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Comment ils élargissent l’amour

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Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 05:58

Témoignages. Les uns ont l’impression d’être nés comme ça, les autres évoquent un «cheminement». Mais comment font-ils concrètement? Où il apparaît que la bonne chimie à plusieurs est délicate à trouver.

Annick a sauvé son couple grâce au polyamour
Elle a 39 ans, deux enfants de 7 et 4 ans, et vit en couple établi depuis treize ans.

«Cela a commencé par pragmatisme: nous étions, mon compagnon et moi, ensemble depuis onze ans et, après la naissance des enfants, le désir entre nous était en panne. Cet homme, je l’aimerai toute ma vie, nous partageons une magnifique intimité, intellectuellement aussi. Je ne voulais pas le quitter, pas le tromper, pas faire une croix sur ma sexualité à 35 ans. C’est moi qui ai posé le sujet sur la table, et j’ai eu de la chance: il a réfléchi et a dit: «Ce n’est pas idiot!» Au début, l’ouverture de notre couple devait être purement sexuelle, mais nous avons vite compris que l’on ne peut pas scinder les choses si facilement. Une relation, c’est une relation.

Tout se passe bien avec mon compagnon. Il a des amantes aussi - des histoires plus brèves que les miennes - et nous avons retrouvé une sexualité. C’est avec mes amants que c’est plus compliqué: je peine à leur faire comprendre que je les aime mais que j’ai un «mari» et des enfants et que ce n’est pas négociable. Mon premier attendait de moi que je me sépare, notre relation lui faisait du mal, et ça, ce n’est pas acceptable, il faut veiller au respect de chacun: nous nous sommes quittés.

Ensuite, j’ai surtout rencontré des hommes mariés, qui trompent leur femme. Et là, c’est à moi que ça pose un problème. L’idéal serait de rencontrer des amants qui ont une vraie démarche de polyamoureux eux aussi. Je n’ai jamais eu cette chance, j’espère que ça viendra. Mais finalement, quand on travaille à plein temps avec deux enfants (j’évolue dans les milieux financiers), le cœur du problème, ça reste la gestion de l’agenda.»

Adrien cherche la recette du bonheur
Adrien LesAilesBleues a 35 ans, il vit en couple, sans enfants.

«Une question m’occupe: la recette du bonheur, c’est quoi? J’ai créé une association, Lesailesbleues, proche du mouvement des colibris de Pierre Rabhi, qui s’efforce d’œuvrer au bonheur collectif. Au niveau personnel, le polyamour est pour moi une évidence depuis toujours: enfant déjà, je ne comprenais pas que l’on soit autorisé à haïr une foule de personnes et à en n’aimer qu’une seule. Pourquoi une seule? Comment peut-on prétendre que c’est naturel? Quand j’avais 12-13 ans, j’ai proposé que l’on institue le mariage de guerre: que ceux qui veulent s’entretuer le fassent, mais qu’ils ferment la porte derrière eux.

La norme de l’exclusivité m’a très vite fait souffrir. Je sentais que je pouvais aimer de manière plus large, mais je me heurtais à un dogme. Je me suis fait traiter de monstre, d’insensible et d’égoïste. Et puis, un jour, j’ai découvert que le polyamour existe en tant que concept, j’ai pu mettre un mot sur cette disposition et ça m’a fait du bien.

Je vis depuis six ans avec une femme, c’est ma priorité. Je ne peux pas affirmer simplement qu’elle est aussi polyamoureuse, c’est plus compliqué: elle est d’accord sur le principe, mais en ce qui la concerne, ce n’est pas son truc. Je crois sincèrement être attentif à son bonheur. En ce moment précis, il n’y a qu’elle: ma dernière amante a découvert qu’elle ressentait de la jalousie, on en a discuté et on a mis fin à la relation. C’est vrai que l’alchimie à plusieurs, c’est compliqué. Mais je rencontre des femmes fortes et indépendantes, quand il y a un problème, elles le font savoir.»

Unsuffitpas a un mari monogame
Unsuffitpas est son pseudo en ligne. Elle a 34 ans, un mari, deux enfants de 2 et 4 ans.

«Je suis polyamoureuse par tempérament. J’ai toujours eu plusieurs amants en même temps. Puis j’ai rencontré mon mari, nous avons vécu quatre ans de monogamie, après quoi je suis tombée amoureuse, j’étais mal, j’ai voulu les quitter tous les deux et les deux m’ont dit: «Non, attends!» Lorsque j’ai désiré avoir des enfants, c’était clair: ça se ferait avec mon mari et personne d’autre. Pendant une période, ça s’est très bien passé: mon amant s’est lié d’amitié avec mon mari, il venait voir le petit à la maison. Puis la vie nous a séparés.

Mon mari est monogame. Il dit qu’il n’a besoin de personne d’autre. Voici ce qu’il écrit: «Il faut bien comprendre que notre relation est basée sur la sincérité, l’amour, le bien-être de l’autre et que les relations extérieures de ma femme ne sont pas des plans cul [..] elles la rendent encore plus radieuse, attirante, belle et toujours autant attentionnée pour nous.»

Pour être franche, j’ai mis du temps à accepter qu’il accepte mes amants! Je trouvais ça un brin suspect… Mais je crois qu’il est sincèrement dans la compersion, le contraire de la jalousie: tout ce qui me rend heureuse le rend heureux. Nous sommes un couple très solide.

Je travaille à 100% comme informaticienne. Depuis que j’ai des enfants, je m’arrange pour voir mes amants dans les temps extrafamiliaux, souvent entre midi et 14 heures, pas forcément pour faire l’amour. Pourquoi courir comme ça? Je ne sais pas, je n’aime pas me retrouver seule. Et puis une table avec quatre pieds, c’est plus solide qu’une table à un seul.»

Olivier est un grand polyfidèle
Olivier Daunay a 62 ans et trente-sept de polyamour, marié, un enfant. C’est l’organisateur des Cafés Poly de Lyon.

«Le polyamour, c’est d’abord une démarche personnelle. Il y a tant à déconstruire, à commencer par la domination masculine.

Je suis un grand polyfidèle. Il y a Nicole, la mère de notre fils, la femme de ma vie. Mais, ces dix dernières années, j’ai connu deux femmes lumineuses, qui sont successivement tombées dans la maladie et m’ont demandé d’être à leurs côtés, en priorité. Je l’ai fait, mettant ma relation principale en pause: je les ai, l’une après l’autre, accompagnées jusqu’à la mort. Après ça, je suis resté marié à Nicole, mais nous n’habitons plus ensemble.

Peut-être que ce qui nous a encouragés au polyamour, elle et moi, c’est que nous n’avons aucun goût commun. Je suis artiste en bijoux contemporains, elle (qui est prof) ne supporte pas les artistes, j’aime la musique, pas elle… et pourtant il y a entre nous une solidarité unique, nous nous sommes magnifiquement épaulés. Certains disent que dans le vrai polyamour il n’y a pas de hiérarchie entre les relations. C’est du déni, ou du mensonge. De fait, une hiérarchie s’installe, dans le temps, l’espace, la géographie, c’e st inévitable. On ne peut pas tout égaliser. Accepter la complexité, ça limite les complications.

En ce moment, je suis seul, mais je sais que j’aimerai encore. L’amour, c’est la grande affaire de ma vie et j’ai beaucoup de chance. Pas de prosélytisme cependant: le polyamour, ça ne peut être qu’une philosophie de vie, surtout pas un nouveau modèle.» 


Les droits des «secondaires»

La position des amants «secondaires» est parfois douloureuse, admet Franklin Veaux, théoricien américain du polyamour (www.morethantwo.com). Il a rédigé une «Charte des droits des secondaires». Extraits.

«J’ai le droit...

  • d’être traité avec honnêteté, intégrité, compassion et sensibilité à mes besoins
  • de prendre part aux discussions qui me concernent chaque fois que c’est possible
  • et la responsabilité de fixer des limites claires aux engagements que je prends, autrement dit l’absence d’autres partenaires «primaires» ou «secondaires» ne signifie pas que tout mon temps et mes ressources sont disponibles
  • de demander à mes partenaires d’essayer de trouver un compromis lorsque c’est possible (je ne dois pas être sans cesse le seul à accepter des changements et à faire des concessions)
  • de m’attendre à ce que les projets faits avec mon partenaire ne soient pas modifiés à la dernière minute juste parce qu’un partenaire «primaire» n’a pas la pêche
  • de vivre une passion et de grands moments avec mon partenaire, sans sentiment de culpabilité ni excuses
  • à mon intimité: les détails de l’intimité physique et des conversations intimes ne doivent pas être partagés sans mon accord
  • à ce que l’on me dise la vérité en tout temps, ce qui inclut le droit d’être mis au courant des peurs, doutes et autres soucis au moment où ils surgissent, pas une fois qu’ils sont devenus insurmontables
  • de ressentir des émotions et de les exprimer, de m’exprimer sur la forme que prend ma relation
  • à un équilibre entre ce que je donne et ce qui m’est donné en retour
  • d’être traité comme un individu égal, ce qui signifie que ce que j’aime, ce que je n’aime pas, mes désirs, mes contretemps ne doivent pas être ignorés pour la simple raison que je suis «secondaire».

Traduction et Adaptation Gian Pozzy

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