Richard Werly
Interview. Héritière désignée d’Alain Juppé pour lui succéder à la mairie de Bordeaux, Virginie Calmels, 45 ans, est l’une des figures les plus en vue de la politique locale. Elue régionale depuis décembre 2015, cette cheffe d’entreprise venue du secteur privé incarne le dynamisme économique de la belle endormie.
Elle débarque en souriant au restaurant Le Noailles, à quelques pas du Grand Théâtre. Juste avant, Virginie Calmels inaugurait un salon du logement neuf. L’entrée en matière est directe, fidèle à l’image de cette cheffe d’entreprise quadragénaire, née à Bordeaux et passée notamment par la direction du groupe audiovisuel Endemol, spécialisé dans la téléréalité.
«Quel intérêt portent les Suisses à l’Aquitaine?» «Comment peut-on attirer davantage les touristes et les investisseurs helvétiques?» Les questions fusent pour le journaliste de L’Hebdo, contraint de répondre au lieu d’interroger. Le Bordeaux de Virginie Calmels, on le comprend vite, affiche une belle ambition économique et démographique. Pari tenable? L’intéressée nous a répondu longuement. Avant de partir animer, aux côtés de l’épouse du maire, Isabelle, une réunion des femmes bordelaises pour Juppé…
Bordeaux n’est donc plus cette belle endormie d’antan. Pour vous qui avez grandi ici jusqu’à l’âge de 10 ans, qu’est-ce que cela signifie?
Le grand changement se résume en un mot: attractivité. Cette ville a toujours été belle. C’est un écrin architectural. Mais elle est aujourd’hui attractive y compris pour des créateurs parisiens qui, d’ordinaire, n’imaginent pas quitter la capitale. Tel est le résultat des vingt années de Bordeaux-Juppé. Les études sont éloquentes. Les enquêtes d’opinion aussi. Pour sa dimension entrepreneuriale, positive, dynamique, Bordeaux est en tête des villes françaises. La transformation de la métropole est profondément un acte économique.
Vu de Suisse, l’ouverture de la ligne ferroviaire à grande vitesse qui mettra Bordeaux à deux heures de Paris en juillet 2017 ne fait pas une énorme différence. Cette heure de trajet en moins est-elle si importante?
Elle l’est à tous les points de vue. Descendre à la gare Saint-Jean deux heures après avoir embarqué gare Montparnasse, ce n’est pas seulement un gain de temps. C’est une nouvelle donne pour une métropole qui pourra ainsi accueillir de nouvelles populations et confirmer sa vocation de grand pôle de développement atlantique de la France.
La LGV est aussi un formidable instrument de développement local. Connaissez-vous une autre métropole française dotée d’une marque internationale aussi forte, et qui sera demain aussi proche de Paris? Bordeaux, avec cette LGV, se retrouvera promue en ligue 1 des métropoles européennes. Aux côtés de Barcelone, de Lyon ou d’Amsterdam…
Avec les risques que cela comporte, du point de vue du déferlement touristique et des nuisances. Notamment si l’on pense à Barcelone…
Nous n’en sommes pas encore là. Notre objectif, maintenant, est au contraire d’utiliser au mieux la possibilité de la LGV pour promouvoir l’ensemble du territoire bordelais, et pas seulement la ville. Le Bordeaux d’aujourd’hui n’est plus seulement synonyme de Chartrons. Il rime avec l’aéronautique de défense, avec la recherche dans le domaine de la santé, avec le secteur numérique. Le Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux était en tête du récent classement du magazine Le Point.
L’aéroport de Mérignac est l’un des plus dynamiques de France. Le raccordement de l’ensemble de la communauté urbaine au haut débit, grâce à la fibre optique, sera achevé en 2017. Nous recevons régulièrement des missions d’hommes d’affaires européens, américains, japonais, chinois.
Or, que constatent-ils? Que l’attractivité de Bordeaux ne tient pas en quelques chiffres. Elle réside dans la qualité de vie que la ville est en mesure d’offrir. Quand vous êtes Bordeaux, que vous portez une marque de vin connue dans le monde entier, c’est sur cette qualité de vie que vous êtes jugé.
Alain Juppé est, on le sait, candidat à la présidence de la République. Vous êtes naturellement l’un de ses plus fervents soutiens. En quoi le succès de Bordeaux peut-il être répliqué au niveau national?
Lors de ma campagne pour les élections régionales (tête de liste de la droite et du centre dans la nouvelle région Aquitaine, Virginie Calmels a été battue en décembre, au second tour, par le socialiste sortant, Alain Rousset, ndlr), un journaliste m’avait surnommé la Dame de faire, et j’ai aimé cette expression. D’abord parce qu’elle me correspond, je crois. Mais aussi parce qu’elle incarne bien les priorités d’Alain Juppé, depuis sa première élection à la mairie, en 1995.
Sa force est d’avoir été dans l’action concrète, d’échapper aux bulles de communication, de tenir ses engagements. Je ne crois pas beaucoup, pour ma part, à l’effet Juppé président en matière d’attractivité. Il en faut beaucoup plus à des familles, à des décideurs, à des créateurs pour choisir de s’installer ici. Les Bordelais savent bien, en revanche, ce qu’Alain Juppé leur a apporté. Il a su donner les impulsions urbaines indispensables, puis tenir bon malgré les pressions.
Qui aurait imaginé, il y a vingt ans, un centre historique de Bordeaux quasiment débarrassé de ses voitures, comme c’est le cas actuellement? La force de Juppé est sa puissance d’action. Cela a valu pour Bordeaux. Cela vaudra demain pour la France s’il est élu.
Vous venez du secteur privé. Vous avez été adoubée par le maire. Est-ce suffisant pour convaincre et lui succéder?
Je suis née à Bordeaux. Ma sœur y habite. J’ai été, gamine, scolarisée à l’école du Bon Pasteur. Mes attaches familiales et personnelles sont ici. Quand Alain Juppé m’a proposé de le rejoindre, en 2013, alors que j’occupais les fonctions de présidente du conseil de surveillance d’Eurodisney, cela m’a paru cohérent. J’étais en train de mettre sur pied, à l’époque, un fonds d’investissement doté de plusieurs centaines de millions d’euros.
Plusieurs de mes amis les plus proches, à cette époque, avaient brusquement quitté la France pour s’installer à l’étranger, pression fiscale oblige. Je venais de voir partir l’un de mes meilleurs amis à Genève! Pourquoi ai-je fait ce choix? Parce que j’aime la politique et parce que j’aime Bordeaux. Je n’ai jamais été encartée. Je ne suis pas une militante. Ce qui tombe bien, car la politique locale ne s’enferme pas dans un parti.
Je suis d’ailleurs bien consciente des écueils: la ville de Bordeaux a élu Juppé maire, mais il y a été battu lors de la dernière législative (contre Michèle Delaunay, candidate socialiste, arrivée avec 600 voix d’avance, ndlr). La bourgeoise Bordeaux, contrairement à ce que l’on peut croire, n’est pas une ville acquise à la droite. J’en suis consciente.
Vous avez l’image d’une patronne de la téléréalité. Un monde de paillettes et d’apparence aux antipodes de Bordeaux?
Les Bordelais, je l’espère, me voient surtout comme une cheffe d’entreprise. Et mon parcours démontre, je crois, que je n’ai pas de plan de carrière. C’est aussi ça, Bordeaux. Une ville-coup de cœur qui peut, presque du jour au lendemain, vous faire changer de cap et d’horizon.
PROFIL
Viriginie Calmels
1971 Naissance à Talence, près de Bordeaux.
1994 Diplôme de l’Ecole supérieure de commerce de Toulouse.
1998 Directrice financière de Numericable.
2000 Directrice financière de Canal+ international.
2003 Directrice générale du groupe Endemol.
2011 Présidente du conseil de surveillance d’Eurodisney.
Mars 2014 Elue à Bordeaux sur la liste Juppé, nommée première adjointe.