Analyse. Alors que les chercheurs craignent toujours d’être mis à l’écart du réseau européen, plusieurs élus demandent au Conseil fédéral de ne plus tergiverser.
Cette fois, il est urgent d’agir. Sous la Coupole, de plus en plus d’élus enjoignent au Conseil fédéral de ratifier le protocole additionnel sur l’extension de la libre circulation des personnes (LCP) à la Croatie. Cette démarche permettrait d’assurer la pleine association de la Suisse au programme européen de recherche Horizon 2020 en 2017, étant donné que l’UE a lié ces deux dossiers. «Il est temps que le Conseil fédéral fasse preuve de courage», estime ainsi Christian Wasserfallen (PLR/BE).
Chercheurs en première ligne
Dans le domaine scientifique, la relation entre la Suisse et l’UE a longtemps été sans nuage, jusqu’à ce coup de tonnerre du 9 février 2014, jour où le peuple suisse a sonné le glas de la bonne entente en demandant la limitation de l’immigration. Cette votation a provoqué une crise dont les chercheurs ont été les premières victimes. Alors que le Conseil fédéral renonçait à signer le protocole sur la Croatie, Bruxelles suspendait toutes les négociations en cours, dont celles sur la participation à Horizon 2020.
Depuis, la Suisse n’est plus associée pleinement à ce programme européen. Elle vit sous un régime transitoire qui s’achèvera à la fin de cette année, dont elle a déjà subi les premiers effets. Jusqu’en 2015, la Suisse n’a touché que 2,2% des fonds alloués par l’UE, contre 4,2% lors du programme précédent.
Pour les hautes écoles, il s’agit de lever dès que possible l’hypothèque d’un avenir flou. «Plus vite le Conseil fédéral ratifiera ce protocole croate, et mieux ce sera pour quitter le climat d’incertitude qui entoure la place scientifique», relève Martin Vetterli, actuel président du Conseil national de la recherche du Fonds national suisse et futur président de l’EPFL.
Un climat pesant: «Lorsque nous engageons des professeurs étrangers, certains d’entre eux nous demandent si la Suisse sera toujours pleinement intégrée au programme européen de recherche à l’avenir», témoigne la rectrice de l’Université de Fribourg, Astrid Epiney. Pour elle aussi, le Conseil fédéral doit agir sans tarder.
Solution enfin trouvée?
Certes, le secrétaire d’Etat aux migrations, Mario Gattiker, a signé ce fameux protocole additionnel le 4 mars dernier à Bruxelles. Mais en juin, le Parlement a posé une condition pour que le Conseil fédéral puisse le ratifier: qu’une «solution existe» avec l’UE pour mettre en œuvre l’initiative UDC de 2014.
Cette solution, le Conseil national croit l’avoir trouvée en approuvant le 21 septembre une clause unilatérale indolore pour Bruxelles. Il s’agit d’une «préférence indigène light», prévoyant même que le comité mixte Suisse-UE soit consulté avant que le gouvernement n’applique d’éventuelles mesures correctives sur le marché du travail. Dès lors, pourquoi attendre les débats du Conseil des Etats – qui n’achèvera ses travaux que le 16 décembre prochain – pour ratifier ce protocole?
Au Conseil national, plusieurs élus, du PS au PBD, se disent soulagés et confiants après l’adoption de la «préférence indigène light». Pas étonnant qu’ils désirent désormais transformer l’essai. «Notre place scientifique a déjà assez souffert, en termes de financement comme d’attractivité.
Pour bien fonctionner, la recherche a besoin de prévisibilité, au moins à moyen terme», souligne Fathi Derder (PLR/VD), membre de la Commission de la science, de l’éducation et de la culture. Même son de cloche chez Jacques-André Maire (PS/NE): «Plus le temps passe, plus nous mettons en danger notre position dans le réseau européen de la recherche.»
Agir pour éviter le scénario catastrophe
Au Conseil des Etats, on se montre plus réticent, tout simplement parce que la chambre haute ne fait qu’entamer ses travaux sur la mise en œuvre de l’initiative de l’UDC et qu’elle aimerait aussi être écoutée. «Je comprends ceux qui font pression pour ratifier ce protocole croate tout de suite, mais je ne pourrais pas encore donner mon feu vert», déclare ainsi Hans Stöckli (PS/BE).
Avec Andrea Caroni (PLR/AR), il fait partie d’un groupe de juristes estimant qu’il faut rendre la mise en œuvre de la clause unilatérale sur la LCP plus conforme à la Constitution, ne serait-ce que pour apaiser l’UDC, dont l’opinion est connue: «La solution de la «préférence indigène light» est une violation de la Constitution», répète son président, Albert Rösti.
Il y a fort à parier que le Conseil fédéral attendra la fin des travaux du Conseil des Etats avant d’agir. On le sait déchiré à ce sujet. D’un côté, la cheffe de Justice et police, Simonetta Sommaruga, qui s’enferme dans un juridisme à outrance. De l’autre, le ministre de la Recherche, Johann Schneider-Ammann, qui souhaite foncer. En attendant, son Secrétariat d’Etat (SEFRI) est bien obligé de préparer discrètement un plan B, celui d’une Suisse réduite au statut d’Etat tiers dans Horizon 2020. C’est ce scénario catastrophe qu’il faut éviter à tout prix.