Richard Werly
Sélection. Il y a les passages obligés. Et les haltes plus secrètes. Visite guidée dans le Bordeaux de «L’Hebdo».
Difficile d’échapper, pour le visiteur helvétique,à la visite classique du Bordeaux des Chartrons. Mieux vaut, par conséquent, commencer par là, en empruntant le tramway au départ de la gare Saint-Jean. Première halte sur la ligne C, en direction des Quinconces: Saint-Michel et sa traditionnelle foire aux puces dominicale, sur la place Canteloup et Meynard, à l’ombre de la basilique.
L’occasion, en quelques clichés pris à la va-vite, de découvrir par soi-même, à l’angle de la rue des Faures et de la rue Maubec, l’étendue des travaux de ravalement entrepris ces vingt dernières années.
Les façades noires côtoient celles que leurs propriétaires, ou la municipalité, ont sablées et décrassées. L’occasion de relire au passage Après la guerre (Ed. Rivages), l’un des meilleurs romans policiers d’Hervé Le Corre, auteur natif du Bacalan. Le Bordeaux des années 50, déchiré entre les fantômes de l’occupation allemande et ceux de la guerre d’Algérie.
Un Bordeaux populaire difficile à imaginer aujourd’hui, alors que les vitrines des estaminets d’antan sont rénovées les unes après les autres. «La ville avait un côté vieille pute sur le retour, sale mais émouvante, explique l’écrivain dans Bordeaux (Ed. Nevicata). Elle est désormais ravalée. Mais quand on regarde la propreté, il faut aussi aller regarder sous les jupes.»
De la Bourse à la Garonne
La seconde étape est obligatoire, puisqu’il s’agit de la place de la Bourse. C’est là que la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Bordeaux met ses salons à la disposition du consul honoraire de Suisse – et de tous ses homologues – lorsqu’il accueille des délégations officielles. Premiers pas le long de la Garonne, après avoir longé le miroir d’eau réalisé par le fontainier Jean-Max Llorca et l’architecte Pierre Gangnet.
Le moment est venu pour un rapide cours d’histoire bordelaise. 1681: l’ingénieur Duplessy lance, sous le règne de Louis XIV, l’idée d’une façade ouverte sur le port pour remplacer l’ancien rempart. Le projet, qui a avorté, est finalement réalisé à partir de 1750. Il démarre à la hauteur de l’actuelle porte de Bourgogne, jusqu’aux Quinconces.
Ce gigantesque ruban de pierre, de ferronneries et de boiseries s’étend sur 1,2 kilomètre de longueur. Il porte la marque du grand intendant Louis-Urbain Aubert de Tourny, dont deux allées arborent toujours le nom, près du Grand Théâtre. Son œuvre de transformation urbaine inspira, un siècle plus tard, en 1850, le futur modernisateur de Paris, le baron Haussmann, jeune préfet de la Gironde.
Le long de Sainte-Catherine
Les guides historiques sont remplis d’anecdotes, de détails et de conseils. Les numéros spéciaux de la revue Le Festin, comme son «Bordeaux en 101 sites et monuments», sont des compagnons précieux. Place à la déambulation le long de la rue Sainte-Catherine, la grande artère commerçante de la ville, cordon ombilical entre son centre historique aristocratique et les ex-faubourgs populaires de Saint-Michel. Une halte à la librairie Mollat, rue Vital-Carles, est hautement conseillée. Non loin, la place Gambetta est en attente d’être réinventée.
La circulation y sera bientôt à sens unique. Nouveau périmètre d’où les voitures seront bannies, ou du moins domptées. Un Bordeaux piétonnier aux antipodes du Bordeaux des années 70, truffé de parkings, y compris sur le toit des entrepôts portuaires détruits au milieu des années 90, et déménagé en aval.
Il faut prendre la navette fluviale en direction de Lormont-Bas, passer sous le pont Chaban-Delmas, puis continuer vers l’estuaire pour retrouver, amarrée, la silhouette désossée, rouillée, agonisante du croiseur militaire français Colbert. En 1967, le général de Gaulle embarqua à Brest sur le Colbert pour se rendre à Montréal et y prononcer son fameux «Vive le Québec libre!».
Le Bordeaux portuaire respire la nostalgie. C’est sur les bords de la Garonne, non loin du pont suspendu d’Aquitaine aux allures de Golden Gate, que les navires envoyés à la casse sont désamiantés. Ultime facette d’une vocation portuaire désormais bien fanée.
En arrière toute. L’Hirondelle ou la Gondole, les deux catamarans utilisés comme navettes fluviales, stoppe au milieu du fleuve pour vous laisser entrevoir le superbe stade Matmut Atlantique, inauguré en mai 2015. Plus qu’une enceinte sportive, une arène des temps modernes, entourée de fins poteaux. Les visiteurs suisses apprécieront les éloges: ses concepteurs ne sont autres que les architectes helvétiques «stars» de Bâle, Herzog et de Meuron; 42 000 places.
Un budget de 300 millions d’euros. Un stade multimodal capable d’accueillir rencontres sportives et concerts. La patte Herzog et de Meuron colle bien avec le style épuré et volontaire des années Juppé. Un maire, dit-on, très impressionné par les deux autres stades construits par le duo: l’Allianz Arena de Munich et le stade-nid des Jeux olympiques de Pékin.
Reparti en direction du centre-ville, le BatCub – le surnom local de la navette – laisse désormais sur votre gauche la silhouette de verre et d’acier de la Cité du Vin. Les gastronomes peuvent prendre date: le restaurant panoramique de son dernier étage, exploité par le Bordelais Nicolas Lascombes (propriétaire de l’Hôtel de la Plage, au Cap-Ferret), mérite le détour pour la vue et les plats.
Vingt minutes de navigation plus tard sur les eaux de la Garonne, descente imposée au ponton des chantiers maritimes Nicolas. Direction? L’ancienne caserne Niel, devenue l’espace culturel et social Darwin.
Une belle opération de transformation de ces cantonnements militaires désertés par une PME locale, Innovation. Salle de spectacles. Librairie. Magasin d’alimentation bio. Garage à vélos. Skatepark. Darwin, avec son public métissé, est le poumon du Bordeaux alternatif que le maire «droit dans ses bottes», Alain Juppé, a laissé germer, même s’il lui ressemble fort peu. L’édile, d’ailleurs, aime s’y rendre pour des débats ou des forums «participatifs» à l’issue desquels il répond, dans une économie polie de mots, aux multiples demandes de selfies de ses administrés.
Tout autour, les opérations immobilières de la ZAC Bastide sont le périmètre d’action de Pascal Gerasimo, responsable de l’agence Bordeaux Métropole chargée de réinventer les quartiers périphériques. A charge, pour ce haut fonctionnaire, de repenser cette rive droite jadis sauvage et de mauvaise réputation. Son autre chantier prioritaire est le quartier Euratlantique, dans le prolongement de la gare Saint-Jean et du pont ferroviaire. La plupart des immeubles sont déjà sortis de terre.
Mais, de ce côté-ci du fleuve, il faut surtout prendre son temps. Le métissage du nouveau Bordeaux prend place sous vos yeux. Couples d’immigrés. Femmes voilées. Joggeurs aux écouteurs rivés dans les oreilles. Bourgeois nantis venus faire du bateau, jerricane d’essence au bras pour faire ronfler le moteur de leurs embarcations amarrées au ponton du cercle nautique. Darwin est à Bordeaux ce qu’une jeune maîtresse est au négociant patricien: une distraction amoureuse susceptible, toujours, d’accoucher d’une passion et d’enfants indiscutablement illégitimes.
Retour sur la rive gauche
On ne goûte pas Bordeaux sans passer, à pied, le pont de pierre voulu, conçu, imposé par Napoléon. 1805: l’empereur des Français règne alors sur l’Europe. Il croit encore que ses armées et les amiraux de la «Royal» feront, par la grâce du blocus maritime, plier cette Angleterre qui lui résiste. Bordeaux est une proie. La ville aime trop le commerce avec les Britanniques pour être digne de confiance. Il faut la maîtriser, la menotter, la tenir. Un pont reliera les deux rives, et il comportera 17 arches, comme les 17 lettres de «Napoléon Bonaparte».
Des caissons étanches sont construits autour de chaque pilier, une formidable innovation pour l’époque. Mais l’architecture n’est pas un champ de bataille. La pierre, les éléments, les briques sont moins faciles à dompter que les hommes. Il faudra attendre le 25 août 1821 pour que le pont de pierre soit finalement inauguré. La restauration concède néanmoins une référence à l’empire déchu: au-dessus de chacune des piles figure une couronne de lauriers sculptée.
Retour à l’histoire pour conclure cette balade. L’histoire tragique de la Seconde Guerre mondiale. Au pied de la Cité du Vin, le quartier des bassins à flot, nouvel horizon urbain, a remplacé à coups de bâtiments aux couleurs acidulées la grisaille populaire et les cités du Bacalan. Mais un vestige subsiste. Terrifiant. Angoissant. Impressionnant. La base sous-marine construite par les Allemands pour abriter leurs U-Boote et les sous-marins italiens demeure posée là, sur les quais. Derrière, des blockhaus épars. Et l’énorme citerne de la base, elle aussi ceinturée de béton.
On pense à Tchernobyl et à son sarcophage de ciment. Les plans ne manquent pas pour réhabiliter la base. A côté, les anciens silos maritimes devraient être percés de fenêtres et transformés en logements. Le soleil se couche sur les bassins à flot où un hôtel de luxe du groupe Radisson verra bientôt le jour. Dans quelques mois, les dizaines de milliers de visiteurs du prochain Vinexpo, en juin 2017, pourront s’ébrouer ici, sur les rivages ravalés du passé. Et, peut-être, y croiser le «président» Juppé.
Coup de coeur La Cave d’Antoine, un amoureux du vin
La Cave d’Antoinese trouve non loin de la gare Saint-Jean. On y trouve des vins de France et d’ailleurs issus de l’agriculture biologique. On y découvre surtout les histoires des vignerons et des vigneronnes qu’Antoine a rencontrés et dont il vend les flacons. Pour la plupart, ce sont des petits domaines à découvrir, qui ont des vins à des prix abordables.
La Cave d’Antoine,
26, rue Furtado, 33800 Bordeaux.
Téléphone: 09 50 52 63 58
http://www.lacavedantoine.eu