Si le Swiss made est reconnu mondialement comme une garantie de qualité qui ne se discute pas, il n’est pas rare de rencontrer à l’étranger des personnes intriguées par le fondement de l’identité suisse. Qu’est-ce qui peut bien unir des Suisses alémaniques et des Suisses romands, des Tessinois et des Grisons, le seul canton où on parle encore le romanche? Les banques, le chocolat et les montres? La Suisse est-elle vraiment une nation avec une identité propre, comme semblait en douter un ancien dirigeant arabe, qui envisageait sans vergogne de la démembrer pour en redistribuer les différentes communautés aux pays limitrophes?
Ja, Si, oui (and Yes)! Etre Suisse, c’est tout d’abord adhérer volontairement à un projet commun: la Suisse. Contrairement aux nations voisines, dont les contours se dessinèrent souvent d’en haut et par la force, autour de l’idéalisation d’une communauté d’origine, la Suisse est une Willensnation, une nation qui est le fruit d’une volonté politique, venue d’en bas. Elle s’est construite sur la reconnaissance des particularismes, et la confiance en l’autre comme un être fiable et responsable. L’absence de tensions intercommunautaires – comme celles qui affectent souvent le climat politique belge – est la preuve de cette volonté qui perdure dans nos villes, nos campagnes et nos montagnes, malgré les clivages qui peuvent apparaître lors de votations.
Du projet politique découlent à mes yeux les valeurs propres qui fondent l’identité suisse: le pragmatisme, le respect des différences, le sens du compromis et la reconnaissance du travail comme quelque chose d’essentiel, plus important que les critères sociaux, culturels, religieux. De la même manière, si certaines nations s’imaginent remplir une mission civilisatrice et ce, malgré leurs failles, les Suisses font preuve d’une certaine humilité dans la réussite, à l’instar d’un Roger Federer, dont la discrétion en dépit d’un palmarès inégalé force l’admiration en Suisse et à l’étranger.
Etre Suisse, c’est être le produit d’une identité qui dépasse souvent les frontières. C’est être ouvert au monde, soutenir les échanges et favoriser le dialogue plutôt que la confrontation, à l’image du tunnel de base du Saint-Gothard ou du rôle de «bons offices» joué par la Suisse dans l’accord entre les Etats-Unis et l’Iran sur le nucléaire. A l’instar du Comité international de la Croix-Rouge, les Suisses sont neutres, mais engagés et fidèles à leurs principes.
Ma vision de l’identité suisse est sans doute idéalisée. Néanmoins, à l’heure où règne l’instabilité politique et économique dans le monde, génératrice de repli sur soi et de heurts, il est important que nous allions vers cet idéal afin de maintenir le cap du bateau «Suisse» que beaucoup, avouons-le-nous en toute fausse modestie, nous envient.