandes de réparation. «J’ai eu l’idée de professionnaliser le service, se souvient Jonathan. J’ai ouvert une permanence chez moi, tous les jours de 15 heures à 21 heures après mon service au restaurant.» Puis c’est l’accident. Lors d’un match de football, le patron des iPhone Clinics est victime d’une blessure des ligaments croisés. Il se retrouve en arrêt de travail et immobilisé, après plusieurs opérations chirurgicales. Alors pendant sa convalescence, Jonathan répare frénétiquement, jusqu’au grand saut.
En 2010, il inaugure sa première clinique à Zurich. «Je n’avais aucune mise de départ. Je n’avais d’ailleurs pas d’économies. Mais les affaires ont vite démarré. J’investissais le profit dans la clinique. J’étais en flux tendu.» Il marque une pause pour répondre à un SMS. «Je n’avais rien à perdre. En quittant le Sri Lanka, j’avais déjà fait l’expérience de tout perdre. Je sais ce que recommencer de zéro veut dire.» Jonathan a eu du flair, et le bon. Quelques mois après Zurich, il ouvre une clinique à Berne. Puis suivront Genève, Dietikon, Chiasso, Brugg, Fribourg, Winterthour, Lugano… Le chirurgien en chef n’est pas peu fier de ses 21 salles d’opération inaugurées dans le pays.
Trop suisse pour repartir
Naturalisé Suisse, Jonathan Mariampillai retourne fréquemment au Sri Lanka pour les vacances. Il y a toujours de la famille. Un pays d’origine qu’il parcourt aujourd’hui en tant que touriste, car il n’a jamais eu l’envie d’y vivre à nouveau. «Je suis devenu trop Suisse. Un bus en retard me rend nerveux», sourit-il. Si, après vingt-trois ans, le züridütsch est devenu sa seconde langue maternelle, l’entrepreneur n’en oublie pas pour autant son parcours.
A Zurich, il intervient régulièrement dans des événements pour soutenir l’intégration des étrangers dans l’entrepreneuriat. Au sein de la soixantaine d’employés des iPhone Clinics, les trois quarts sont issus de l’immigration. «J’embauche des personnalités qui ont une forte volonté et se retroussent les manches pour réaliser des choses dans la vie, commente-t-il. Lorsque vous avez le statut de réfugié et que vous ne maîtrisez pas la langue, il est difficile d’obtenir un bon travail. Je leur offre d’autres perspectives.»
Cet esprit d’entreprise s’exprime jusqu’à l’uniforme. Jonathan Mariampillai porte la chemisette noir et orange. «Comme les autres, dit-il. Je recrute personnellement, gère les entretiens d’embauche et forme les nouveaux employés.» Avant d’intégrer une clinique, les nouvelles recrues effectuent un à deux mois de formation. Puis elles opèrent, conseillent, rassurent la clientèle. Une question nous taraude depuis le début: comment des groupes comme Apple, Samsung, Sony ou Nokia ont-ils réagi face à l’émancipation des Clinics? Jonathan Mariampillai rigole.
«Au début, c’était une ignorance polie. Désormais, c’est de la tolérance. Il faut dire que cela les arrange. Le volume de smartphones commercialisés est tel qu’il devient compliqué pour des Apple ou Samsung de gérer le flux de réparations et le service après-vente. Avec nous, ils sont sûrs que le client continuera d’utiliser son téléphone portable au lieu d’en acheter un nouveau en cas de panne ou de casse… peut-être chez la concurrence.»
Depuis le début, Jonathan Mariampillai se fournit en pièces détachées chez des revendeurs asiatiques. «Il faut s’adapter à la commercialisation de chaque nouveau modèle. Plus la technologie se complexifie, plus il nous est difficile de régater.» Apple, par exemple, a bien compris l’utilité des cliniques pour ses affaires. Le groupe californien vient de sceller un partenariat commercial avec Jonathan pour l’ouverture de points de réparation exclusifs aux clients et utilisateurs Apple. Baptisées Fixed and Repaired, ces antennes visent à offrir un service parallèle aux Apple Stores officiels. Seule contrainte: rebaptiser iPhone Clinics en iClinics, puisque les centres de Jonathan opèrent sur toutes les marques de smartphones.
Sans doute le début d’une série de collaborations puisque, par ailleurs, il vient de sceller un partenariat pour développer ses services au sein des points de vente de l’opérateur Salt.
Jonathan Mariampillai jette un œil sur son portable: 19 heures. Il finit sa panachée cul sec. Une réunion d’employés l’attend à la clinique.
Avant une franche poignée de main, il nous glisse encore qu’il lance sa marque hors de Suisse et ouvre des cliniques à Francfort et à Birmingham. «Les handy shops y sont légion. Sauf que nous faisons plus que d’y vendre des accessoires. Nous redonnons une seconde vie aux téléphones mobiles.»
Sourire. Clin d’œil droit. Rapide, efficace.
Jonathan Mariampillai
1984 Naissance au Sri Lanka.
1993 La famille Mariampillai fuit le conflit tamoul. Et se réfugie à Wiedikon, près de Zurich.
2000 Jonathan Mariampillai fait son apprentissage dans la restauration, puis travaille comme serveur à Zurich.
2007 Importe les premiers iPhone des Etats-Unis et les revend sur l’internet.
2008 Se lance dans la réparation de smartphones.
2010 Ouvre sa première clinique à Zurich.
2016 Crée et dirige un réseau de 21 iPhone Clinics en Suisse.