Zoom. Une boutique dans le Marais, à Paris, ouvre au nom du couturier britannique qui y avait «flingué» sa carrière, il y a cinq ans, à la terrasse d’un café. John, vraiment?
L’éminent New York Times était revenu sur cette affaire qui avait le goût du scandale. Un long papier d’Elaine Sciolino, à l’époque cheffe du bureau parisien du quotidien américain. Un sujet pareil changeait du train-train politique. Sept mois plus tôt, en février 2011, le tabloïd anglais The Sun, autre style, publiait sur son site internet une vidéo montrant le couturier John Galliano, en état d’ivresse, agonissant d’injures antisémites une cliente du café La Perle. On l’entendait déclarer son amour pour Hitler, entre autres saillies autoflingueuses. C’était un jeudi soir à la terrasse de ce bar du Marais, l’un des plus branchés de la capitale, noire de bobos décompressant de leurs projets professionnels en cours.
Le Britannique, directeur artistique métissé anglo-espagnol de Dior, déclinant depuis plusieurs années un look corsaire dont il semblait avoir tout dit, venait de toucher le fond et de perdre son poste. A l’en croire, c’était là son but: «Je suis content d’avoir été licencié par Dior. Si cela n’était pas arrivé, je serais probablement mort aujourd’hui. Chaque année, je devais faire 32 collections: personne ne peut tenir ce rythme», déclarait-il en 2014 dans une émission de Canal+.
La provoc, dont il avait fait son masque, avait fini par sécher telle une vieille peau. Il s’est retapé physiquement et moralement, excusé auprès des juifs dans une synagogue de Londres, ne touche plus ni à la drogue ni à l’alcool, peut compter sur le soutien sans faille de son compagnon, confiait-il à la chaîne française. Un homme sinon neuf, du moins changé.
Signe de gentrification
Voilà qu’aujourd’hui, son nom réapparaît dans le Marais même: une typo chic et nouvelle, d’inspiration anglaise, en lettres d’or majuscules, toutefois un peu canaille, un peu western. On est à la fois chez Harrods et au saloon. Le logo, légèrement tassé, luit dans le bois de la devanture, noire et fumée comme du thé. L’ouverture dans le IVe arrondissement de Paris de la boutique John Galliano, du prêt-à-porter de luxe homme et femme, est prévue pour le jeudi 15 septembre.
C’est d’ores et déjà un événement qui fait parler. «Je trouve ça culotté de sa part, réagit un employé de l’Open, l’un des derniers cafés gays du Marais, pile face à la future boutique. Venir s’installer ici, dans un endroit gay, à deux pas du quartier juif, vu ce qu’il a dit…» Au début de l’année encore, il y avait en lieu et place un coiffeur, «avec waterbike au sous-sol», précise le serveur, une activité sportive qui consiste à pédaler dans l’eau. Le jeune homme n’est pas mécontent de l’arrivée de John Galliano rue des Archives, où se sont récemment installées d’autres marques haut de gamme, comme Givenchy, Fendi et Gucci, gentrifiant à fond un territoire qui a perdu de son côté terre d’accueil pour homos de province.
John Galliano, juste un nom
Le roi déchu de Dior n’est manifestement plus client de La Perle. Il venait y boire son café le matin et des gin tonics en fin d’après-midi, raconte un employé qui tient à rester anonyme. C’était avant la chute, l’esclandre du 24 février 2011. «Ça a été une mauvaise période. On s’est fait traiter d’antisémites, on a reçu des appels anonymes – c’est ici, Marine? –, pourtant, moi, je suis juif», continue notre interlocuteur en rangeant des verres propres sur une étagère. «Il avait besoin d’une désintoxication», conclut-il à propos du British, alors en mode autodestruction.
John Galliano revient? En fait, oui et non. La boutique toute neuve qui ouvre rue des Archives, dans le Marais, et qui s’ajoute à celle de la rue Saint-Honoré, porte son nom, mais ce nom-là n’est plus qu’une marque, dont Dior est resté propriétaire. John Galliano, le vrai, «s’est reconstruit» chez Maison Margiela, une enseigne haute couture. Il en est devenu le directeur artistique en octobre 2014. L’illusion fonctionne.