Interview. Le couple contemporain vit sous la pression d’attentes démesurées, dit le psychologue Jean-François Bernou. Les polyamoureux sont les enfants de ses échecs.
Les polyamoureux discutent de la question du «coming out», comme les homosexuels…
Il y a des similitudes. Les polyamoureux remettent en cause la norme dominante et se heurtent à un fort rejet, ce qui les amène à se cacher. D’où l’intérêt des Cafés Poly, où ils peuvent échanger en confiance. La question la plus délicate en matière de transparence concerne les enfants: ces derniers sont très sensibles à la norme, ils veulent des parents comme tout le monde. Il y a des ruptures parents-enfants dues au polyamour.
Des parents polyamoureux, c’est mauvais pour les enfants?
C’est un peu le même problème qu’avec les familles homoparentales: pour répondre, il faudrait des études statistiquement représentatives, complétées par des échantillons témoins d’enfants grandis dans un cadre traditionnel et où lesdits enfants répondraient de manière complètement autonome. Ça n’existe pas.
Mais d’après vos observations?
Je crois que ça dépend de la situation. Quand un couple établi de parents devient polyamoureux et vit la chose discrètement, considérant que c’est une affaire entre adultes, tout peut bien se passer. Dans le cas d’une femme qui vit seule, entourée d’une constellation d’amants, et qui de plus milite pour le polyamour, c’est nettement plus compliqué pour l’enfant.
Vivre la chose discrètement, ça ne revient pas à retomber dans le mensonge tant décrié?
Les enfants souffrent du secret et celui de l’adultère est ravageur: savoir par exemple que son père a une maîtresse, se demander constamment s’il faut ou non mettre sa mère au courant, ça vous mine une enfance. Il me semble que des parents polyamoureux qui ne disent pas tout mais qui ne se mentent pas entre eux, ce n’est pas pareil. La plupart projettent d’ailleurs d’en parler un jour aux enfants et se demandent quel est le bon âge, un peu comme les parents adoptifs. Globalement, il me semble que ce qui est bon pour l’enfant, c’est d’avoir deux parents structurants et protecteurs, quelle que soit la manière dont ils s’arrangent pour y arriver. La configuration la plus à risque me semble celle du parent seul.
Y a-t-il une psychologie du choix polyamoureux?
Certains de mes collègues n’y voient que de l’instabilité, l’incapacité à accepter les limites, la fragilité narcissique et donc le besoin de se rassurer constamment sur sa capacité à être aimé. Ce n’est pas faux, mais c’est partiel: dans le polyamour, comme dans l’amour en général, on peut se fuir, mais aussi se trouver. Les polyamoureux craignent le rétrécissement qui guette le couple monogame, à force de petits renoncements. Ils aspirent à l’élargissement de soi et y parviennent parfois. En fait, je crois que la lecture la plus pertinente du polyamour est sociologique.
C’est-à-dire?
C’est une tentative d’adaptation à l’évolution de la société. Longtemps, le mariage n’a rien eu à faire avec l’amour, c’était un instrument de contrôle des naissances dans une société patriarcale. Aujourd’hui, il focalise notre nouvelle exigence à s’épanouir. S’épanouir sexuellement, sentimentalement, à égalité entre femmes et hommes et cela pendant très longtemps, vu la longévité accrue du couple… L’attente est démesurée et le taux d’échec massif. Les polyamoureux cherchent des réponses à un malaise réel, ils sont les enfants de la souffrance du couple contemporain. Reste à savoir si leur réponse est la bonne…
Pour faire durer le désir, le polyamour, c’est mieux que le Viagra?
L’appétit sexuel vient en mangeant et il est vrai qu’aller voir ailleurs, c’est un moyen pour retrouver l’appétit. Ce qui est intéressant avec le polyamour, c’est que c’est souvent la femme qui prend l’initiative d’y entraîner son compagnon. Lequel, traditionnellement, penche plutôt pour le libertinage, qui est purement sexuel.
Les hippies des années 1970 parlaient déjà d’amour libre.
Il y a une parenté, dans la contestation, le refus du mensonge, peut-être la naïveté. Mais la plupart des polyamoureux mènent, en apparence du moins, une existence traditionnelle. La génération montante, elle, est plus revendicative: dans sa vision, le vrai polyamoureux habite seul, car aucune relation ne doit être privilégiée. Les jeunes sont davantage persuadés de détenir la bonne solution. Je les trouve moins convaincants que leurs aînés, chez qui j’observe, comme aux Cafés Poly de Lyon, une qualité d’écoute, de réflexion et de tolérance rare.
Dans la configuration couple principal/amants secondaires, le bonheur du premier ne se construit-il pas sur le dos des seconds?
Pas si le secondaire n’aspire pas à vivre dans un couple établi, ou alors s’il est déjà le partenaire principal de quelqu’un. Mais la réalité est que c’est compliqué, que les situations vraiment équilibrées sont rares et que, souvent, le secondaire se retrouve dans le vieux rôle de la maîtresse qui attend. Avec qui mon amant(e) va-t-il (elle) fêter Noël, passer ses vacances? L’idéal du polyamour se casse souvent le nez sur de bêtes questions d’agenda.
Quelle autre réponse au malaise du couple contemporain?
Baisser le curseur de nos attentes! Apprendre l’autonomie, au lieu de se co-construire dans la dépendance. Croire que le couple est la clé de voûte de l’épanouissement a un revers: à la première crise, il y a ce terrible sentiment de ne pas avoir été à la hauteur, et des tonnes de culpabilité. Les crises font partie de la vie. Déculpabiliser, ça aide déjà beaucoup à traverser l’épreuve.
En savoir plus
A lire
Guide des amours plurielles. De Françoise Simpère, Pocket et Kindle.
The Game Changer: A memoir of disruptive love. De Franklin Veaux, ePub et Kindle.
Sites
Communauté francophone: www.polyamour.info
Suisse: www.polyamory.ch (en allemand)
www.polyamory.org.uk et OpenCon UK
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