Pour moi, être Suisse, c’est une contradiction que j’aime.
Côté pile, il y a «Un pour tous». En version tragique, c’est évidemment le mythe fondateur de Winkelried. En version culinaire, c’est la personne qui doit rester debout pour racler le fromage. Et en version plus visionnaire, c’est Denis de Rougemont qui affirme avec pertinence que la décadence d’une société commence quand l’homme se demande «Que va-t-il arriver?» au lieu de se demander «Que puis-je faire?».
Côté face, il y a «Tous pour un». C’est la solidarité confédérale, le respect des minorités, le service public sur tout le territoire et la démocratie directe. C’est aussi l’accès à la formation, les assurances sociales, le système sanitaire, le respect des droits humains. C’est, enfin, la reconnaissance de la valeur de l’autre, et la différence vécue comme une richesse partagée.
Au final, être Suisse, c’est un subtil équilibre entre l’engagement citoyen de l’individu et la construction du vivre-ensemble. Une telle démarche ne peut trouver son sens qu’à travers le rôle utile que la Suisse joue dans le monde. Car, sans cette ambition de porter des valeurs au-delà de nos frontières, nous en serions réduits à l’image grotesque de gardiens de notre propre prison, qu’évoquait Dürrenmatt dans son inoubliable discours à Václav Havel.