Témoignages. En solitaire, en couple ou parfois avec enfants, les nomades à vélo réalisent plus qu’un voyage. Ils adoptent une manière différente d’être au monde. De passage en Suisse, cinq d’entre eux racontent les raisons de leur départ et leur nouveau quotidien.
Ils ont tout abandonné. Remis leur logement, résilié leur assurance maladie, retiré leur inscription auprès du Contrôle des habitants. Et les voilà partis. Chacun en son temps, mais tous direction l’est, avec un objectif commun: rouler sans attendre et autant que possible. Hervé Neukomm, Claude Marthaler, Luciano Lepre ainsi que Céline et Xavier Pasche sont tous des «nomades à vélo».
Certains parmi eux appréciaient pourtant leur quotidien suisse: un entourage présent, un bel appartement, des activités et hobbys enrichissants… D’autres, au contraire, souffraient d’ennui et de décalage avec la société. Tous ont finalement obéi à ce même besoin, irrépressible: s’en aller. Qui pour vivre pleinement sa passion du vélo, qui pour assouvir sa soif de curiosité ou réaliser un vieux rêve.
«Plus qu’un projet, c’est une envie viscérale de se découvrir et de changer de mode de vie», s’accordent-ils à dire. Depuis cinq, sept ou onze ans, pas un jour ne passe sans qu’ils voyagent. Au sens propre pour Laetitia Masip et les Pasche, qui sont encore en route. Au sens figuré pour Claude Marthaler, Luciano Lepre et Hervé Neukomm qui, en Suisse ou en Colombie, accueillent des cyclonautes, organisent des conférences sur leurs aventures et repartent régulièrement sillonner les routes. Ici ou là-bas, ils vivent de leurs économies, de boulots divers et des articles ou images qu’ils réalisent.
Ils l’assument: «Etre nomade, c’est accepter les situations insolites et se laisser guider par ses intuitions et ses envies.» Seront-ils un jour repus et en quête de sédentarisation? Rien n’est moins sûr. Même si plusieurs soutiennent que, «s’il est primordial de déployer ses ailes, il est aussi important de ne pas perdre ses racines».
«Je suis tombée amoureuse de la Chine»
Laetitia Masip, 34 ans, sur la route depuis 2009. Budget mensuel: entre 500 et 1000 fr., selon les pays. Sources de financement: économies, petits boulots. Profession: volontariat. Canton: Vaud.
Elle s’est déplacée à deux roues pendant sept ans. Sa moyenne: 80 km par jour. Laetitia Masip a traversé l’Italie, la Croatie, le Monténégro, la Syrie, la Turquie ou encore l’Azerbaïdjan, avant de poser pied à terre en Chine. Là, elle s’est arrêtée sept mois pour pratiquer l’art du taï-chi. Un séjour qui marque la suite de son parcours: tombée amoureuse de l’Empire du Milieu, Laetitia Masip y revient une première fois après une année de bénévolat en Thaïlande et une seconde après des «détours» de six et deux mois au Canada et à Taïwan. Elle y restera près de deux ans en tant que guide à vélo.
En juin 2015, Laetitia Masip se retrouve en Suisse. De passage, pas de retour. S’il a duré plus longtemps que prévu, son séjour helvétique s’est en effet terminé en avril dernier, lorsqu’elle a repris la route. Avec un nouvel objectif: allier le vélo à son autre passion, l’ornithologie. Laetitia Masip se donne une année pour participer à des projets de conservation liés aux oiseaux. Elle pédale, récolte des fonds et s’attelle à vivre dans le respect de ses convictions.
«Tout faire comme les locaux»
Céline et Xavier Pasche, 34 et 35 ans, sur la route depuis 2010. Budget mensuel: 1000 fr. par mois. Sources de financement: économies et articles. Profession: elle, anthropologue et accompagnatrice en montagne; lui, dessinateur en bâtiment. Canton: Vaud.
Ils s’étaient fixé une destination, la Nouvelle-Zélande, et trois ans pour l’atteindre. Céline et Xavier Pasche ont finalement mis cinq ans pour rejoindre leur point final. Où dormir? Où trouver de l’eau? Quelle route choisir? Pour toute réponse, les Pasche ont décidé de suivre leur instinct. Et de tout miser sur la confiance: ne jamais cadenasser les vélos, boire l’eau comme des locaux ou encore pédaler sans se soucier à l’avance de la météo. Résultat: rien à signaler. Même l’arrivée de leur fille, Nayla, née en chemin et aujourd’hui âgée de 2 ans et demi, n’a que peu changé leur manière de voyager. «Nous avons simplement adapté notre rythme et prévu plus de moments de repos.»
De passage en Suisse durant quatre mois, le couple est reparti début mai direction le Grand Nord: Sibérie, Alaska, Canada… En route, ils réaliseront des portraits d’enfants qu’ils distribueront dans les écoles. Histoire de jouer le rôle que beaucoup attribuent aux voyageurs en tout genre: témoins des autres cultures.
«Je ne me suis jamais senti aussi libre»
Hervé Neukomm, 37 ans, sur la route de 2004 à 2016. Pas de budget. Sources de financement: économies issues de son ancien poste de banquier au Credit Suisse puis de son activité au sein de l’agence Globetrotter. Canton: Vaud.
Hervé Neukomm est parti en septembre 2004 pour «vivre autre chose». Son idée de base était simple: relier la Suisse au Tibet, en dix mois maximum. C’était compter sans le froid des montagnes turques qui l’a poussé à bifurquer. Hervé Neukomm arrive alors en Jordanie. Il avance, se retrouve en Egypte, au Soudan et, quitte à continuer, descend jusqu’au Cap, en Afrique du Sud. Un an et demi de parcours durant lesquels l’aventurier a frôlé la mort plus d’une fois. Peu lui importe, il ne s’est «jamais senti aussi libre de sa vie». Il s’arrête toutefois deux ans, pour s’improviser guide indépendant en Namibie. Puis il repart. Oublié, le Tibet. C’est au Brésil qu’Hervé Neukomm se rend finalement. Son nouveau but? Fabriquer un bateau-vélo qui lui permette de parcourir l’Amazone.
«J’ai pédalé entre quatre et six heures par jour, parfois huit. Et, quatre ans plus tard, je suis arrivé au bout des quelque 6400 km du fleuve, à Macapá.» Un exploit qui lui a permis de trouver l’harmonie. «J’ai dû briser mes chaînes pour devenir libre. Mais je n’ai jamais oublié mes racines et j’ai appris à quel point j’ai besoin de la nature pour vivre.» Installé à Leticia, en Colombie, Hervé Neukomm s’épanouit désormais au cœur d’une réserve de 250 hectares. Il y tient une agence de voyages responsable et y mène, avec sa compagne Adriana, des projets sociaux, culturels et de conservation.
«Je me sens bien partout»
Claude Marthaler, 55 ans, seize ans de vie pleine à vélo, puis de manière plus ponctuelle. Pas de budget. Sources de financement: conférences, activité de guide de voyages à vélo, articles pour la presse suisse et spécialisée. Profession: cyclonaute et auteur. Canton: Genève.
Ni vagabond ni sédentaire, il est un nomade avec un camp de base. S’il a un pied-à-terre à Genève, Claude Marthaler ne cesse pourtant de parcourir les routes du monde. Son plus long périple: 122 000 km parcourus entre 1994 et 2001 à travers l’Asie, les Amériques puis l’Afrique. Suivent des voyages espacés dans le temps: au Ladakh, en Bolivie, de Genève à Saint-Pétersbourg, puis trois ans entre l’Afrique et l’Asie, six mois le long de la frontière orientale de l’Europe ou, plus récemment, trois mois à Cuba ou au Tadjikistan.
Sa curiosité est sans fin. Son besoin de routine inexistant. Claude Marthaler a le goût du risque et sait qu’il se sent bien où qu’il soit. L’écriture le pousse à voyager, et le voyage le pousse à écrire. Pour preuves, il a publié huit livres, dont Le chant des roues (Olizane, 2002), Entre selle et terre (Olizane, 2009) ou encore Confidences cubaines (Transboréal, 2015). Et, comme écrire ne suffit pas, Claude Marthaler profite de chaque occasion pour parler du vélo. Lors de conférences, mais aussi dans le cadre du Café des Voyageurs et autres rencontres qu’il organise en tant que membre de PRO VELO Genève. Une manière de se sentir toujours en voyage et de soutenir le cycliste qu’il admire le plus, celui du quotidien.
«Je me contente du minimum»
Luciano Lepre, 61 ans, sur la route de 1996 à 2004, puis de manière ponctuelle. Budget: 10 fr. par jour. Sources de financement: économies, articles, photographies. Profession: photographe. Canton: Valais.
Luciano et Verena Lepre se rendaient chaque année au Népal pour soutenir une famille et mener des projets humanitaires. Puis 1996 est arrivé. Et l’envie de rejoindre cette destination habituelle par la route. A vélo. Une épopée de quinze mois qui s’est prolongée sur deux, puis trois et finalement huit ans à travers l’Asie, l’Australie, les Amériques et l’Europe. De retour en Suisse, le couple enchaîne les conférences. Mais Luciano Lepre n’a qu’une idée en tête, repartir. Il se fixe alors une devise: suivre l’axe du plaisir.
Depuis 2010, Luciano Lepre vit plusieurs mois par an au Japon, où il officie comme guide de voyage. Le reste de l’année, il le passe à Villeneuve (VD) avec sa femme, désormais active à temps partiel dans le social. Sa philosophie de vie n’a cependant pas changé: il se contente du minimum et s’attelle à rester le plus autonome possible, sans aide de l’Etat.