Jacqueline Pirszel
Reportage. A la découverte des graffitis qui ornent la capitale portugaise. Pour certains, il s’agit de vandalisme, pour d’autres, d’art urbain. Ce qui est certain, c’est que leurs couleurs égaient la grisaille des murs, dont certains sont mis à la disposition des graffeurs par la mairie.
Je n’y connais rien en graffitis. Certains les qualifient d’art urbain, d’autres de vandalisme. Beaucoup les trouvent cools, mais autant les trouvent moches.
Qui ne s’est jamais demandé ce que voulaient dire ces combinaisons de lettres? Les graffeurs sont-ils des voyous? Au fond, pourquoi les graffitis existent-ils?
Lisbonne est une destination très prisée par les artistes et amateurs du monde entier pour sprayer, peindre et orner les murs de cette ville. La capitale portugaise figure d’ailleurs en bonne place sur la carte du street art. Au sein du département du patrimoine culturel de la mairie existe même la Galeria de Arte Urbana, à l’origine de nombreux événements et projets liés à l’art des rues.
J’ai commencé mes recherches en marchant longuement dans les rues de la ville. Par hasard, j’entre dans un magasin de peintures en aérosol. Lorsque j’interroge F., un des vendeurs qui est aussi graffeur, il souhaite garder l’anonymat. «Une fois, j’ai dû payer une amende de 200 euros. Donc, oui, j’ai souvent eu des problèmes avec la police et la justice. Mais maintenant moins… Je sais où graffer. Quand j’étais gamin, je sprayais où je pouvais. Aujourd’hui, je respecte les propriétés privées, je me rends uniquement dans des lieux publics abandonnés, mais ça demeure illégal.» Si les graffitis ne font pas l’unanimité auprès de la population, c’est certainement à cause de la connotation qu’on leur attribue. Pourtant, illégal ne veut pas dire vandalisme.
Tags? Graffitis? Street art? Si les trois modes d’expressions sont illégaux, il importe tout de même de différencier les tags, les graffitis et le street art. Les tags représentent une simple signature dans la rue pour marquer un territoire. Les graffitis expriment plutôt un message écrit ou dessiné. Le street art est, quant à lui, l’évolution des graffitis, en ce sens qu’il regroupe des techniques illimitées, comprenant aujourd’hui graffitis, peinture, sculpture ou l’usage de pochoirs, d’autocollants, voire d’objets qu’on colle pour donner un effet 3D.
Le mur n’est plus une surface, mais un support d’art aux formes multiples. Le street art peut devenir tout à fait légal lorsque les autorités, comme la mairie de Lisbonne, mettent des murs à disposition en vue de les transformer en œuvres d’art.
«Il y a quelque chose d’égoïste dans les graffitis. Ce que je cherche personnellement, c’est tester de nouvelles typographies, carrées ou bulleuses, jusqu’à devenir bon. Tout le monde peut voir le résultat mais, au fond, je graffe pour moi», affirme F.
J’imaginais les graffitis plutôt comme une activité de bandes, mais je comprends bien la démarche personnelle et solitaire de F. La suite de mon exploration à la recherche des plus beaux murs de Lisbonne m’a fait découvrir un univers tantôt engagé, tantôt poétique, avec une grande préoccupation communautaire.
Une palette de couleurs dans la grisaille urbaine
J’ai rendez-vous à l’auberge de jeunesse Destination avec un jeune homme qui exerce comme guide à côté de ses études. Il fait partie des quelques personnes qui proposent un style de visite très particulier: le street art tour. Concrètement, Zé fait découvrir sa ville aux touristes à travers le street art. Je monte dans sa camionnette et, comme nous ne sommes que tous les deux, je m’assieds à l’avant avec lui. «C’est bien, ça fait moins taxi, comme ça», s’amuse-t-il. Avec son style surfeur et ses lunettes noires, Zé semble bien connaître le sujet. «Je connais certains artistes locaux personnellement. J’adore leur parler, je leur pose des questions sur ce qu’ils ont dessiné, et ils me racontent des anecdotes, parfois.»
Direction la vieille ville, où d’étonnantes façades sont commentées par le jeune homme. «La ville de Lisbonne a su rebondir sur l’essor du street art made in Portugal pour redynamiser ses quartiers. Au centre-ville d’abord, puis dans la périphérie, chaque année de nouveaux murs sont sélectionnés pour laisser libre cours à l’expression du street art.»
L’exemple des fresques réalisées par EIME, le Portrait de la poétesse Sophia de Mello Breyner Andresen, et Violant, dont le travail s’intitule L’arbre de la connaissance, font partie d’une série d’œuvres commandées par la Galeria de Arte Urbana. La seule exigence consistait à ce que le thème général demeure celui de la littérature. Le premier travail représente un portrait géant de la célèbre écrivaine nationale, tandis que le second rend hommage à la littérature en général.
Même à l’extérieur du centre-ville, il existe d’autres projets lancés par la même entité. Le lieu est fascinant: «La plupart de mes graffs préférés sont ici, c’est une vraie mine d’or!» s’exclame Zé. Nous nous tenons devant le Blue Wall, un mur de couleur bleue et de plus d’un kilomètre de long derrière lequel s’érige le bâtiment de l’Institut psychiatrique de Lisbonne. Chaque morceau du mur est personnalisé par un artiste qui a dû postuler pour obtenir la permission de peindre.
Nous nous arrêtons devant une œuvre de Smile, qui a reproduit de manière hyperréaliste le portrait, façon fisheye, d’une patiente de l’établissement. «Je crois vraiment que le street art est une réponse colorée au gris oppressant des villes. Un établissement comme celui-ci, ça fout les boules mais, avec ces portraits et ces couleurs, au moins les gens viennent voir les œuvres, ça apporte de la vie!»
Un geste politique
Lors de la demi-journée que j’ai passée en compagnie de Zé, nous avons discuté sur la fresque qui nous avait le plus plu, celle qui avait dû être la plus longue à réaliser ou encore sur combien de litres de peinture avaient été utilisés. En arrivant dans le quartier de la Quinta do Mocho, nos analyses et appréciations ont pris un tour plus sérieux. Sur chaque îlot d’immeubles type HLM figurent une ou deux énormes fresques.
Le soleil nous éblouit chaque fois que nous levons les yeux, mais ce que nous voyons nous interpelle invariablement. Parmi la vingtaine d’œuvres géantes que j’ai aperçues, trois ont retenu mon attention.
La première représente Angela Merkel en train de jouer avec des réfugiés en forme de pions au-dessus d’une pieuvre tueuse géante. La deuxième est l’installation de Bordalo II, un artiste local connu pour assembler et coller des déchets récupérés, leur donnant ainsi une seconde vie. Ici, en prenant de la distance, le vulgaire tas de déchets collés prend une magnifique forme d’oiseau. Enfin, la troisième, plus symbolique que belle, dénonce les quartiers comme celui-ci, bâtis pour loger massivement une population pauvre, sans se soucier du fonctionnement interne.
L’artiste MTO a volontairement peint tout l’immeuble en brun carton avec toutes les inscriptions d’un colis de poste à l’envers, puisque «nous créons des boîtes où vivent des gens, sans se soucier de savoir si tout fonctionne comme il faut à l’intérieur. S’il est sens dessus dessous, on s’en fout.»
Les questions soulevées par ces illustrations sont complexes. Certains murs nous offrent la lecture de choses que personne n’ose dire, d’autres provoquent ou stimulent la réflexion tout en rendant la ville moins terne.
Zé me raconte à quel point la transformation d’un mur aussi haut que ceux-ci peut être difficile. Mais il me raconte aussi cette histoire, qui résume la richesse que dissimulent parfois ces œuvres: «Tu vois la fresque du garçon en train de dessiner sur un mur? C’est l’artiste Adres. Il a peint ce mur avec l’aide des enfants du quartier, et même les figures abstraites proviennent d’un vrai dessin d’enfant.»
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