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Loi sur le renseignement: le choc de deux visions de la sécurité nationale

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Jeudi, 15 Septembre, 2016 - 05:53

Mehdi Atmani

Décodage. Faut-il muscler les moyens d’action du Service de renseignement de la Confédération (SRC)? La LRens soumise à votation le 25 septembre divise, car elle oppose l’impératif sécuritaire dans un contexte de lutte contre le terrorisme au respect des libertés fondamentales.

C’est le premier rendez-vous électoral de Guy Parmelin. Le 25 septembre, les Suisses accepteront-ils d’élargir les moyens d’action du Service de renseignement de la Confédération (SRC)? En cas de oui, les espions suisses pourront mener des opérations de surveillance préventive par l’utilisation d’outils installés, notamment, dans des espaces privés: écoutes téléphoniques, surveillance des réseaux câblés, intrusion dans des réseaux informatiques pour acquérir des informations. La Suisse est-elle en passe de devenir un Etat fouineur? Ou, au contraire, est-il indispensable de remplumer son service de renseignement pour lutter plus efficacement contre les menaces actuelles et futures? Le point sur l’un des grands enjeux des prochaines votations.

Avant Daech, la LRens

Souvenez-vous, c’était en juin 2013. Edward Snowden, l’ex-informaticien de la puissante agence de renseignement américain (NSA), dévoilait à la face du monde l’ampleur du programme de surveillance des Etats-Unis. Indignation et condamnations politiques. Ce qui n’était que la confirmation d’agissements en vigueur depuis toujours a mis sur le devant de la scène la protection de la sphère privée. Entre-temps, la déferlante terroriste de Daech a frappé en Occident. Et désormais, l’impératif sécuritaire prime sur les libertés individuelles.

La Suisse n’a pas attendu la multiplication des attaques terroristes pour repenser sa loi sur le renseignement. La LRens prend sa source en 2009 sous l’ordonnance du Conseil fédéral. Elle a la vocation de remplacer la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI) et la loi fédérale sur le renseignement civil (LFRC). Après la mise en consultation du projet en mars 2013, son approbation en février 2014, le projet de loi est approuvé le 25 septembre 2015 par l’Assemblée fédérale.

«La lutte à armes égales»

Le texte prévoit un arsenal de mesures pour lutter plus efficacement contre «les personnes et les éléments qui mettent en péril la sécurité intérieure et extérieure» du pays, explique Isabelle Graber, porte-parole du SRC. Ces «recherches spéciales» sont contestées par les opposants à la loi (lire ci-après), très peu ouverts à l’idée de confier de tels pouvoirs à un service dont la mission est de collecter des informations confidentielles et dont le procédé est frappé du sceau secret-défense.

Le SRC insiste: il ne procédera pas à une surveillance de masse ni ne bafouera la sphère privée. «Pour se prémunir contre les dangers, la Suisse doit utiliser les mêmes techniques que ses adversaires. Nous devons lutter à armes égales.» Si les Etats-Unis surveillent le citoyen, la Suisse devra-t-elle faire de même? Les opposants à la LRens relèvent la contradiction. «Dans tous les cas, note Alexis Pfefferlé, la Suisse n’a pas les moyens techniques et le budget d’effectuer de la surveillance continue et de masse.»

Des pare-feux à «Big Brother»

Selon l’avocat genevois et spécialiste du renseignement économique, «le SRC a l’un des budgets les plus bas en comparaison aux pays développés. La Suisse dépend donc beaucoup de la coopération étrangère. En dotant le SRC de moyens supplémentaires, nous garantissons une certaine indépendance opérationnelle et stratégique de nos voisins dont l’agenda sécuritaire diverge.» Il rappelle que la loi n’aura pas d’incidences sur les citoyens d’un point de vue légal. «Le SRC fonctionnera en grande partie comme auparavant, mais pourra utiliser des mesures spéciales qui feront l’objet d’un triple contrôle, politique, judiciaire et indépendant.»

Dans la future boîte à outils du SRC, l’exploration du réseau câblé est la mesure de surveillance qui cristallise toutes les critiques. La nouvelle LRens autorisera en effet les services de renseignement à intercepter en continu toutes les communications internationales qui transitent par la Suisse via le réseau câblé. Avec l’aval du Tribunal administratif fédéral et de la Délégation pour la sécurité du Conseil fédéral, le SRC pourra filtrer les courriers électroniques, procéder à des écoutes téléphoniques par internet, et rechercher des informations par catégorie de mots-clés.

Au hasard: djihadisme, islam, finance… «Ces mesures sont assorties de contraintes très sévères et d’un processus d’autorisation judiciaire et politique à plusieurs niveaux», précise encore Isabelle Graber, porte-parole du SRC.

Une autre vision de la sécurité

Le coprésident du Parti pirate bondit. Adversaire de la LRens, Guillaume Saouli dénonce l’absence de vision sécuritaire de la Suisse. «Je suis pour davantage de sécurité et la lutte contre le terrorisme. Mais pour y parvenir, il faut la création d’un vrai centre de compétences en cyberdéfense. Pourquoi confier cette lutte à un service (le SRC) dont les missions sont très vagues, clandestines et dont l’historique montre qu’il est ingérable? Ce n’est ni transparent, ni démocratique et encore moins contrôlable, s’insurge le politicien. Il serait mieux de renforcer les effectifs de la police fédérale, de la doter de vrais outils. C’est de l’inconscience pure de confier un tel mandat au renseignement.»

Des arguments que réfute Isabelle Graber: «Le Service de renseignement et les autorités de poursuite pénale assument diverses tâches qui, parfois, se complètent, mais qui ne se substituent pas les unes aux autres. Les activités d’exploration du SRC ont pour but de savoir si une menace pèse sur le pays ou non – il s’agit donc de prévention. Quant aux enquêtes menées dans le cadre des procédures pénales, elles servent, dans le cas d’infractions, à clarifier les soupçons ou la culpabilité d’un individu – il s’agit ici de répression.»

Mais selon Guillaume Saouli, «la LRens est une manœuvre politique pour justifier une action qui se révèle déjà inefficace. La Confédération donne l’illusion qu’elle lutte contre le terrorisme alors qu’elle n’en aura pas les moyens.» Dans son rapport 2016 sur la politique de sécurité de la Suisse publié en mai dernier (une version actualisée du rapport 2010), Guy Parmelin déléguait une partie de la lutte cybercriminelle à la population et aux entreprises. Trois mois plus tard, le chef du DDPS le trouvait déjà obsolète. «Depuis 2010, la situation internationale s’est détériorée: les menaces sont plus diffuses et imprévisibles», reconnaissait-il dans Le Temps. Mais «nous ne pouvons pas adapter ce rapport tous les quinze jours».

En Europe, le renseignement se muscle

La LRens permettra-t-elle d’accroître le sentiment de sécurité de la population? En Europe, c’est l’argument de plusieurs Etats. La Grande-Bretagne et la France ont promulgué de nouvelles lois controversées pour lutter contre d’éventuelles attaques terroristes. A la suite des attentats de janvier 2015, la France a dévoilé les détails de sa nouvelle loi sur le renseignement. Un projet âprement discuté, car il ouvre la porte à la surveillance de masse. Le gouvernement Valls rassure grâce à la mise en place d’un certain nombre de garde-fous. C’est finalement le 24 juin 2015 que le Parlement l’approuve en catimini.

Cinq mois plus tard, cette loi subit déjà de nombreuses modifications. Les attaques de Paris le 13 novembre 2015 ont changé la donne. Trois jours après les attentats, François Hollande annonce l’application de l’état d’urgence aux évolutions technologiques et aux menaces. Il apporte ainsi des modifications à la loi sur le renseignement. Cette dernière valide le principe de la surveillance massive des communications électroniques avec l’assistance des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d’accès internet. De plus, les moyens de surveillance seront intégralement mis à la disposition du pouvoir judiciaire.

Mais de quels moyens parle-t-on? Les «boîtes noires» par exemple, capables de surveiller l’ensemble du trafic pour y détecter, grâce aux algorithmes, des «signaux faibles» de «menaces terroristes». Mais aussi l’accès direct aux données de connexion internet et la réquisition des données privées stockées sur des serveurs de cloud comme les fichiers, les courriers électroniques et les listes de contacts. Ces outils préventifs n’ont malheureusement pas permis de prévenir les attentats de Nice le 14 juillet dernier.

En Grande-Bretagne, la ministre de l’Intérieur, Theresa May (désormais premier ministre), a elle aussi musclé sa loi sur le renseignement. Déjà épinglé en 2013 dans les révélations d’Edward Snowden, le GCHQ (Government Communications Headquarters) se voit conférer de nouveaux pouvoirs par cette loi baptisée Investigatory Powers Bill. Elle contraint les fournisseurs d’accès à internet de stocker pendant un an l’intégralité de l’historique de navigation de tous les Britanniques. Ce texte autorise la police, et pas seulement les services de renseignement, à pirater les téléphones et les ordinateurs dans le cadre d’enquêtes criminelles. La police pourra accéder à l’historique de navigation des internautes pour mener ses investigations.

Retour en Suisse. Avec la LRens, le conseiller fédéral chargé de la Défense, Guy Parmelin, et le comité en faveur de la LRens espèrent ne pas répéter le scandale RUAG. Au mois de mai dernier, la presse révélait en effet le vol sans précédent des données sur l’armement en mains de la Confédération. Dans ce cas, il aura fallu l’indiscrétion d’une agence de renseignement étrangère pour alerter les autorités suisses sur la présence, depuis le mois de décembre 2014 au moins, d’un maliciel dans les systèmes informatiques de RUAG. La future boîte à outils du SRC permettra-t-elle de rivaliser avec la puissance de frappe des espions étrangers? Certains le croient. D’autres ricanent.

Lire également La chronique de Jacques Pilet: les illusions de la loi.

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Salvatore Di Nolfi / Keystone
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