Nina Seddik
Reportage. Rencontre avec Bassam, Yara et Walida, trois jeunes Syriens exilés en Allemagne motivés à percer dans le monde des médias.
Dix minutes avant le début de la présentation, la petite salle de classe de l’Université des arts de Berlin (UdK Berlin) où elle va avoir lieu est déjà bien remplie. Une vingtaine de participants sont sagement assis sur les chaises en bois. Ils se jaugent en silence, personne n’a l’air de se connaître. Une musique d’ambiance détend un peu l’atmosphère tandis que les plus audacieux s’aventurent vers la table des rafraîchissements et petits gâteaux.
Nous attendons tous le discours de bienvenue de la présidente et de la responsable des relations publiques de l’université. Cette allocution marquera le début d’une semaine de séminaires et de visites organisés conjointement par l’UdK Berlin et l’Université du film de Babelsberg, l’une des plus réputées en Allemagne. Le but? Donner une image plus précise du paysage cinématographique allemand à ces nouveaux venus, majoritairement originaires de Syrie. Réalisateurs, scénaristes, journalistes (en herbe ou confirmés), ils ont tous la même envie: s’intégrer sur ce marché très compétitif et faire entendre leur voix.
«Tu vas parler de quoi dans ton article?»
C’est par exemple le cas de Bassam, Syrien d’une trentaine d’années avec qui je discuterai souvent pendant les trois jours passés au sein du petit groupe. «Tu vas parler de quoi dans ton reportage?» Je lui explique que je m’intéresse à ce qui est mis en place pour les aider à s’intégrer et à continuer de travailler dans leur domaine en Allemagne. Et aussi que j’ai envie de comprendre ce qui les anime. «Dans ce cas, je veux bien discuter. J’en ai un peu marre de l’image qu’on donne de nous dans les médias. Ils montrent toujours notre faiblesse, jamais notre force. Des ressources et du talent, on en a!»
Quel est son parcours?«J’ai étudié le management à Damas et puis… tu connais l’histoire. Je suis parti au Liban, où je suis resté quelques mois. J’y ai trouvé un petit boulot d’assistant casting, un peu par hasard. Mais c’est devenu aussi très difficile là-bas, alors je suis allé en Turquie, d’où j’ai pris le bateau pour l’Europe. Et je suis arrivé en Allemagne en novembre 2015, avec mon ami Youssef, qui est chanteur. Depuis, je vis dans un foyer d’accueil dans la région de Berlin. Je veux devenir réalisateur. Pouvoir être libre, dire et montrer ce que je veux. Pas comme en Syrie. Avec mes films, j’aimerais donner une voix à ceux qui n’en ont pas, et aussi faire passer un message positif au sujet des Syriens. Le pathos, ça ne m’intéresse pas.»
En début de semaine, My Escape a été projeté en classe. Un documentaire qui suit des réfugiés syriens, érythréens et afghans dans leur dangereux périple pour rejoindre l’Europe. Périple qu’ils ont filmé à l’aide de leur smartphone. Qu’en a pensé Bassam? «Je n’ai pas du tout aimé. Je n’ai plus envie de voir ces images, ça me rappelle ce que j’ai vécu. Non, franchement, je ne veux plus regarder ça.»
Son regard est devenu brillant, il change de sujet et sort son téléphone portable. «Tu veux voir le clip que j’ai réalisé à Berlin avec Youssef?» La musique est entraînante et ce n’est pas mal réalisé pour une vidéo tournée avec un smartphone. Je suis surtout touchée de voir à quel point Bassam est fier de me la montrer. «Dans ce clip, on parle des difficultés qu’on rencontre ici en Allemagne. Ce n’est pas facile d’arriver dans un nouveau pays, dont on ne connaît ni la langue ni la culture. Parfois, il y a des regards qui me font sentir que je ne suis pas le bienvenu. Et ça ne vient pas forcément des Allemands.»
Yara, elle aussi originaire de Syrie, me confirme, dans un allemand impeccable, les difficultés signalées par Bassam. «Quand on est arrivés ici avec ma famille, ça a été difficile, on a tous déprimé. Nous sommes bien sûr contents d’être en Allemagne, mais c’est tellement différent, on doit tout recommencer de zéro. Et puis les gens sont quand même plus froids, on n’est pas habitués.» La jeune Syrienne de 21 ans, qui n’a de frêle que son apparence, est arrivée à Berlin il y a environ deux ans, après avoir obtenu un visa depuis la Turquie. «J’ai réalisé un court métrage sur la dépression à laquelle sont confrontés certains réfugiés à leur arrivée à Berlin. Le film est muet, parce que je voulais que le silence accentue ce sentiment de mal-être.»
«Je veux montrer la vérité»
Avec une mère issue du milieu politique et un père réalisateur, la jeune femme a rapidement acquis une conscience sociale. «Grâce au cinéma, je veux montrer la vérité. Je veux que mes films soulèvent des débats et poussent les jeunes Syriens à se poser des questions, à se réveiller.» Peut-on voir son court métrage? «Pas encore, je suis en train d’essayer de le monter. Ça me prend pas mal de temps, il me manque beaucoup de matériel. Je te l’enverrai quand il sera terminé.»
En discutant avec ces jeunes déracinés, artistes en devenir, je comprends vite que le manque de moyens et de contacts dans le milieu du cinéma allemand représente une barrière qui leur semble infranchissable. «J’ai terminé d’écrire un script et j’ai besoin de fonds pour commencer le tournage. Comment puis-je obtenir des aides financières?» «J’ai tourné un court métrage et j’aimerais maintenant tenter de le distribuer. A qui dois-je m’adresser?» «J’ai besoin d’avoir accès à certains endroits pour tourner ma fiction, mais on ne m’en donne pas l’autorisation. Comment faire?» Autant de questions qui reviennent régulièrement sur le tapis durant ces quelques jours.
Walida, jeune journaliste de 29 ans originaire de Syrie, est particulièrement intéressée par les débouchés qui existent dans la branche en Allemagne. Durant notre visite de la chaîne de télévision Deutsche Welle, elle me confie: «Je vais commencer un stage de trois mois au sein de la rédaction de Bonn. J’espère qu’ils me garderont, même si je préfère Berlin.» Le courant passe vraiment bien entre la jeune femme et moi, et on rit beaucoup. J’admire son côté positif et la flamme qui l’anime malgré les épreuves qu’elle a vécues. «Je suis arrivée ici il y a un an. Avant ça, j’étais en Turquie, où je m’étais réfugiée et d’où je continuais à travailler comme journaliste.
Mais, lors d’un reportage à la frontière syrienne, on m’a tiré dessus et je n’ai plus pu marcher pendant de nombreux mois.» Elle m’explique également qu’elle est arrivée ici seule et qu’elle a perdu la trace de nombreux membres de sa famille. Son visage a complètement changé d’expression et j’essaie de lui changer les idées en lui demandant si travailler dans le cinéma la tenterait. «On verra, j’ai toujours eu envie d’écrire et de réaliser. Donc, si le stage à Bonn ne débouche pas sur un emploi, je me lancerai peut-être.»
La volonté de s’intégrer
Bassam, Yara, Walida et les autres. Une vingtaine de participants et autant d’histoires à raconter. Il est vraiment touchant de voir à quel point ces jeunes gens, issus de milieux sociaux variés et aux parcours très différents, ont en commun cette rage au ventre. Le cinéma est leur porte-voix et leur exutoire. C’est également une fierté pour eux de montrer qu’ils ont du talent et beaucoup de choses à apporter à leur patrie d’accueil.
Cette fierté, je la vois par exemple lorsque Bassam accepte de poser devant mon objectif. Changement de position face à l’appareil, torse bombé, il affiche clairement sa force et son ambition. Et il me dit: «Je suis fier de ce que tu fais. Tu leur montreras, en Suisse, qu’on n’est pas juste des réfugiés, qu’on sait faire beaucoup de choses et qu’on veut s’intégrer. Tu me promets, hein? Et n’oublie pas de m’envoyer les photos, je ne me trouve pas trop mal dessus.»
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