Marie Maurisse
Interview. Pour Stephen des Aulnois, spécialiste de la pornographie en ligne, les sites tels que YouPorn font à l’industrie du X ce qu’Uber a fait au taxi, c’est-à-dire imposer une concurrence radicale à un secteur forcé de se réinventer. Pour le meilleur, mais parfois aussi pour le pire.
Quelle est la catégorie la plus regardée sur YouPorn ?
Contrairement à ce que l’on pense, les vidéos de domination ou de partouzes ne sont pas les plus populaires. La catégorie «amateur» est parmi les plus plébiscitées. Elle comprend des scènes du genre «l’équipe de volleyball sous la douche», «un couple dans l’intimité» ou «19 ans et elle se donne du plaisir». La qualité des vidéos est souvent plus que moyenne dans la mesure où c’est Monsieur Tout-le-Monde qui est censé être derrière la caméra.
Qui sont les «amateurs» qui font ces vidéos? Des couples libertins, des Suisses qui ont envie de filmer leurs ébats?
Pas du tout ! Le public s’imagine que c’est sa voisine ou sa boulangère qui tient à exhiber son corps. Et c’est le but: tout l’intérêt des gens qui font ces vidéos est de faire croire que tout est vrai, que c’est la «fille d’à côté» qui enlève le haut en pleine rue… En réalité, rares sont les personnes qui ont envie de dévoiler leur intimité à une audience aussi large. Donc, toutes ces vidéos sont tournées par des professionnels, réalisateurs, comédiens et comédiennes, qui simulent ces situations banales.
Les sites comme YouPorn ne sont pas les seuls à proposer cela. Jacquie et Michel sont aujourd’hui devenus les rois du «pro-amat», comme on l’appelle, c’est-à-dire du style amateur mais qui ne l’est pas. Avec succès: leur chiffre d’affaires se monte à plusieurs millions.
YouPorn héberge aujourd’hui
363 000 vidéos. Donc, beaucoup sont volées…
Tout va très vite avec internet. Si vous êtes un petit producteur de films pour adultes, votre dernier tournage n’est pas sur votre site depuis une semaine qu’il peut se retrouver déjà sur Xvideos, sans qu’aucun droit d’auteur ne soit payé. Ces pratiques sont illégales, mais une grande partie du contenu des sites de streaming pornos gratuits vient de vidéos volées. L’émergence de ces plateformes a fait perdre à la VOD (vidéo à la demande) porno 75% de sa valeur en dix ans.
Quel impact cette crise a-t-elle eu sur les conditions de travail dans l’industrie pornographique?
L’âge d’or du porno est bel et bien terminé. Aujourd’hui, les cachets des acteurs ne cessent de diminuer, leur statut est plus précaire. Lors des tournages, il faut faire plus de scènes pour moins d’argent. Un des moyens de compenser leur perte de revenus est de faire des shows sur internet, des «cams», sur des sites comme LiveJasmin ou Chaturbate, qui permettent à certaines filles de gagner jusqu’à 100 000 euros par mois. En France, c’est Victoria Alouqua qui est la mieux placée sur Chaturbate.
Comment l’industrie pornographique lutte-t-elle contre ce piratage?
Les gros studios suivent le dicton «Tu t’adaptes ou tu crèves». D’abord, ils paient très cher des entreprises spécialisées dans la recherche de vol de contenu pour faire la guerre aux tubes. Tous les jours, des centaines de personnes surfent pour eux sur YouPorn, repèrent les vidéos chipées et envoient un courrier au site en exigeant leur retrait immédiat. En général, leur vœu est exaucé, mais il est possible que quelques jours plus tard, la vidéo réapparaisse gratuitement… C’est une tâche infinie.
xHamster et PornHub sont devenus plus respectueux ces derniers temps: ils retirent les vidéos volées de leur plateforme dans la mesure où leurs propriétaires deviennent leurs partenaires commerciaux, en payant pour des bannières publicitaires ou en postant gratuitement des clips ou des extraits de films. Les studios n’ont pas vraiment le choix de travailler avec eux. C’est un système de racket: tu bosses avec moi ou tes vidéos seront piratées.
Le même problème s’est posé dans l’industrie cinématographique, notamment, qui a souffert de l’arrivée de YouTube. Mais les firmes se sont battues pour faire respecter leurs droits. Qu’en est-il du porno?
Il faut comprendre que le divertissement pour adultes est totalement ghettoïsé. Impossible, pour les producteurs de porno, de faire du lobbying auprès du Parlement ou des institutions officielles culturelles! Le milieu est isolé, ne bénéficie d’aucune aide et ne parvient pas à se faire entendre afin d’améliorer la législation. Donc, il se prend de plein fouet la concurrence des tubes comme PornHub ou xHamster…
Certaines personnes arrivent-elles à se servir de ces plateformes pour commencer leur carrière ?
Quand quelqu’un pleure, il y a forcément quelqu’un qui sourit. Tout n’est pas négatif dans cette révolution technique, car ces sites ont provoqué une «ubérisation» de la pornographie. Certains producteurs ont disparu, mais ils ne faisaient pas forcément des choses intéressantes. Ça a fait le ménage. Et la qualité n’a pas forcément baissé car, d’un autre côté, il y a plein d’indépendants qui ont pu émerger avec de belles propositions sans avoir aucun contact avec les studios historiques.
Aujourd’hui, on peut tourner avec son téléphone, donc les coûts ont diminué. Des filles seules ou des petits studios font des vidéos et les postent sur ces sites pour se faire connaître, comme Erika Lust, qui propose une approche plus féministe de la pornographie. Ça, c’est une bonne chose.