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YouPorn: l’impuissance des grands studios

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Jeudi, 11 Août, 2016 - 05:58

Marie Maurisse

Crise. Les acteurs historiques du porno n’ont pas anticipé l’arrivée de l’internet. Concurrencés par les sites gratuits, contre lesquels ils ne peuvent pas se battre, ils sont contraints de changer radicalement leur modèle économique. Si certains semblent résignés, d’autres investissent dans la haute qualité pour garder leurs clients.

«Nous sommes en train de mourir. » A 60 ans, Peter Preissle ne se fait plus d’illusions. Avec l’arrivée de l’internet, quelques années ont suffi à mettre à genoux l’industrie pornographique suisse dans laquelle ce Zurichois a fait toute sa carrière avec passion et dévouement. L’homme dirige toujours, aux côtés du légendaire Edi Stöckli, la plus grosse société de production suisse spécialisée dans le porno, Mascotte Film SA, qui possède aussi les cinémas X de Genève, Lausanne, Bâle, Berne et Zurich. Mais tout ça, dit-il, c’est bientôt terminé. La programmation de ses salles obscures affiche désormais des séances pour les enfants ainsi que des documentaires.

La production de films pornos n’est plus ce qu’elle était. Finis, les vingt films réalisés par mois, les tournages pharaoniques. Envolée, l’époque où les stars du porno étaient riches et glamours. «Aujourd’hui, le budget est descendu à 5000 euros pour un film de nonante minutes, les actrices sont payées au lance-pierre, explique-t-il. Le porno est devenu mainstream, banal. On trouve sur des sites des scènes qui durent quinze minutes. Vous pouvez voir de tout, sans dépenser un seul centime. » Peter Preissle n’a pas d’espoir, pas de stratégie de lutte, pas de plan B: son métier va mourir, pense-t-il. Et c’est tout.

Tous ne sont pas aussi pessimistes. Mais personne ne peut nier que les producteurs historiques, au modèle économique basé sur les ventes de DVD et de cassettes vidéos, se sont pris l’explosion des tubes de plein fouet. En dix ans, le chiffre d’affaires de l’industrie pornographique traditionnelle a été divisé par deux, estiment les spécialistes. «L’impact du téléchargement illégal est beaucoup plus fort dans le divertissement pour adultes, qui offre des marges plus réduites que dans le cas d’un film grand public, par exemple, estime Chauntelle Tibbals, sociologue américaine spécialisée dans l’étude du champ pornographique. Depuis 2011, les boîtes de production ferment les unes après les autres.»

Algorithmes redoutables

En France, le studio JTC vient à peine d’être revendu. Son activité sera largement réduite. L’industrie classique se meurt pour une raison simple: au lieu d’acheter ou de louer des DVD, les consommateurs trouvent aujourd’hui leur bonheur gratuitement, sur la Toile.

«Tout le contenu se trouvant sur ces sites est volé », affirme Chauntelle Tibbals. Le droit du copyright datant de plus de dix ans, la loi est bien impuissante à faire condamner les propriétaires de ces plateformes. Pour sauver leurs productions, les grandes maisons n’ont qu’un seul moyen: payer des fortunes à des sociétés spécialisées dans le tracking. Grâce à des algorithmes puissants, elles bombardent quotidiennement les porno-tubes de demandes de retraits de vidéos volées.

Mais une fois celles-ci retirées, elles réapparaissent souvent en ligne quelques heures plus tard… Chez Marc Dorcel, maison de production mythique basée à Paris, 8000 à 10 000 demandes de retrait sont envoyées chaque jour. Un combat qui s’apparente à celui de Sisyphe, le sexe en plus…

«Si vous tapez sur Google le nom d’un de nos films, vous tomberez d’abord sur des tubes qui le proposent illégalement», regrette le vice-président médias de Marc Dorcel, Ghislain Faribeault. Et porter plainte? «Nous l’avons déjà fait, mais les procédures sont longues, et à moins de s’appeler Universal, le dossier n’avance pas. Aucun politique n’est prêt à défendre notre industrie, alors que, comme dans les autres secteurs, c’est l’emploi qui est en jeu.»

Alors que la pornographie a longtemps été à la pointe de l’innovation technologique – pensez au minitel –, les grands groupes ont complètement raté le virage numérique. «Les choses ont évolué tellement rapidement que les industriels n’ont pas su comment réagir, estime Chauntelle Tibbals. Ils ont fermé les yeux.» Ce n’est que depuis quelques années que ceux qui en ont les moyens investissent pour contrer la vague du «tout gratuit», en améliorant leur offre. Le groupe Dorcel mise ainsi sur des contenus de qualité, en proposant des vidéos en haute définition, des services après-vente personnalisés ou des expériences en réalité virtuelle, avec des lunettes à 360 degrés et en 3D.

Chez Dorcel, «le créneau reste le porno chic à histoire et à forte valeur ajoutée, estime Ghislain Faribeault. Le public ne cherche pas de gonzo, tourné en vitesse. Le «porno kleenex» n’est pas ce que nous voulons faire.» Le studio produit encore deux films par mois. Le dernier en date s’appelle La sexologue. En octobre prochain sortira L’héritière, au budget de 150 000 euros. Son tournage a nécessité la location d’hôtels particuliers, de chalets à la montagne et d’hélicoptères.

Mais les films ne suffisent plus à assurer la rentabilité. Comme le dit Ghislain Faribeault, «la survie du groupe ne tient que par le développement de nouvelles activités », comme la vente de sex-toys. Le Français se montre optimiste: le chiffre d’affaires du groupe Marc Dorcel est en augmentation, avec 35 millions d’euros en 2015. Voilà de quoi contredire le producteur zurichois Peter Preissle, résigné à disparaître… 

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