Quand j’étais étudiant à Bâle, j’habitais un petit appartement au-dessus d’un minuscule restaurant indien qui était géré par un couple de même origine. Je mangeais là assez souvent, non seulement parce que c’était tout près de chez moi, mais aussi parce que la nourriture était délicieuse et bon marché. Parfois, tard le soir, lorsque les autres clients avaient quitté l’établissement, le patron s’asseyait à ma table, et nous parlions de sa vie et de son parcours. Plus d’une fois, il m’a regardé dans les yeux, me disant, en chuchotant presque: «C’est le paradis, ici.»
Je ne savais pas ce qu’il voulait dire, mais je le sais aujourd’hui. A l’époque, pour moi, vivre en Suisse signifiait avoir une vie plutôt ennuyeuse. Oui, tout marchait bien, tout était stable, mais tout paraissait aussi tellement prévisible! C’était étriqué, presque suffocant, et je me suis senti obligé de partir… Après de nombreuses années passées à l’étranger, principalement aux Etats-Unis, je suis revenu récemment en Suisse et je me sens plus libre, avec un esprit plus entreprenant que jamais.
Ce qui a changé, c’est que je me suis rendu compte de mon erreur commise lorsque j’étais étudiant et que je pensais qu’un peuple conservateur devait se composer nécessairement d’individus conservateurs. C’est le contraire qui est vrai. Si les choses bougent lentement dans une démocratie directe, c’est précisément en raison de nombreux points de vue opposés. Après tout, la recherche d’un consensus prend du temps. Si tout le monde était d’accord sur tout, on pourrait certes avancer beaucoup plus vite, mais ce serait tellement ennuyeux!
L’autre réalité que je comprends mieux aujourd’hui, c’est ce que le patron indien du petit restaurant voulait me dire: je peux me concentrer sur ce qui m’importe vraiment, autrement dit avoir une entreprise, permettre à mes enfants d’aller à l’école, etc. Ce qui me paraissait tellement prévisible et ennuyeux, en fait, me donne, nous donne la liberté de réaliser nos rêves et d’essayer de devenir la personne que nous souhaitons être. Je ne peux pas imaginer une liberté plus importante que celle-là.