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Il ne faut pas prendre les polyamoureux pour des baiseurs sauvages

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Jeudi, 21 Juillet, 2016 - 06:00

Dossier. Ils revendiquent le droit d’aimer plusieurs personnes à la fois, sans mentir, et dans l’égalité des sexes. Sont-ils les pionniers de l’amour de demain? Rencontre avec des explorateurs de réponses imparfaites à de bonnes questions.

Les polyamoureux sont des gens surprenants. Vous vous attendez à ce qu’ils vous vantent la grâce unique des liaisons éphémères, et vous les entendez dire: «Les rencontres d’une nuit ne m’intéressent pas. J’aime les relations sérieuses.» Vous expliquer que, pour eux, la fidélité est une valeur centrale. Et que, pour cette raison, quand on tombe amoureux, le plus urgent est de ne prendre aucune décision irréversible avant que ne soit passée la tempête hormonale (durée: dix-huit à trente-six mois).

Ainsi de Françoise Simpère, un mari, deux enfants et plusieurs décennies de «lutinage» au compteur. Dans ses livres (Guide des amours plurielles. De Françoise Simpère, Pocket et Kindle.), cette ardente théoricienne française des amours plurielles rejoint par moments la sagesse séculaire des matrones et des philosophes. Il est aussi absurde, écrit-elle, «de rompre un amour parce qu’il connaît une situation de «basses eaux» que serait l’abattage d’un arbre en hiver parce qu’il perd ses feuilles, en oubliant qu’existe le printemps». Car le désir n’est pas linéaire mais cyclique, et le reconnaître, c’est «faire durer l’amour et la beauté». Les polyamoureux, donc, évitent d’idéaliser la passion, ils la savent «vaniteuse et éphémère, malgré ses prétentions à l’éternité».

Bon, évidemment, il y a quelques petites différences entre leur sagesse et celle des philosophes. Par exemple, celui qui tombe amoureux est encouragé à vivre la relation qui s’offre à lui, à condition que ce soit en transparence et en accord avec son, sa, ou ses autres partenaires. Ou encore: l’égalité absolue entre hommes et femmes est postulée, et nettement plus effective que chez les ancêtres soixante-huitards. «Beaucoup d’hommes trouvent qu’avoir plusieurs relations en parallèle est une superidée, jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils doivent être prêts à accepter que leurs partenaires puissent faire de même…»

Là, je viens de citer Tarquinius, l’un des rares polyamoureux que j’ai trouvés en Suisse romande (ils sont plus nombreux du côté de Zurich ou de Berne). Il tient à l’anonymat, ainsi que la plupart des autres, rencontrés à Lyon. Au début, j’ai ironisé: «Alors comme ça, on prône la transparence mais on se cache comme un malfrat?» Ensuite, j’ai raconté autour de moi que j’enquêtais sur le polyamour et, au vu des ricanements suscités, j’ai mieux compris ce désir de discrétion.

J’ai aussi parlé avec Thomas Wiesel, le jeune humoriste romand qui monte et qui a eu l’imprudence d’admettre, dans une interview à Darius Rochebin (Pardonnez-moi, sur RTS Un, le 14 février dernier), son choix de vivre en couple ouvert: opprobre et damnation. «Du jour au lendemain, j’ai été assailli de questions graveleuses. Tout ce que les gens avaient compris, c’est que je voulais du cul. Ma copine était une salope et moi, un connard. Il y a eu aussi des réactions positives, mais j’ai été stupéfait par la violence de certaines autres: je crois qu’elle est à la hauteur des fantasmes que les gens ont projetés sur nous.»

A la hauteur de l’hypocrisie ambiante, en somme. «Nous sommes une génération de l’adultère, poursuit l’humoriste. Tromper son conjoint n’a jamais été aussi facile et aussi peu sanctionné socialement, c’est un phénomène massif. Que ceux qui jouent l’honnêteté subissent un tel opprobre, c’est le comble! Pour moi, trahir la confiance de l’autre, c’est plus grave que déroger à l’exclusivité sexuelle.»

C’est ça qu’ils ont de la peine à avaler, les polyamoureux: l’espèce de déni dans lequel nous vivons. L’Amour unique reste notre seul idéal et la monogamie, l’unique modèle moralement admis. Pourtant, notre réalité, quand elle n’est pas celle de l’adultère, relève de la «polygamie successive», comme l’appellent les sociologues. Ne peut-on trouver mieux que le fatal chapelet couple-divorce-couple-divorce et les souffrances qu’il engendre? Pourquoi ne pas admettre qu’il est possible d’aimer plusieurs personnes à la fois? Et en quoi la jalousie et la possessivité seraient-elles des preuves d’amour?

Telles sont les interrogations des polyamoureux. S’ils avaient trouvé la réponse miracle, cela se saurait. En parlant avec eux, il m’est arrivé de me dire qu’ils poursuivent un idéal intellectuellement plus satisfaisant, mais concrètement encore plus irréaliste que celui du couple monogame. Gérer l’agenda, trouver une harmonie à plusieurs entre ce qu’on peut donner et ce qu’on souhaite recevoir, ce n’est pas de la tarte. Souvent, derrière les polyamoureux qui tiennent le devant de la scène, il y a des amants «secondaires» moins épanouis (et moins chauds pour les interviews). L’Américain Franklin Veaux, autre théoricien historique du polyamour, a fini par l’admettre. Il a même publié une «charte des droits des secondaires» (lire Les droits des «secondaires», à la fin de l'article Comment ils élargissent l'amour).

N’empêche: les polyamoureux réfléchissent à ce qui fait une relation, ils prennent à cœur l’avenir de l’amour, avec une honnêteté qui force le respect. C’est en tout cas ce que j’ai vu, un jeudi de juin, dans le bistrot lyonnais qui accueille chaque mois le Café Poly local. Il y avait là une vingtaine de personnes, de 30 à 60 ans, et presque autant de femmes que d’hommes. La parole est à quelques-unes d’entre elles. 

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