Valère Gogniat
Ambition. Le mastodonte nippon, qui a fait son nom dans le quartz, entend jouer désormais dans la cour des grands manufacturiers. Le directeur général, descendant du fondateur, expose sa stratégie.
Installé dans un fauteuil confortable au dernier étage de la tour flambant neuve du géant horloger japonais, entouré de ses conseillers en communication, Shinji Hattori insiste: «Notre but principal est d’améliorer la valeur de Seiko.» Une marque perçue bien différemment selon que l’on est dans l’Empire du Soleil levant ou en Occident. Pour preuve, plus de la moitié des Seiko écoulées en Europe et aux Etats-Unis valent environ 400 dollars quand, au Japon, la valeur moyenne de ces pièces est de plus de 1000 dollars.
L’arrière-petit-fils du fondateur de l’entreprise et actuel directeur général file dans son bureau chercher une montre mécanique. «Les journalistes et les collectionneurs connaissent la valeur de cette Grand Seiko, décrète-t-il en brandissant la montre. Mais les clients américains et européens, je ne pense pas. Cela doit changer.»
Aujourd’hui, Seiko fabrique et vend surtout des montres à quartz – elles représenteraient plus des trois quarts des quelque 7 millions de pièces écoulées chaque année. Mais la tendance est en train de s’inverser. Le groupe dispose pour cela d’une force de frappe industrielle qui n’a rien à envier aux maisons installées à la vallée de Joux ou à La Chaux-de-Fonds.
«Nous sommes l’une des rares manufactures complètement intégrées de l’industrie, nous produisons tout de A à Z», souligne Shinji Hattori. Des aiguilles, des cadrans et même des spiraux. Toutes les marques suisses ne peuvent pas en dire autant, ce qui pousse l’héritier à considérer que son groupe fait de l’aussi bon travail que les Suisses. «La qualité est identique. Notre seul problème, c’est notre image», dit-il.
«J’ai, un jour, ouvert une Omega»
Pour y remédier, la société, qui célèbre ses 135 ans cette année, a imaginé une stratégie reposant sur deux piliers. D’abord, la concentration de ses investissements sur cinq collections (Grand Seiko, Astron, Prospex, Presage et Premier, des modèles dont les prix vont de quelques centaines à quelques milliers de francs). «Nous voulons améliorer l’image et les ventes de ces cinq collections», répète Shinji Hattori. Comment? En invitant par exemple journalistes et visiteurs à faire quelques heures de train pour se rendre au Shinshu Watch Studio, au cœur de la préfecture de Nagano.
Un véritable atelier horloger intégré dans un plus grand site industriel où 630 employés fabriquent entre 30 000 et 40 000 montres complètes par mois. Certaines parties des étages supérieurs ressemblent à s’y méprendre à un atelier du Brassus. Tout, du bleuissement des aiguilles à la taille des diamants, est réalisé en interne. Dans le silence, des dizaines d’employés en blouse blanche y conçoivent les pièces mécaniques les plus fines et les plus délicates de la maison. «J’ai, un jour, ouvert une Omega, se souvient Washimi Kuori, horlogère chez Seiko depuis vingt-deux ans: chaque composant était moins beau que ceux que l’on trouve dans nos montres...»
Le groupe japonais est très fier d’exhiber ces savoir-faire et les chargés de communication se montrent un brin moins enthousiastes à l’idée d’aller se promener dans les étages inférieurs. La visite y est pourtant au moins aussi spectaculaire. Dans une gigantesque halle bruyante, sans fenêtres, à laquelle on accède par un sas pressurisé, des dizaines de lignes de production automatiques mitraillent des mouvements horlogers par milliers, vingt-quatre heures par jour. C’est ici le royaume sous-terrain du mouvement horloger japonais. Pour chacune de ces lignes mesurant une quinzaine de mètres de long, on dénombre plus d’une trentaine de robots – l’un fixe la pile, l’autre règle les fuseaux horaires, un autre encore visse tels ou tels composants – supervisés par quelques ouvriers en combinaison de protection.
La plus récente des lignes date d’il y a moins de six mois et ne fabrique que les mouvements à quartz haut de gamme. La plus vieille est aussi âgée que le site industriel (1961) et chasse des mouvements à moins de 1 dollar pièce que l’on retrouvera sur le marché chinois. «Vous êtes le premier journaliste à visiter cet endroit», nous signale notre guide en souriant. En général, Seiko préfère exhiber les étages supérieurs. Plus indiqué, en effet, pour améliorer l’image de la marque.
Le second pilier de la stratégie de Seiko pour monter en gamme repose sur les boutiques. Alors que Seiko dispose de 71 points de vente en propre dans le monde, son objectif est de passer à 100 d’ici à 2018. «A travers l’expérience qu’ils vivent dans nos magasins, nos clients pourront de mieux en mieux comprendre les éléments qui font de Seiko une marque spéciale», vante Shinji Hattori. Faire progresser la quantité, mais aussi la qualité.
Le groupe a ainsi ouvert il y a juste une année sa première boutique premium au cœur du quartier tokyoïte du luxe de Ginza, une copie conforme des traditionnelles échoppes de marques de luxe, avec de petits salons pour accueillir les clients les plus fortunés et des modèles uniques trônant dans des vitrines somptueusement éclairées. Ici, peu de quartz, mais la crème de la crème des modèles mécaniques. On y trouve essentiellement des Grand Seiko, des Credor et des Galante, les trois marques haut de gamme du groupe – le visiteur y est d’ailleurs accueilli par une Credor répétition minutes à 35 millions de yens (environ 340 000 francs), placée sous une vitrine. Probablement assemblée par Yoshifusa Nakazawa sur son petit atelier en bois.
Profil
Seiko
Nombre d’employés: 13 437
Chiffre d’affaires: 296,7 milliards de yens (environ 2,7 milliards de francs) l’an dernier, dont 164,4 milliards dans les montres