Analyse. Les constructeurs multiplient les nouveautés électriques en les intégrant à des écosystèmes plus larges, bien sûr digitaux. Présentation au Mondial de l’automobile à Paris.
C’est mal parti. A l’ouverture le 1er octobre du Mondial de l’automobile de Paris, le plus grand salon du genre avec Francfort, plusieurs marques manquaient à l’appel. Ford, Volvo, Mazda, Aston-Martin, Lamborghini ou Bentley ont jugé l’investissement trop lourd. Quitte à dépenser des millions, mieux vaut le faire désormais dans les salons de Shanghai ou de Pékin.
Le moteur diesel, ex-roi du Mondial de l’auto, faisait profil bas, alors même que le groupe PSA (Peugeot-Citroën) est le premier constructeur mondial de ce type de motorisation. Mais le «dieselgate» de Volkswagen, qui a éclaté il y a un an, couvre de plus en plus de suie la confiance du public. Le Mondial se tient dans une métropole qui se fermera bientôt à l’invention de Rudolf Diesel, jugée trop toxique.
La surenchère du «range»
Action-réaction. A commencer par VW, en pleine repentance, les marques ont dévoilé des palanquées de modèles électriques. Surtout les constructeurs allemands, longtemps suspicieux de cette propulsion, mais qui jettent aujourd’hui leurs forces financières et technologiques dans des voitures 100% électriques. «C’est le plus grand changement industriel de notre histoire», affirmait l’autre jour à Paris Herbert Diess, président de la marque VW. Pour lui, la future ID au rayon d’action de 600 km comptera autant pour le colosse de Wolfsburg qu’ont compté avant elle la Coccinelle et la Golf.
Opel lançait de son côté l’Ampera-e, adaptation européenne de la Chevrolet Bolt, capable de parcourir 500 km avec une seule charge. Pas seulement sur le papier. La veille du dévoilement de l’Ampera-e, des techniciens d’Opel étaient partis de Piccadilly Circus pour rallier la porte de Versailles, parcourant 417 km. A l’arrivée à Paris, la petite Opel avait encore 80 km d’autonomie.
«Nous avons passé un seuil critique», se félicitait Carlos Ghosn, président de Renault-Nissan, en présentant une Zoé électrique dont le rayon d’action est désormais de 400 km (300 km en conditions urbaines réelles). L’autonomie restreinte des voitures électriques reste, avec leur coût et le manque de stations de recharge, un frein à l’achat.
Dieter Zetsche, patron de Mercedes-Benz, affirmait que l’EQ, un SUV qui sera commercialisé comme la VW ID dans trois ans, pourra avaler 500 km entre deux recharges. Au salon de Paris, la surenchère du «range» rappelait celle du nombre de chevaux ou de la vitesse de pointe, autrefois.
Nouvelles marques
Le plus intéressant dans cette transition électrique est son intégration dans des écosystèmes numériques. Les constructeurs sont bien sûr attentifs à la grande disruption digitale. Ils ne veulent pas être dépassés sur la voie rapide par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les Tesla, Uber ou Lyft.
Cette crainte se traduit par la création de nouvelles marques. A l’horizon 2025, le groupe Volkswagen rajoutera une 13e enseigne à son catalogue, avec l’intention de devenir le numéro 1 européen de la mobilité durable. Mercedes-Benz lance la marque EQ, pour Electric Intelligence. PSA inaugure Free2Move. Celle-ci regroupera les services de nouvelles mobilités du groupe français, qu’il s’agisse d’autopartage, de connectivité, d’offres de leasing.
Il vaut ici la peine de s’arrêter sur le discours de Dieter Zetsche au Mondial de l’automobile. En général, ce type d’intervention dure quelques minutes. Ici, le panégyrique s’est étendu sur une demi-heure, du jamais vu dans un tel contexte. Dieter Zetsche a commencé par s’adresser aux étudiants qui regardaient la présentation sur Facebook, leur recommandant de suivre son exemple: «Lorsque je suivais ma formation d’ingénieur électricien, on me traitait d’idiot pour ne pas avoir choisi la mécanique. J’ai eu raison en fin de compte. Même si cela a pris quarante ans!»
Pour Dieter Zetsche, la voiture électrique n’est qu’un des quatre piliers de la mobilité du futur. Les autres sont la connectivité, la conduite autonome et le partage. Etre connecté, c’est pouvoir compter sur les autres Mercedes qui circulent dans une ville. Celles-ci scannent en permanence les places de parc disponibles, partageant ces informations entre elles. Etre conduit plutôt que conduire, voire être éconduit par les robots, c’est tirer parti du maillage toujours plus serré des données, capteurs et radars de la voiture, comme ceux des autres véhicules sur la route.
Partager, c’est pouvoir gagner un peu d’argent grâce au P2P, le pair à pair, en louant pour quelques heures ou quelques jours sa voiture stationnée dans un parking de longue durée. C’est pouvoir se faire livrer les colis de l’e-commerce directement dans le coffre de sa voiture.
VW n’imagine pas autrement son futur service de coffre-boîte aux lettres. Un livreur de paquets localisera la voiture par GPS et demandera grâce à une application une autorisation d’accès temporaire au coffre. C’est le nouveau monde de la mobilité, mieux, de la communauté connectée où le smartphone jouera le rôle de carte d’identité (ID) et de centre de commandes.
Alliance à tout va
Les constructeurs automobiles veulent maîtriser ces écosystèmes numériques. Pour des questions de coûts et de compétences, ils sont contraints de nouer des alliances à tout va. La VW ID devrait trouver dès 2020 son premier marché en Chine, où le groupe allemand s’est rapproché de Baidu (moteur de recherche), Alibaba (e-commerce) ou Tencent (services internet). Mercedes-Benz a repris coup sur coup myTaxi et Hailo, des applications pour les commandes de taxis.
Volvo fournira des voitures à Uber, Renault-Nissan vient de conclure un accord avec Microsoft. Autant d’accords entre le vieux monde industriel et le nouveau pour éviter d’être mangé tout cru, batteries comprises.
Mondial de l’automobile, Paris, jusqu’au 16 octobre.