Richard Werly
Eclairage. Favori des sondages pour la présidentielle française de 2017, le maire de Bordeaux est reconnu comme un visionnaire ouvert. Mais, comme celui de ses prédécesseurs, son parcours présente un côté plus sombre.
Chaque maire de Bordeaux traîne derrière lui sa légende noire. Même si l’histoire, les époques et les personnages ne sont bien sûr pas comparables.
Adrien Marquet, élu sans interruption à la tête de sa ville natale de 1925 à 1944, est de très loin le plus sulfureux. D’abord socialiste, fasciné par le fascisme et ses méthodes autoritaires dès 1933, puis nommé ministre du Travail en 1934-1935, ce chirurgien-dentiste de profession sombre lors de la guerre. Après avoir voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain en juillet 1940, il est nommé quelques mois ministre de l’Intérieur du gouvernement de Vichy.
En 1942, «son» hôtel de ville de Bordeaux accueille l’exposition antisémite Le Juif et la France, tandis que le secrétaire général de la préfecture de la Gironde n’est autre que… Maurice Papon (condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité). Arrêté le 29 août 1944, puis condamné par la Haute Cour de justice à dix ans d’indignité nationale, Adrien Marquet mourra en février 1955 après avoir, deux ans plus tôt, tenté de retrouver son fauteuil de maire et obtenu 29% des voix.
Le gaulliste Jacques Chaban-Delmas, élu sans interruption de 1947 à 1995, incarne à la fois le Bordeaux de l’après-guerre soucieux de retrouver son honorabilité perdue et l’immobilité d’une ville qu’il administre plus comme un fief que comme une métropole moderne. A Paris, Chaban-Delmas représente la nouvelle société et une volonté de réforme sociale qui lui vaut de devenir premier ministre en 1969, puis d’être candidat à l’élection présidentielle de 1974. Double échec.
C’est alors que commence, pour Bordeaux, une fin de règne difficile, marquée par les excès budgétaires, les affaires politico-sportives du club de foot des Girondins, et les dépenses fastueuses de l’orchestre philharmonique de la ville. La santé du maire allant de mal en pis, son dernier mandat (1990) est celui de trop, mais la bourgeoisie bordelaise fait bloc autour de lui. A son départ, le projet de métro tient la corde face au tramway, qu’imposera Alain Juppé.
Un homme déroutant
L’actuel maire, énarque bardé de diplômes, a aussi sa légende. Si sa réussite municipale est reconnue par tous, y compris par ses opposants de gauche avec lesquels il a su tisser des liens au sein de la communauté urbaine et de la région, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac (1995-1997) déroute par son côté caractériel, et s’est retrouvé fragilisé par sa condamnation, en 2004, à un an d’inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris.
Parti enseigner au Québec, remplacé par son premier adjoint Hugues Martin, il retrouve son siège lors d’une élection municipale anticipée le 8 octobre 2006. Un parcours réussi au niveau urbanistique, mais pas toujours facile sur le plan politique.
Fidèle à son image d’élu «droit dans ses bottes», Alain Juppé garde aujourd’hui l’image d’un maire respecté, mais froid, distant, voire cassant. «Il n’est pas un encaisseur. Il n’aime guère la contradiction», note dans son livre Juppé de Bordeaux le journaliste Bernard Broustet.
Quant à son opposante Michèle Delaunay, victorieuse face à lui aux législatives de 2007, son jugement est encore plus tranchant: «Alain Juppé présente toujours ceux qui lui font face comme des agresseurs, déplorait-elle récemment à la radio. Il ne fait jamais un compliment. Il ne dit jamais rien d’agréable.»
Conclusion de Bernard Broustet: «Même s’il est moins raide et cassant que naguère, cet homme programmé pour être président ne brille toujours pas par sa patience. Et on ne saurait le qualifier d’extraverti.»