Etats-unis.Plus forte et mieux organisée que jamais, la mouvance populiste du Tea Party livrera une guerre sans merci aux républicains mesurés lors des élections de 2014. Le vainqueur de ce combat fratricide sera en pole position pour la présidentielle de 2016.
Sur sa vidéo de campagne, on le voit conduire un tracteur, déambuler en habits militaires et jouer avec ses neuf enfants. «J’ai grandi dans une ferme: il y avait une seule salle de bain pour six enfants, pas de douche ni de chauffage central, dit-il en regardant droit dans la caméra. Plus tard, je me suis engagé dans l’armée, j’ai vécu le rêve américain.»
Matt Bevin a juste ce qu’il faut d’authenticité pour séduire la base du Tea Party. L’homme d’affaires du Kentucky, qui dirige une entreprise de sonnettes, se présente au Sénat en 2014. Ce novice en politique espère ravir la place de Mitch McConnell, le chef de la minorité républicaine dans la Chambre haute et l’un des politiciens les plus puissants de Washington, où il officie depuis 1984.
Ce combat fratricide se répétera presque à l’identique dans une dizaine d’Etats en amont des élections parlementaires de novembre 2014. Le Parti républicain n’a jamais été aussi divisé, tiraillé entre une aile pragmatique et affairiste et la mouvance populiste, libertaire et antigouvernement du Tea Party qui a fait irruption sur la scène politique en 2009. «A l’issue du scrutin, l’équilibre entre la droite et la gauche ne devrait pas avoir beaucoup changé, estime Christopher Parker, professeur de sciences politiques à l’Université de Washington, qui vient de publier un ouvrage sur ce mouvement. En revanche, la faction du Tea Party aura encore pris l’ascendant sur celle de l’establishment républicain.»
Des politiciens expérimentés. C’est que le courant ultraconservateur, qui est passé de 350 000 à 600 000 membres ces trois dernières années, a effectué une importante mue. «Depuis 2010, il a occupé le champ local, cherchant à faire interdire l’avortement en Virginie ou à durcir les lois sur l’immigration de l’Alabama», indique Christopher Parker. Aucune cause n’était trop insignifiante: Americans for Prosperity, un groupe lié au Tea Party, a fait campagne contre la hausse d’un impôt sur la nourriture à Fremont, une ville de 26 000 habitants dans le Nebraska. «Nous ne sommes plus seulement de sympathiques empêcheurs de tourner en rond munis de leur seule passion, détaille Drew Ryun, le directeur du Madison Project, une organisation affiliée au Tea Party. Nous avons appris à mener – et à gagner – une campagne.» Ces efforts ont fait émerger une cohorte de politiciens expérimentés, à même de remporter une élection sur le plan national.
La galaxie décentralisée du Tea Party, composée de plusieurs milliers de groupuscules, a également été réorganisée. «Il y a désormais une division des tâches claires: Club for Growth lève des fonds, alors que Heritage Action définit le cadre idéologique», relève Christopher Parker. Americans for Prosperity se charge pour sa part de coordonner les militants sur le terrain, alors que le Senate Conservatives Fund soutient les candidats du Tea Party dans une série de batailles clés. Traditionnellement composé de Blancs d’âge mûr, le mouvement a aussi créé des organisations pour cibler les jeunes, comme Generation Opportunity, ou les Latinos, comme Libre Initiative.
Et l’argent coule à flots. «Le Tea Party reçoit beaucoup de petites donations – de moins de 200 dollars – de la part d’individus ou de PME, précise Sarah Bryner, du Center for Responsive Politics, une ONG qui traque les fonds investis durant les élections. Mais il touche aussi des sommes plus importantes de la part de milliardaires, comme les frères Koch.» En 2012, ces deux industriels lui ont fourni 122 millions de dollars en leur nom propre et 236 millions de dollars par le biais de Freedom Partners, un organisme qui leur est lié.
Contre-offensive. L’establishment républicain a commencé à préparer la contre-offensive. La fermeture du gouvernement durant deux semaines cet automne – orchestrée par le trublion texan du Tea Party Ted Cruz – a agi comme un électrochoc auprès de la direction du parti. Les organisations qui gravitent autour d’elle, comme la Chambre américaine de commerce, l’Association des banquiers américains ou l’Association nationale des grands distributeurs, ont commencé à injecter de l’agent dans les primaires. Dans l’Idaho, elles soutiennent l’avocat Dave Trott, qui est en compétition avec Kerry Bentivolio, un éleveur de rennes qui accuse George W. Bush d’avoir organisé les attentats du 11 septembre 2001.
American Crossroads, l’organisation du stratège républicain Karl Rove, vient en outre de créer The Conservative Victory Project, une plateforme destinée à examiner tous les candidats pour évincer les prétendants les plus extrêmes. «En 2010 et 2012, nous avons perdu quatre à sept sièges au Sénat car nous avons présenté des gens indisciplinés, avec des casseroles, ou tout simplement mauvais», détaille Jonathan Collegio, son porte-parole. Il cite l’exemple de Christine O’Donnell, une égérie du Tea Party qui a vu sa campagne s’effondrer à la suite de révélations sur son penchant pour la sorcellerie.
Cela dit, les élections de 2014 ne représentent qu’un galop d’essai. La confrontation entre les deux ailes républicaines atteindra son apogée en 2016, lors de l’élection présidentielle. L’establishment républicain possède quelques figures populaires, à l’image du gouverneur du New Jersey Chris Christie ou de Jeb Bush, le frère de l’ex-président. En face, le Tea Party présentera sans doute ses élus les plus en vue, Ted Cruz et Rand Paul. Restent quelques personnages hybrides, qui pourraient réconcilier ces différentes factions, comme le sénateur de Floride Marco Rubio ou le gouverneur du Wisconsin Scott Walker.