Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Pasta, pizza and Co.: l’Italie contre-attaque

$
0
0
Mercredi, 7 Septembre, 2016 - 05:52

Interview. Sus aux mauvaises imitations mondialisées, place à l’authenticité conquérante! Tel est le credo d’Oscar Farinetti, fondateur d’Eataly, dont le premier centre suisse est annoncé à Lausanne. Mais peut-on mondialiser la pizza vraie de vraie? «Come no!» explique l’énergique Piémontais.

La chaîne de cuisine italienne la plus répandue du monde est allemande (Vapiano), les géants planétaires de la pizza sont étasuniens (Pizza Hut et Domino’s). La nouvelle récente du débarquement de ces derniers dans la Péninsule a suscité l’émoi: sus à l’envahisseur alimentaire! Pour préserver l’identité du centre historique, la ville de Florence oblige dès cette année tout nouvel établissement à servir 70% de produits toscans.

Oscar Farinetti, lui, ne croit pas à la posture défensive. Il a opté pour la conquête. Les Américains ont mis la main sur le marché mondialisé de la pizza? La faute aux Italiens, qui n’ont pas su le faire. Au boulot!

C’est ainsi que, après Tokyo, New York, Séoul, Moscou ou Paris, Lausanne accueillera, en 2019, le premier centre Eataly en Suisse (lire en page 43). Soit un immense bazar haut de gamme grouillant de produits du terroir transalpin, de minirestaurants et d’ateliers interactifs. Ceux qui ont goûté à l’ambiance maison à Milan ou à Rome sont sortis bluffés par ce mélange inédit de gigantisme et de proximité.

L’authentique tradition transalpine, mais mondialisée: c’est donc le concept développé par Oscar Farinetti, jovial moustachu piémontais dont le sourire bon enfant cache un redoutable sens des affaires et du marketing. De son père, l’industriel, partisan et politicien Paolo Farinetti, Oscar a hérité les supermarchés Unieuro, qu’il a convertis en une chaîne nationale de distribution d’appareils électroniques. Avant de la revendre, en 2002, pour fonder Eataly.

La «chaîne de distribution alimentaire d’excellence» assied en bonne partie sa crédibilité sur son partenariat avec Slow Food, l’association (d’origine piémontaise, elle aussi) à but non lucratif qui excelle dans le parrainage des petits producteurs traditionnels. Eataly compte à ce jour 29 centres de par le monde, emploie 5000 personnes et déclare un chiffre d’affaires d’environ 500 millions d’euros.

Conversation avec son créateur, un pied dans la mondialisation, l’autre dans le terroir.

Il y a quelques jours, la Chambre de commerce italienne diffusait des statistiques concernant les pizzerias dans la Péninsule: à Milan, la moitié d’entre elles appartiennent désormais à des étrangers, pour la plupart égyptiens. Votre commentaire?

Bienvenue aux pizzaïolos égyptiens! En Italie, nous avons aussi les éleveurs de bétail indiens, les vignerons balkaniques… Certaines communautés se sont spécialisées dans tel ou tel domaine jusqu’à atteindre un niveau d’excellence. Les Egyptiens sont très compétents en matière de farines, nous en employons d’ailleurs plusieurs dans les pizzerias et les boulangeries d’Eataly. Ils font du très bon travail et se sont bien adaptés aux traditions culinaires locales. Leur pizza napolitaine est excellente. Le futur de l’humanité, c’est l’intégration harmonieuse des peuples et la circulation des produits.

Et les géants américains de la pizza, vous les accueillez aussi à bras ouverts? L’Italie a été jusqu’ici relativement épargnée par les mastodontes du fast-food. L’arrivée de Pizza Hut et Domino’s Pizza n’est-elle pas inquiétante?

Ajoutez l’arrivée Starbucks, pour compléter le tableau. Mais ne comptez pas sur moi pour diaboliser qui que ce soit. Il n’y a pas de mal à faire du commerce, chacun offre ce qu’il a à offrir. Il faut simplement être conscient qu’entre la pizza fabriquée dans la tradition italienne et sa variante américaine, il y a un abîme. Pour moi, il est clair que les Américains ont massacré la pizza, avec ce mélange insensé d’ingrédients qui brouille tous les goûts. Mais, au bout du compte, c’est au consommateur de choisir. Adopter une posture défensive, c’est la pire des attitudes. Mieux vaut conquérir!

C’est dans cet esprit que vous avez fondé Eataly en 2002?

Je suis parti de ce constat: l’Italie est le pays doté de la plus grande biodiversité et d’une richesse culinaire unique. Sa cuisine est la plus imitée au monde. Et pourtant, parce qu’elle est plutôt une terre de petits entrepreneurs, elle n’a jamais engendré une chaîne susceptible de célébrer, à l’échelle mondiale, les merveilles de sa tradition gustative. C’est ce que fait Eataly.

Les chocolatiers suisses ont conquis le monde en variant la recette du chocolat dans chaque pays, pour s’adapter au goût local. Vous, vous voulez convertir les Américains à la pizza napolitaine authentique!

Effectivement, notre principe, à New York comme à Tokyo, Istanbul ou Munich, est de nous en tenir rigoureusement à la recette traditionnelle. Et je peux vous dire que le public apprécie! Depuis six ans, notre centre sur la Cinquième Avenue ne désemplit pas. Figurez-vous que son bar Lavazza est celui qui vend le plus de cafés par jour à New York. Nous venons d’ouvrir un deuxième site à Manhattan, dans le World Trade Center: là aussi, ça démarre très fort.

Comment arrivez-vous à convain-cre les Américains d’acheter une pizza avec, comme ils disent, «presque rien dessus»?

Vous avez mis le doigt sur la question cruciale: la cuisine italienne est faite de peu d’ingrédients, de très haute qualité, assemblés de manière à ce qu’on sente chaque saveur. C’est une cuisine simple, «but it’s difficult to be simple!» C’est ce que découvre le public américain d’Eataly: il apprend à apprécier le moins. Moins de gras, moins de sauce, moins de viande. Prenez un plat de pâtes. Dans les restaurants de Little Italy, la proportion est de 250 grammes de sauce pour 100 grammes de pâtes.

A Eataly, c’est 70 grammes de sauce pour 90 de pâtes. Passer de l’un à l’autre est une question de culture et d’éducation. C’est dans cet esprit que, dans les centres Eataly, on peut acheter des produits, manger des plats cuisinés, mais aussi apprendre, avec toutes sortes de cours et d’animations. Pour simplifier, on peut dire que, jusqu’ici, il y avait d’un côté les grandes chaînes de junk food et, de l’autre, le marché de niche des bons restaurants pour connaisseurs. Notre ambition est de permettre au plus grand nombre d’accéder à la véritable culture culinaire italienne.

En déboursant tout de même un peu plus que dans une chaîne de fast-food…

Un peu, oui. Pour reprendre l’exemple de la pizza: si l’on veut une pâte levée avec la lenteur voulue (au moins vingt-quatre heures), des tomates San Marzano douces, de la mozzarella fior di latte (avec variante possible au lait de bufflonne), de l’huile extravierge et une cuisson au feu de bois, ça revient plus cher que dans une production industrielle.

Mais n’est-il pas contradictoire de vouloir mondialiser l’authenticité? Concrètement, comment vous y prenez-vous?

Nous sommes une chaîne dans le sens que nos centres partagent des valeurs communes: l’accent mis sur l’alimentation responsable, les produits de saison et une chaîne d’approvisionnement courte. Par ailleurs, chacun a son caractère propre et vend des produits différents. Dans les 18 espaces existant en Italie, 40% des produits sont locaux, 60% proposent le meilleur des autres régions. A l’étranger, les produits italiens de grande excellence représentent 60% de l’offre et ceux du pays 40%.

Par exemple: les farines utilisées à New York pour la fabrication du pain in situ viennent d’exploitations agricoles étasuniennes parrainées par l’association Slow Food, qui est notre partenaire et qui est très présente aux Etats-Unis. De la même manière, la mozzarella «made in Eataly» que nous fabriquons sur la Cinquième Avenue est faite avec du lait local, lui aussi garanti par Slow Food. L’idée, c’est: une matière première locale autant que possible et un savoir-faire 100% italien.

Eataly ne s’en tient pas aux produits transalpins: vous avez déjà ouvert des «hamburgerie» dans neuf villes italiennes. C’est une riposte à l’Oncle Sam? Une provocation?

Mais non, rien de tout ça! L’idée de vendre des hamburgers est venue car, parmi les centres agricoles dont nous sommes partenaires, il y a des élevages de la race bovine Fassona piémontaise, qui offre une viande de très haute qualité. Or, le problème du producteur de viande, c’est d’arriver à vendre toute la bête. Les hamburgers nous permettent d’utiliser l’entier de l’animal, dans une logique d’alimentation responsable.

Quand on se promène entre les rayons des magasins Eataly, on retrouve une scénographie de l’abondance typique des échoppes d’alimentation de la Péninsule. L’art de la mise en vitrine, c’est aussi typiquement italien?

Il me semble qu’il faut y voir plutôt un héritage commun à toute la Méditerranée et à ses formidables marchés. Nous y avons ajouté quelque chose qui manquait en Italie, c’est la narration. Nous ajoutons du discours au produit, nous expliquons ce qui distingue un jambon de Parme d’un San Daniele, une semoule d’une farine, une tomate sicilienne d’une émilienne…

Votre prochain projet?

Ma créativité est soumise à des cycles, j’ai besoin de changer régulièrement. Mes trois fils ont déjà largement entrepris la reprise des affaires d’Eataly. Mon prochain projet s’appelle Green Pea, il s’inscrit également dans la logique de l’économie responsable. J’aimerais, dans le domaine de la mobilité, de l’habillement et de l’habitat, vendre des objets qui marient le sens du devoir à celui du plaisir. 


Eataly dans le monde

Vingt-neuf centres sur trois continents, 33 d’ici à fin 2016. Et bientôt l’ouverture du premier Eataly suisse, à Lausanne.

Paris en 2018, Lausanne en 2019. Situé dans un immeuble 1900 du quartier du Flon, le premier Eataly en Suisse occupera 3500 m2, plus les terrasses extérieures. Il sera baigné de lumière naturelle via une galerie en verre de 15 m de haut, comptera plusieurs restaurants ouverts sept jours sur sept et travaillera, comme les autres centres Eataly dans le monde, en partenariat avec les producteurs et maraîchers locaux.

C’est ce qu’annonce Eataly Suisse, la société créée ad hoc par les frères Jérémy et Benjamin Abittan. Le premier est actif dans l’immobilier, le second dans la gastronomie – il vient d’ouvrir le restaurant Opus B, à Genève. Pour faire place au nouveau venu, la société Mobimo, propriétaire du quartier, a dénoncé le bail d’une huitantaine de locataires, dont plusieurs artistes et artisans historiques. Mobimo s’est engagée à reloger ceux qui font «l’âme du Flon». 

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Michele D’Ottavio / Pho-to.it
Eataly
Eataly
Eataly
Eataly
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles