Valère Gogniat
Multimarque. Frédérique Constant est la dernière acquisition suisse du fabricant de Tokyo qui, gourmand, continue d’enrichir son offre. Le CEO, Toshio Tokura, s’explique.
L’échec du rachat de la marque genevoise Jean Lassale par Seiko, à la fin des années 1970, a peut-être laissé quelques mauvais souvenirs au Japon comme en Suisse. Mais cela n’a aucunement dissuadé Citizen d’investir dans des marques étrangères. Après Bulova en 2007, la holding chaux-de-fonnière Prothor en 2012 (incluant la manufacture La Joux-Perret), Frédérique Constant et ses marques sœurs, Alpina et DeMonaco, sont passées dans le giron de Citizen en mai de cette année.
«Avec la seule marque Citizen, nous avons compris que nous ne pouvions pas satisfaire tous nos clients», commence Toshio Tokura. Depuis son quartier général historique posé à l’extrême périphérie de Tokyo, le directeur général de Citizen ajoute que c’était même «le plus grand problème de l’entreprise» ces dernières années. «Nous avions l’impression que nous étions limités en termes de marge de manœuvre. Sachant cela, nous avons décidé d’opter pour une stratégie multimarque», entraînant des rachats en série valorisés, au total, à plusieurs centaines de millions de francs.
La suite? Toshio Tokura n’exclut pas de racheter de nouvelles sociétés, mais ce n’est pas sa priorité. Le but de Citizen n’est pas «d’acheter et d’acheter encore juste pour faire gonfler notre chiffre d’affaires et notre profit», explique-t-il. Mais plutôt de provoquer des synergies entre les sociétés qui sont passées dans son giron. Un exemple: ses fameux mouvements Myiota. Avec le réservoir de savoir-faire mécanique constitué désormais à l’intérieur de son groupe, Citizen a acquis les compétences pour réaliser des mouvements mécaniques de manière industrielle.
«Nous y réfléchissons sérieusement car, entre les capacités de Prothor, de Frédérique Constant et de Citizen, nous avons une grande expertise pour créer un nouveau mouvement mécanique», soutient l’homme d’affaires. Est-ce qu’il sera made in Japan ou Swiss made, cela n’a en revanche pas encore été tranché.
Cette stratégie de croissance par acquisitions a suscité l’intérêt de quelques horlogers suisses aujourd’hui en difficulté. Si, à l’époque, c’était un banquier ou un consultant qui allait sonder l’intérêt d’une marque étrangère à investir en Suisse, les choses sont désormais différentes. «Nous recevons directement des coups de téléphone des patrons de certaines marques suisses», souffle-t-on discrètement dans les couloirs de Citizen.
Cela ne s’est toutefois pas passé comme ça avec Frédérique Constant. Peter Stas, actuel directeur général et désormais ex-propriétaire de la marque helvétique domiciliée à Plan-les-Ouates (GE), se rappelle à l’inverse avoir été approché par Citizen et un autre groupe horloger étranger au printemps dernier. Ce Néerlandais d’origine attend du groupe Citizen un accès à une plus grande distribution, à de nouvelles connaissances technologiques et à davantage de possibilités de financement. Mais il est surtout satisfait de rejoindre un groupe où sa marque ne sera pas «une marque parmi douze autres. Chez Citizen, nous aurons vraiment une position unique au niveau du luxe accessible.»
Surtout, il est convenu que la famille Stas conserve la direction opérationnelle durant les prochaines années, ce qui devrait éviter tout choc culturel fatal pour la nouvelle organisation. Une précaution que n’avait pas prise Seiko avec Jean Lassale, ce qui a certainement précipité son échec.
Profil
Citizen
Nombre d’employés: 19 173
Chiffre d’affaires 2015: 348,2 milliards de yens en 2015 (3,2 milliards de francs), dont 181,2 milliards dans les montres