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Des ovules qui se marchandent au prix fort

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Jeudi, 4 Août, 2016 - 05:52

Enquête. Aux Etats-Unis, de plus en plus de jeunes filles vendent leurs ovules pour, notamment, financer leurs études. Mais elles prennent de graves risques avec leur santé.

Quand Selma* termine ses études de lettres, en 2012, la vie n’est pas facile. Elle tentait de percer comme actrice, tout en travaillant comme rédactrice free-lance à Seattle. Et elle devait rembourser sa dette étudiante. «Pour y parvenir, je devais m’installer à Los Angeles, mais je n’en avais pas les moyens», raconte cette petite brune de 28 ans aux airs de Christina Ricci. Elle décide alors de vendre ses ovules. «Je l’ai fait à trois reprises. A chaque fois, j’ai touché 8000 dollars. Cela m’a permis de financer mon déménagement et mon mariage.»

L’histoire de Selma est loin d’être unique. De plus en plus de jeunes filles américaines se résolvent à vendre un morceau de leur corps pour financer «des études, des vacances ou simplement s’acquitter de leurs frais quotidiens», explique Sierra Falter, l’une des trois cofondatrices de la plateforme We Are Egg Donors. Ce phénomène est né en 1987, lorsque la chaîne Cleveland Clinic a créé un programme pour recruter des «donatrices» prêtes à proposer leurs ovules à des femmes ne pouvant pas concevoir.

La pratique a vraiment pris son envol dans les années 2000, quand la technique s’est améliorée, quand de plus en plus de femmes d’âge mûr et de couples gays ont voulu avoir des enfants. Aujourd’hui, 12% des naissances par fécondation in vitro (FIV), soit 17 000 par an, se font au moyen d’un don d’ovules. La recherche sur les cellules souches, grande consommatrice d’ovules, a encore accru la demande.

«Les donneuses d’ovules sont recrutées par des agences qui agissent comme des intermédiaires pour les cliniques de fertilité ou des instituts de recherche, note Jennifer Lahl, qui a réalisé un documentaire à ce sujet intitulé Egg­sploitation. Celles-ci publient des annonces sur les campus universitaires, sur Facebook ou sur Craigslist.» Les jeunes femmes intéressées sont alors soumises à une batterie de tests médicaux, génétiques et psychologiques.

«Certaines familles sont très exigeantes, indique Sanford Bernardo, qui dirige Northeast Assisted Fertility Group. Elles veulent une donneuse qui a étudié dans une bonne université, qui joue du violon, qui pratique un sport, qui est jolie.» Les grandes blondes, les juives et les Asiatiques sont les plus demandées. Cette agence reçoit des demandes du monde entier. «Nous avons même eu un couple suisse», glisse le directeur. Le don d’ovules est interdit sur sol helvétique, comme dans de nombreux pays.

Le profil des donneuses est mis en ligne dans une base de données que les parents peuvent consulter. Lorsqu’une jeune fille est sélectionnée, elle entame deux semaines d’injections d’hormones pour stimuler sa production d’ovules. Certaines vont en générer jusqu’à 50. Ils sont récupérés au moyen d’une intervention chirurgicale.

Bombes à retardement

La procédure est loin d’être sans danger. La prise d’une dose massive d’hormones peut provoquer un syndrome d’hyperstimulation ovarienne, une accumulation de liquide dans l’abdomen. Ce qui risque de déboucher sur une thrombose, une attaque cérébrale – entre 14 et 30% des donneuses d’ovules en sont victimes – ou encore une torsion des ovaires. Alexandra, une doctorante en biologie à l’Université du Kansas, en a fait la douloureuse expérience, lorsqu’elle a décidé de vendre ses ovules en 2002.

«Je me suis levée un matin et j’ai eu la sensation que mes boyaux étaient noués avec un morceau de ficelle, relate-t-elle. Lorsque le médecin a vu mon abdomen distendu, il est devenu tout blanc. Il a dû retirer mon ovaire droit, qui était de la taille d’un pamplemousse et s’était entortillé dans ma trompe de Fallope.»

Les conséquences d’un don d’ovules peuvent aussi se manifester avec du retard. Leah Campbell, une écrivaine qui vit aujourd’hui en Alaska, s’est portée comme un charme durant les six mois qui ont suivi ses deux interventions. Puis elle a arrêté d’avoir ses règles. «Lorsqu’elles ont repris, la douleur était atroce.» Son médecin a diagnostiqué une endométriose, une excroissance de muqueuse utérine.

Les spécialistes qu’elle a consultés ont estimé que l’infection avait été déclenchée par la prise d’hormones. Trois ans et cinq opérations plus tard, Leah Campbell a dû se résoudre à l’inévitable: elle ne pourrait jamais avoir d’enfants. «Cela a été très dur à accepter. Ma mère m’a abandonnée très jeune et j’ai toujours rêvé de devenir maman.»

D’autres ont subi les effets de leur don des années plus tard. Parmi elles, Jessica. Cette étudiante en cinéma à l’Université Columbia avait 29 ans quand elle est revenue d’un séjour au Japon avec un mal de ventre persistant. Quatre ans plus tôt, elle avait effectué trois dons d’ovules en l’espace de douze mois. «Elle avait un cancer du côlon en phase terminale, relate sa mère, Jennifer Schneider, qui est elle-même médecin. C’est très rare à son âge, d’autant plus qu’il n’y avait pas d’antécédents familiaux.» Elle est décédée deux ans plus tard, à 31 ans. Plusieurs études ont montré un lien entre la prise d’hormones de stimulation ovarienne et le cancer des ovaires, du sein, de l’utérus ou du côlon.

Jusqu’à 100 000 dollars

Malgré ces dangers, le secteur n’est pas du tout réglementé. «La loi interdit la vente d’organes, mais elle prévoit des exceptions pour certains tissus, comme les ovules, car ils sont renouvelables», commente Judith Daar, responsable du comité d’éthique de l’Association américaine pour la médecine reproductive. Celle-ci a bien émis des directives interdisant de payer les donneuses plus de 10 000 dollars, de faire varier la rémunération en fonction de leur apparence ou leur origine ethnique et d’effectuer plus de six retraits d’ovules par femme. Mais elles sont rarement appliquées.

«Après mes trois premiers dons, on m’a proposé 16 000 dollars pour un quatrième, car mes œufs étaient de bonne qualité, et je suis juive», raconte Selma. Sur certaines des annonces publiées à Harvard, Yale ou Princeton, les montants atteignent même 50 000 ou 100 000 dollars. «Face à des sommes pareilles, peut-on encore parler de consentement éclairé? s’interroge Josephine Johnson, une bioéthicienne. Ces jeunes femmes, qui sont souvent très endettées, ne perçoivent plus les risques liés à la procédure.»

Les blessures peuvent aussi être psychologiques. «Les donneuses signent un contrat dans lequel elles s’engagent à renoncer à leurs droits sur les enfants nés grâce à leurs ovules», précise Sanford Bernardo. Leah Campbell, qui ne peut plus procréer, souffre de savoir qu’elle a des enfants qu’elle ne connaîtra jamais. «Je sais que ce ne sont pas les miens, mais j’aimerais pouvoir au moins leur envoyer une carte à Noël.»

* Prénom d’emprunt


De l’or blanc

Les femmes vendent aussi leur lait maternel, aux Etats-Unis. Un marché sur lequel sont actifs plusieurs acteurs. Les firmes Prolacta Bioscience, Medolac Laboratories et International Milk Bank l’achètent pour fournir les services de néonatologie d’hôpitaux. Et le portail Only The Breast, qui compte 50 000 membres. «Ce sont des femmes au foyer ou des employées qui prolongent leur congé maternité grâce à cet argent, relève son fondateur, Glenn Snow. Certaines peuvent toucher jusqu’à 2000 dollars par mois.»

Les clientes sont des femmes qui ne produisent pas – ou pas assez – de lait ou qui souffrent d’une maladie les empêchant d’allaiter.

Mais les abus ne sont jamais loin. Sur Only The Breast, plusieurs annonces s’adressent aux hommes en quête de lait maternel «pour le plaisir» ou pour gagner du muscle. Plus grave, «certaines femmes renoncent à nourrir leur propre bébé pour vendre davantage de lait ou le diluent à l’aide de lait de vache», s’inquiète John Honaman, le directeur d’une banque de lait maternel à but non lucratif. Une étude de l’Université de l’Ohio a en outre révélé que 74% des échantillons de lait maternel vendus en ligne étaient contaminés par des bactéries.

Glycom, une start-up cofinancée par Nestlé, pourrait bientôt mettre fin à ce marché gris. Elle cherche à synthétiser en laboratoire les sucres complexes contenus dans le lait maternel, pour le remplacer. «Notre produit est prometteur aussi chez les adultes souffrant de problèmes digestifs», note John Theroux, le CEO de l’entreprise. Les premières applications seront sur le marché d’ici à un an.

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